La vérité scientifique est un bien commun de l’humanité

5 mars 2025 – 1200 mots

Billet rédigé en mai 2020, en pleine crise du covid. Je l’avais auto-censuré faute d’avoir vraiment justifié son titre. Aujourd’hui, ce sont les attaques de l’administration américaine contre la science qui me pousse à le publier. Pour se convaincre de celles-ci, on peut visionner cette vidéo où plusieurs scientifiques rendent compte des événements faramineux outre-Atlantique.


Un phénomène inquiétant est en train de se répandre sur les réseaux sociaux : il consiste à sous-estimer, voire à mépriser les enjeux scientifiques, et à faire du « fric » l’alpha et l’omega de toute explication, ce dont témoigne le post d’une lectrice. Pour commenter une brève sans importance, elle écrit :

« UK : les labos sont de plus en plus inquiets que le coronavirus disparaisse avant que le vaccin ne soit prêt. Leurs profits disparaîtraient du même coup… »

C’est très irritant de se voir rappeler une évidence, qui plus est dans une forme aussi brève qu’un slogan. L’appât du gain gouverne tout, certes, mais ce n’est pas une raison pour le redire à la moindre occasion, comme un slogan politique. Quand on demande à l’autrice de s’expliquer, elle répond que « c’est vrai, le fric prime », c’est une « religion ». Difficile de le nier, mais elle n’a pas compris que ses explications, qui paraphrasent son post sans le motiver, confirment qu’il n’est qu’une tautologie, car il est évident que les labos, devant gérer l’avenir de leurs investissements, ne peuvent qu’être « inquiets » à l’idée que le virus disparaisse. Mais on pourrait aussi bien le dire des bistrots et restaurants « inquiets » d’être encore fermés, ou des croisiéristes « inquiets » pour remplir leurs paquebots, etc. On pourrait le dire pour un nombre incalculable de cas, mais on ne le fait pas : alors, pourquoi celui-là ? Réponse : parce que c’est un bon moyen de faire de l’audience. On en arrive ainsi, de façon fort sournoise, à une « pensée pilotée par le fric ».

La science et l’argent

Nous inquiète le fait que « l’argument fric » est en train de conquérir les esprits, et de supplanter tous les autres, notamment les arguments scientifiques. C’est exactement cela que notre lectrice n’a pas compris : sa pensée est en train de se faire polluer, non par le fric lui-même, bien évidemment, mais par le fric utilisé comme argument. La forme de cette pollution est de type « complotiste », c’est-à-dire qu’il s’y trouve en position de cause unique que l’on retrouve derrière tous les phénomènes, ce qui est (malheureusement) factuel. Mais, pour qu’il se retrouve derrière toutes les explications, il faut l’y mettre délibérément, ce n’est ni à Bigpharma ni à Bill Gates qu’on le doit, mais bien aux internautes eux-mêmes, ceux qui écrivent comme ceux qui « partagent ».

Quand nous faisons remarquer à notre aimable lectrice qu’il y a aussi des enjeux scientifiques, elle répond : « évidemment, mais c’est quand même les intérêts financiers qui priment ». Vous essayez de chasser l’intrus, il vous revient à la figure comme un boomerang ! Elle se trompe lourdement, car la vérité scientifique est un enjeu tout aussi important que l’argent ne devrait pas éclipser. In fine, les entreprises gagnantes de ce combat planétaire sont celles qui trouveront un traitement réellement efficace, et elles n’y parviendront qu’en s’appuyant sur la vérité scientifique, non en se contentant de croire que ça marche.

A l’origine de cette pollution des pensées, il y a le vœu pieu que la santé échappe aux lois du marché, et l’on se souvient d’ailleurs que l’un des premiers arguments en faveur de Didier Raoult était le prix modéré de son traitement. Nous sommes évidemment d’accord avec cette idée, nous aussi aimerions que médicaments, vaccins et techniques diverses soient accessibles au plus grand nombre, mais nous avons aussi conscience que la santé publique ne tombe pas du ciel, qu’elle ne vient pas de pratiques ésotériques, de prières et de méditations, ni de pouvoirs mystérieux et magiques : elle est uniquement fondée sur des raisonnements de type scientifique. Au demeurant, il y a de quoi mourir de rire à voir l’illustre professeur Raoult mépriser les statistiques, quand on sait que c’est par ce moyen qu’Ignace Philippe Semmelweis, obstétricien hongrois du XIXième, put prouver que « le lavage des mains diminuait le nombre des décès causés par la fièvre puerpérale des femmes après l’accouchement ». C’est le moment ou jamais d’écrire que les statistiques sont la mère de la santé, cette santé publique si chère au cœur de nos fougueux militants humanistes…

Aussi lourde et imparfaite soit-elle, la science est absolument incontournable, et ce constat conduit à se scandaliser pour bien d’autres raisons que « le fric ». Le vrai scandale, le plus basique qui soit, celui qui prive le peuple de toute auto-détermination opposée à la loi du profit, c’est le fait que la recherche fondamentale a été délibérément mise sous la coupe du secteur privé. Mais quels militants s’en soucient ? Quels militants se souviennent encore de ce qui s’est passé à l’époque de Sarkozy, quand Valérie Pécresse était sa ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche ? Combien à l’époque avaient crié au scandale ? Sur son blog alors hébergé par Libération, Sylvestre Huet avait rendu compte par le menu des réformes qui désespéraient les chercheurs, car elles étaient en forme de saccage.1 C’était fort compliqué et rébarbatif à suivre, mais deux tribunes du Monde avaient résumé les enjeux. Signée par d’illustres chercheurs, la première revendiquait pour la recherche fondamentale la nécessité de la liberté : l’intérêt des projets ne peut être jugé que par les chercheurs eux-mêmes, indépendamment de toute application envisageable, et bien sûr, indépendamment de tout intérêt financier. La seconde, publiée le lendemain et signée d’on ne sait qui, un triste sire parlant pour « le système », se résumait à ceci : « mais qui êtes-vous, messieurs les chercheurs, pour revendiquer une telle liberté ? » Voilà, l’auteur signifiait sans ménagement qu’ils n’y avaient pas droit, et annonçait à quelle sauce ils allaient se faire manger.

Ce phénomène qui consiste donc à « tout ramener au fric », (un cliché plus facile à saisir que le fonctionnement de la recherche), est fort inquiétant parce qu’il conduit à mépriser la science qui devrait être perçue comme notre seule planche de salut. Le vrai enjeu est d’abord de la remettre dans les mains du secteur public, c’est-à-dire de nationaliser toute recherche fondamentale et de rendre leur liberté aux chercheurs, le secteur privé n’ayant à financer que ses recherches appliquées à visées pécuniaires. La vérité scientifique est un bien commun de l’humanité. C’est pourquoi il est urgent de la sortir des griffes de Bigpharma, mais aussi de la soustraire à cette dictature de l’audience à laquelle s’est prêté avec complaisance notre Didier Raoult national. Et que le bon peuple militant arrête enfin de crier « Le fric ! Le fric ! Le fric ! » comme jadis « Le diable ! Le diable ! Le diable ! » : ces vaines incantations sont exactement celles que « le système » veut entendre.

Paris, le 26 mai 2020

1 Il est facile de retrouver, sur le blog de Sylvestre Huet, tous les articles concernés en faisant une recherche avec le mot-clef Sarkozy, auquel on peut ajouter Hollande, car ce dernier n’a fait que confirmer, prolonger et renforcer les réformes de son prédécesseur.

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