Pire que tout ce qu’on peut imaginer

L’épisode de chaleur, – qui s’est emparé de tout l’hémisphère nord pendant l’été -, aurait-il provoqué un « réveil des consciences » ? C’est ce que l’on pourrait croire au vu d’une petite rafale de publications alarmantes. Par ordre d’importance décroissante, citons :

  • Une étude financée par la NASA, cet oracle du monde moderne, et publiée par The Gardian: « La civilisation industrielle se dirige-t-elle vers un «effondrement irréversible»? » Relayée par des médias grand public comme Le Point et L’Obs, elle affirme que les civilisations précédentes se sont effondrées pour deux causes majeures que l’on retrouve dans la nôtre : surexploitation des ressources et inégalités socio-économiques.
  • Cette autre étude publiée dans le New York Time et reprise par Le Temps qui nous explique « Comment nous avons perdu le combat contre le changement climatique ».
  • « Un appel face à la fin du monde », d’Aurélien Barrau, astrophysicien et professeur au Collège de France, dont le grand mérite est de remettre sur le tapis la question politique.
  • La démission de Nicolas Hulot qui a cité de « nombreux concepts reliés aux « théories de l’effondrement » » et qui a déclaré : « J’espère que mon départ provoquera une profonde introspection de notre société sur la réalité du monde. »1

Ces publications concernant le climat et l’effondrement se distinguent, dans leur teneur, des débats qu’avait suscités le rapport Meadows de 1972 et d’où le réchauffement climatique (RC) était absent. Désormais, la menace principale n’est plus le développement économique ou la pression démographique, dont la nature endogène de l’un et l’autre avait fait croire que l’on pourrait rendre le premier « soutenable », mais le RC exogène et incontrôlable.

Cependant, ces textes très alarmistes sous-estiment encore la gravité de la situation, car cette gravité ne tient pas seulement à l’ampleur des destructions qui s’annoncent mais aussi et surtout à leur caractère absolument inéluctable. « L’homme est une pierre qui tombe » : il est entraîné dans une évolution incontrôlable car elle résulte de la somme de toutes ses interactions avec son environnement, lequel est aussi en évolution. Si les causes principales tenaient à la surexploitation des ressources et aux inégalités sociales, (étude de la NASA), si elles relevaient de la politique, (Aurélien Barrau et Nicolas Hulot), ou si c’était une question de connaissances, (étude du NYT), alors il serait théoriquement possible d’opérer une correction de trajectoire, à l’instar du Titanic avant de percuter son iceberg…

Quelque chose manque à tous ces points de vue, comme à ceux qui font de la « croissance » et de « notre mode de vie » des coupables de premier choix : c’est le fait que toutes ces causes sont secondaires car elles ont d’autres causes plus profondes et plus lointaines. Citons par exemple :

  • les règles du capitalisme et de la concurrence qui poussent à une accélération constante du couple production-consommation : faut-il préciser que cette concurrence ne date pas d’hier et qu’elle se manifestait déjà dans les guerres tribales des chasseurs-cueilleurs ?
  • la « fatalité du progrès », (une fatalité paradoxale puisque le progrès est fondamentalement opposition à la fatalité) ;
  • le recul des religions, (dont on peut croire qu’elles sont des freins au développement mais qui le favorisent puisqu’elles jouent le rôle décisif de « liant social ») ;
  • la morale et la médecine qui, par leur exigence de « sauver des vies », contribuent à la pression démographique ;
  • la « civilisation » elle-même qui s’oppose, (ou prétend s’opposer), à tout ce qu’il peut y avoir de destructeur dans « la barbarie » ;
  • l’expansionnisme du système et quantité d’autres causes qui forment la « pyramide infernale ».

La « civilisation » est désormais cernée d’icebergs, et l’espèce humaine se découvre dans la situation de ces explorateurs qui ont trouvé la mort loin de leur « home sweet home ». Elle est entrée dans un monde inconnu où les instruments de « la science » ne lui seront bientôt d’aucune utilité. Tant qu’elle explorait le monde pour la connaissance pure, tant qu’elle fabriquait des automates pour épater la galerie, il n’y avait pas de mal. Mais il s’est toujours trouvé des hommes pour « exploiter » des inventions, pour imposer des « solutions innovantes » à des problèmes vieux comme Adam, tout en faisant croire que ce sera mieux après : c’est ce qu’on appelle « manger le fruit défendu ». Maintenant l’on ne compte plus les bienfaits et méfaits du système, les uns et les autres poussent comme des champignons, et l’ironie de l’Histoire veut qu’il nous faudrait pouvoir contrôler une évolution que nous avons produite à force de vouloir « tout » contrôler, « tout » maîtriser. Il reste aux bonnes âmes, qui pensent encore pouvoir créer un « choc salutaire », de comprendre que le maître est l’esclave de sa créature, le fameux système, et qu’il n’y a pas de remède : il faudrait un miracle pour stopper les machines. Et comme il ne s’en produira pas, la situation est bien pire que tout ce que l’on peut imaginer : la « civilisation industrielle », avec l’humanisme dont elle tire sa légitimité comme l’énergie du pétrole, ne sera même plus un souvenir en 2100…

 

 

Paris, le 1er septembre 2018


Illustration : NASA

Plus de publications sur Facebook : On fonce dans le mur

1Cité sur Europe1, minute 7.

Un commentaire sur “Pire que tout ce qu’on peut imaginer

Ajouter un commentaire

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.

Créez un site ou un blog sur WordPress.com

Retour en haut ↑