Un clown à la tête de l’Occident

20 avril 2025 – 1300 mots

Trump est en train de démolir l’Occident, une tâche pour laquelle il a le profil adéquat.


Donald Trump est un clown. Absurde comme tous les clowns, dangereux comme tous les gens de pouvoir. Mais cette idée est trop dérangeante et inquiétante pour être prise au sérieux, on lui préfère les analyses savantes qui révèlent une « rationalité cachée » derrière ses décisions les plus ahurissantes. On peut toujours en trouver une, ce n’est pas le plus difficile : il suffit de se baser sur telle ou telle théorie économique, sur tel ou tel courant idéologique, telle ou telle déclaration de l’intéressé, etc. Il suffit, en somme, d’établir des corrélations pour montrer qu’il s’inscrit dans une logique connue de longue date, et donc qu’il n’est pas irrationnel. Mais même si ça marche assez bien pour les droits de douane, ce n’est pas le plus intéressant. La presse et les réseaux sociaux fourmillent d’analyses, car tout un chacun, sidéré par ses décisions, ressent comme jamais un immense besoin d’explications, du jamais vu. On est sidéré parce qu’on assiste à l’événement le plus inattendu qui soit : la démolition à la tronçonneuse de l’Occident, une tâche pour laquelle il fallait un clown, c’est-à-dire un personnage qui ne prend rien au sérieux, plongé dans son monde où tout n’est que farces et attrapes.

Trump est un personnage clownesque dans sa manière d’être, dans sa façon de dédaigner avec superbe les us de la diplomatie, le droit international, les acquis de ses prédécesseurs, les acquis de la science, la vie des fonctionnaires qu’il jette au chômage, les institutions de la démocratie américaine, ses alliés occidentaux, etc. Trump ne prend rien de tout cela au sérieux, il volatilise tout ce qui le dérange et qu’il ne veut pas voir : immigrants, fonctionnaires, homosexuels, transgenres, « wokes », réchauffement climatique, protection de l’environnement, complexité de l’économie, droit public, régulation financière, ingérences russes, alliances historiques et j’en passe. Et comme dans un spectacle d’où la réalité est absente, il ne conserve que le décor et les accessoires nécessaires à la théâtralité qui, seule, l’intéresse : son bureau Ovale, sa boîte de stylos, ses décrets. Et sa signature ! Le symbole de sa puissance ! Il suffit qu’il appose son paraphe au bas d’un document pour qu’un problème énorme, n’importe où dans le monde, se trouve subitement réglé, liquidé, vaporisé ! C’est magique et ubuesque.

Au cours de son premier mandat, il avait suggéré de traiter les malades du covid avec de l’eau de Javel et des ultraviolets, il l’avait dit le plus sérieusement du monde, devant un parterre de spécialistes en santé publique ! On n’imagine pas le degré de bêtise qu’il faut pour sortir une énormité pareille ! Mais comment une si grande nation, avec sa soit-disant « Destinée Manifeste », a-t-elle pu pousser à son sommet un bonhomme aussi inculte, qui n’a pas même le « bon sens » d’une ménagère ? Un type qui vient de déclarer que Harvard est « une blague qui enseigne la haine et l’imbécillité » ! Harward, université fondée en 1636, la plus prestigieuse en Occident, sûrement l’une des plus connues au monde, avec ses 50 milliards de dollars de patrimoine, ses milliers de professeurs et d’étudiants, de 132 nationalités différentes, Haward ne serait donc qu’une « blague ». Et le monsieur à l’eau de Javel vous sort ça sans rire ni rougir, sûr de son fait, comme s’il s’agissait d’un point de vue raisonnable !

Et son compère Elon Musk ? Que fait-il à se montrer avec ce môme de quatre ans qu’il trimbale partout comme une peluche, jusque dans les allées d’Auschwitz, jusque dans le bureau Ovale ? Que fait-il à brandir sur scène une vraie tronçonneuse, image violente et inquiétante de son pouvoir ? Que fait-il à proclamer qu’il peut réaliser 2000 milliards d’économies en un mois ? Que fait-il avec son salut nazi qui n’est pas un salut nazi mais un salut nazi en forme de salut nazi ? Il fait aussi le clown, voilà. Il montre, (car c’est un spectacle, comme au cirque), il montre que les politiques peuvent dire n’importe quoi, ça n’a pas d’importance. Car toute l’importance de leurs propos est dans les propos eux-mêmes, pas dans la réalité qu’ils prétendent améliorer, ni dans les conséquences.

La bande de Gaza est en ruines ? Deux millions de Gazaouis n’ont plus ni logements, ni vivres, ni eau, ni électricité, ni médicaments, rien de rien, seulement des soldats qui continuent de les tuer ? Qu’à cela ne tienne, les États-Unis vont prendre possession de Gaza et en faire la « Riviera du Moyen-Orient » ! La guerre en Ukraine ? « J’y mettrai fin en un jour ! » prétend celui qui n’est encore que candidat, rivalisant avec Jésus qui en demandait trois pour reconstruire un temple. On nous explique, doctement et futilement, que ce sont des figures de style à ne pas prendre au sérieux, mais elles n’en sont pas moins dites, et parfois même réitérées, comme des mantras, pour se donner de l’assurance. En réalité, ce sont des paroles vides, des paroles de clown, car elles ne recouvrent rien de sérieux. La preuve par ce titre du Monde tombé ce matin :

On est donc passé en trois mois de : « faisable en un jour, il suffit de savoir dealer », à : « probablement pas faisable du tout, il serait judicieux d’examiner tout ça de plus près afin d’y voir plus clair. » Ce conseil s’est trouvé confirmé le soir-même par le Président en personne :

Et quid du boy band d’Elon Musk avec ces p’tits jeunes de génie embauchés dans le DOGE ? Pas mal non plus dans leur genre, ces oiseaux-là ! Ils font penser à ces nains roués que l’on trouve dans les contes de fées, avec leurs manières inattendues et surprenantes. C’est bien ce qui s’est passé depuis de banals bureaux, à l’aide d’une banale connexion à Internet : on leur a donné un accès privilégié aux serveurs de l’État fédéral, et c’est ainsi qu’ils ont licencié des milliers de fonctionnaires, supprimé des milliers de bases de données scientifiques, et fermé je ne sais combien de sites web sans discussion ni autorisation.

Et ce J.D. Vance ? Cet énergumène nous a assené une leçon de « liberté d’expression » alors que son administration a instauré la censure de plus de deux cents mots ! Outre-Atlantique, c’est le branle-bas de combat pour les scientifiques qui, dans la crainte de perdre leur job et leurs crédits, doivent retoucher à la hâte leurs publications. Marianne a listé les nouveaux termes tabous dans cet index digne de l’Inquisition, on y trouve « femme », « féminisme » et « favoriser l’inclusion ». Et malheureusement, à la lettre N par exemple, on n’y trouve pas « nazi » mais : « native American » et « non-binary ». La « liberté d’expression » de ces messieurs n’est qu’une sinistre farce, elle procède d’une de ces « inversions » dont ils ont le secret : ils veulent être libres de tenir des propos mensongers, complotistes, révisionnistes, néonazis, antisémites, racistes, haineux et tout ce qu’on veut, mais ni féministes, ni inclusifs, ni genrés, ni écologiques, ni scientifiques. Surtout pas scientifiques ! Avec ses preuves, sa rigueur et son consensus, la science est aux antipodes de la gouvernance à base de mensonges et d’« inversions »1 qu’ils cherchent à imposer. Le Washington Post a comptabilisé 30.573 de ces affirmations fausses ou trompeuses que Trump a proférées au cours de son premier mandat, soit 21 par jour en moyenne, dimanches et jours fériés inclus,

Tout cela annonce des jours sombres. L’Occident peut s’enorgueillir de deux grands acquis fondamentaux, la démocratie et la science, mais il n’aura bientôt ni l’une ni l’autre. Le paradigme de la raison scientifique va disparaître du champ social, l’on verra celui de la religion y faire un retour en force, et c’en sera fini pour des millénaires de toute idée de démocratie et de justice sociale.

1 Autre exemple d’inversion, bien français celui-là : Marine Le Pen affirmant que sa condamnation est une « violation de l’État de droit » alors qu’elle en est au contraire une confirmation, puisqu’elle a été jugée dans les règles de l’art, qu’elle n’a pas apportée la preuve d’une erreur judiciaire, et que les sanctions infligées sont conformes à des lois votées régulièrement par des députés élus régulièrement.


Illustration : Le Blob : « Trump réautorise la pêche commerciale dans un vaste sanctuaire marin du Pacifique ». Facile de pêcher plus de poisson selon Trump : il suffit de le chercher là où c’est interdit !

Permalien : https://onfoncedanslemur.wordpress.com/2025/04/20/un-clown-a-la-tete-de-loccident/

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