[ripopée] Évolution et déterminisme

Depuis que les plus lourdes menaces pèsent sur « l’humanité », l’individu semble responsable de l’avenir de la planète et des générations futures, donc : pas seulement de ses actes mais aussi de tout son comportement, pas seulement devant la loi mais aussi devant son prochain, et pas seulement de son sort mais aussi de celui des autres. Cette extension de la notion de responsabilité n’a de sens qu’à petite échelle, (cas typique de Marinaleda), mais ne s’imposera jamais dans une grande nation. Elle ne pourra, au mieux, que servir à justifier une évolution du droit pour contraindre les individus à réduire leur consommation. (Et ainsi prolonger la survie du système.)

A voir cette affiche sur Facebook, l’on se dit que les gens raisonnent comme des tambours :

choix

Nous n’avons rien contre la spiritualité, mais ce montage donne dans le spiritualisme de pacotille, inconsistant et insignifiant, qui s’alimente de clichés faciles, (opposition ombre/lumière), alors que la vraie spiritualité consiste à choisir la voie la plus exigeante.

L’être humain est « libre » dans la mesure où, comme on le constate dans la réalité, les individus peuvent suivre des chemins opposés. Mais cela n’implique pas qu’un individu donné serait libre des choix qui se présentent à lui : ils ne peuvent que répondre à des possibilités réelles qui résultent des circonstances et de son histoire personnelle.

L’évolution est exactement ce qu’il est impossible de choisir, parce qu’elle n’existe qu’au passé : elle se constate après coup, dans les faits accomplis, mais ne se laisse pas discerner au quotidien. Il faut l’effectuer pas à pas, comme on additionne une liste de nombres, pour en découvrir le résultat.

Si les individus pouvaient choisir leur évolution, alors les sociétés « thermo-industrielles » n’auraient jamais vu le jour, car personne n’aurait travaillé dans les conditions épouvantables des mines et des usines.

Et si le déterminisme n’existait pas ? Il existe bien sûr, la vraie question est de savoir comment, sous quelle « forme ». Avant la révolution scientifique, tout s’expliquait par la volonté divine, depuis lors l’on explique tout par des lois : mais l’une comme les autres ne sont jamais que des explications, c’est-à-dire des récits inventés. Que certains soient plus réalistes que d’autres, plus plausibles, plus intéressants ou plus logiques, n’ôte rien à ce qu’ils sont, des inventions. D’où la question : les lois « de la nature » existent-elles « dans la nature » ou seulement dans le discours ? Les scientifiques sérieux se gardent bien d’y répondre, et se bornent à vérifier que les mesures confirment ou infirment leurs théories.

Le déterminisme au sens moderne vient de Newton : vous prenez une force, celle de la gravitation, une masse, celle d’une planète, et vous en tirez, comme lapin d’un chapeau, un mouvement « déterminé ». Trop simple pour être vrai ou vrai parce que trop simple ?

Prétendre que « tout est déterminé » est bien trop simple pour être vrai. Seuls les changements « à court terme » le sont, car aucun ne saurait se produire en contradiction avec les lois de la nature. Cependant, « à long terme » l’évolution entre en jeu, et plus rien n’est déterminé : tout baigne dans le flou, toute chose et son contraire peuvent a priori se réaliser.

Rien ne se réalise au hasard, tout advient par hasard.

L’explosion d’une supernova, donc le hasard du point de vue de la vie terrestre, a peut-être conduit nos ancêtres à devenir bipèdes. Explications de SciencePost : les rayons cosmiques issus de l’explosion aurait ionisé la basse atmosphère, les décharges de foudre et les incendies seraient devenus plus fréquents, et ainsi notre forêt originelle aurait régressé en cédant la place à la savane où la bipédie est plus avantageuse. Mais pourquoi les autres primates n’ont-ils pas suivi la même voie ? Hasard de l’évolution.

Ayant eu la curiosité de consulter la « fiche wiki » de Vincent Mignerot, nous sommes tombé sur le « noyau dur » de ses « théories » :

« Vincent Mignerot en déduit, après un développement appuyé sur des notions psychologiques et anthropologiques, sur des faits scientifiques et sur des arguments philosophiques, que ce processus est inscrit en l’homme depuis l’origine, qu’il porte en lui, depuis toujours, au sein même de son angoisse existentielle, le germe de sa propre autodestruction. »

Conformément à sa « loi de la dichotomie à l’axe », il voit un processus unique à l’œuvre depuis « l’origine » de l’espèce humaine, et imputable à une cause unique : « son angoisse existentielle ». (En clair : tout s’explique par la peur de mourir.) Cette théorie est une forme de prédestination, un concept issu de la théologie, de valeur scientifique strictement nulle, contraire à l’évolution où le hasard se mêle à une multitude de phénomènes, et surtout : contraire à la diversité culturelle des humains. Ses généralisations abusives mettent dans le même sac les vainqueurs et les vaincus, les exploiteurs et les exploités, les colons et les aborigènes, etc.

Nous discernons au contraire une infinité de causes, ce que nous avons tenté de montrer dans « La pyramide infernale » : « le principe de causalité n’est plus pertinent pour expliquer les choses : tout y est à la fois cause et effet, toutes les affaires humaines sont prises dans des boucles de rétroactions positives. »

Vincent Mignerot n’a pas tout à fait tort, car tout ce qui commence par une croissance finit par une décroissance. En ce sens, toute fin est « inscrite » dans son commencement, c’est un principe vieux comme le monde. Il est particulièrement vrai pour les individus génétiquement programmés pour vieillir, et pour les phénomènes cycliques que symbolise la renaissance du phénix.

« L’humanité » est effectivement en train de « s’autodétruire » par « destruction de la planète », mais après une croissance démographique prodigieuse, donc comme un microbe prolifère dans un hôte jusqu’à provoquer sa mort. On n’a pas besoin de « l’angoisse existentielle » pour expliquer cette évolution : l’instinct de reproduction suffit et satisfait le principe du rasoir d’Ockham : « les hypothèses suffisantes les plus simples doivent être préférées ».

Nous sommes cependant d’accord avec les faits qu’il cite dans cette interview de Mr Mondialisation où il reconnaît l’existence de l’évolution et de ses acquis : « L’humanité, omnivore, est capable de satisfaire ses besoins en cueillant, chassant, mais elle a acquis au cours d’une évolution singulière la capacité à s’affranchir de certaines contraintes dans cette capture d’énergie. »

Mais il retombe dans l’interprétation fallacieuse : « notre espèce Homo Sapiens aurait provoqué l’extinction de nombreuses espèces animales pour son propre intérêt adaptatif depuis des dizaines ou centaines de milliers d’années ». Cela signifie que l’adaptation résulterait d’une sorte de « stratégie gagnante » que les espèces pourraient choisir ou non d’adopter, alors qu’elle n’apparaît qu’après coup et au hasard de la sélection naturelle. Bref, il n’est pas fichu d’interpréter correctement le B A BA de l’évolution darwinienne.

S’il est vrai que Homo sapiens a provoqué, longtemps avant Jésus-Christ, la disparition de nombreuses espèces, ce n’était pas « pour son propre intérêt adaptatif » mais tout simplement pour se nourrir. Le problème, c’est qu’énoncer une vérité aussi plate ne rapporte rien sur le plan médiatique, alors M. Mignerot invente autre chose. (Il n’est pas seul dans sa catégorie : l’histoire fait fantasmer beaucoup de monde.)

D’un bout à l’autre, les théories de Vincent Mignerot transpirent le finalisme, cet art de la paresse à l’usage des pseudo-philosophes.

Paul Valéry aura éternellement raison contre lui : « L’homme sait ce qu’il fait, mais ne sait pas ce que fait ce qu’il fait. »

Publié le 23 juin 2020


Illustration : « Astrologie Holistique Versus Conformità » – cite Boris Cyrulnik : « le déterminisme n’est pas une fatalité« .

Permalien : https://onfoncedanslemur.wordpress.com/2020/06/23/evolution-et-determinisme/

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