Qu’est-ce que l’antisémitisme ?

23 décembre 2025 – 1500 mots

Pour les médias officiels, les antisionistes sont antisémites par nature et par définition.


I’ sont gentils au journal Le Monde, ils ne publient que des articles factuels, et laissent les opinions aux abonnés des « réseaux sociaux », dans leur sarabande endiablée d’invectives. Mais ils ne perdent pas le nord pour autant, et savent vous rappeler périodiquement où il se trouve. C’est ainsi qu’on a eu droit à « l’écrasante responsabilité du Hamas », et maintenant à ce titre lunaire : « L’antisémitisme global a fait du monde entier un lieu où les juifs ne sont pas les bienvenus ».

Il semble que l’auteure de cette innovation, Eva Illouzdirectrice d’études à l’EHESSsoit en phase avec les pro-Palestiniens qui alertent depuis des lustres sur les risques que la gestion israélienne du conflit fait courir aux juifs du monde entier, mais il n’en est rien. Selon elle, les juifs ne sont pas mis en danger par Netanyahou, mais par la nature foncièrement antisémite de l’antisionisme. Le seul but de sa tribune est de justifier l’équation « antisionisme = antisémitisme », (qui remonte aux années 50)1, et d’en tirer les conséquences les plus détestables qui soient afin de disqualifier la Résistance palestinienne. Argumentant sans aucune rigueur, sa tribune ne présente pas le moindre intérêt, mais je la retiens parce qu’elle esquive la question qui est pourtant à son origine : qu’est-ce que l’antisémitisme ?

Cette question est d’autant plus épineuse que les antisémites auraient fait évoluer leur idéologie nauséabonde, de sorte qu’il semble légitime d’adapter la définition de l’antisémitisme pour la rendre conforme aux « faits ». (Mais plutôt, selon les mauvaises langues, conforme à l’interprétation que l’on veut en donner.) C’est ainsi que L’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste a jugé utile de pondre une « définition opérationnelle ». Elle a été adoptée en 2019 par Macron pour faire plaisir au CRIF, et parce qu’il espère encore jouer son petit rôle devant Netanyahou. Mais l’on voit bien qu’il y a un problème à changer une définition si le seul but est de justifier des accusations.

L’antisionisme n’est pas de l’antisémitisme, c’est de l’anticolonialisme, mais cette position embarrasse fort les juifs d’Israël, car elle les met face à leurs responsabilités historiques. C’est pourquoi Eva Illouz leur donne raison en récusant toute référence au colonialisme : il s’agit de vider l’antisionisme de toute consistance, afin que ressorte son fond présumé de haine antisémite. Elle écrit :

« Cette éthique globale [de la cause palestinienne] repose sur l’infrastructure intellectuelle du structuralisme, qui transpose des catégories analytiques d’un espace géographique à un autre, au mépris de l’histoire : les colonialismes de peuplement américain ou australien sont assimilés au sionisme et rendus équivalents à la barbarie coloniale des superpuissances occidentales, alors qu’Israël s’est créé comme un pays de réfugiés au sortir de la seconde guerre mondiale, offrant un abri à ce qu’il restait des juifs décimés par les pogroms et la Shoah, ainsi qu’au million de juifs expulsés des pays arabes. »

Tout d’abord, le conflit ne remonte pas à la création de l’État d’Israël « au sortir de la seconde guerre mondiale », mais quarante à soixante-dix ans plus tôt si l’on prend la première alya sioniste comme point de repère. Selon Wikipédia : « En 1882, l’alya des Amants de Sion marque le début de l’alya sioniste, à visée politique. »

Il faut lire aussi la page sur les kibboutz, dont le premier a été créé en 1907, pas en 1947, pour comprendre que la mise en pratique du socialisme par les juifs ashkénazes venus d’Europe n’avait rien d’idyllique, et qu’il n’était pas question pour eux d’intégrer les Arabes ni les juifs orientaux. C’est aussi en 1907 qu’apparut la première organisation armée, la Bar-Guiora, qui avait pour devise : « Par le feu et le sang la Judée est tombée, par le feu et le sang la Judée ressuscitera. » Quand des « réfugiés » se comportent de la sorte, s’emparant des terres pour les exploiter à leur profit, s’organisant en milices pour parer l’hostilité qu’ils suscitent inévitablement, nourrissant un projet à long terme de domination politique qui exclut d’emblée les autochtones, alors ce sont des colons, pas des « réfugiés ».

En disant qu’Israël « s’est créé comme un pays de réfugiés », – expression vague et sibylline -, Eva Illouz prend un mythe pour une réalité : Israël n’a jamais été un « refuge ». Un vrai refuge vous met à l’abri des ennemis, alors qu’Israël expose ses citoyens aux guerres et aux attentats, et n’a jamais rien fait pour calmer les esprits. De la Bar-Guiora au génocide actuel, et mis à part la parenthèse d’Oslo vite refermée, Israël n’a eu qu’une politique : l’escalade, officialisée et précisée depuis 2008 dans la doctrine Dahiya.2 Taper plus fort, beaucoup plus fort, d’une façon disproportionnée, sans discriminer les civils des militaires, dans l’espoir insensé et cynique que les Palestiniens finiront par se rendre : se rendre à l’évidence de leur infériorité militaire, se rendre à l’hégémonie des juifs et leur régime d’apartheid, et « rendre » leur pays aux colons religieux qui arrachent les oliviers.

Selon Eva Illouz, « l’antisémitisme contemporain », (celui des pro-Palestiniens en fait, elle n’en cite aucun autre), a deux caractéristiques fondamentales qu’elle emprunte à celui de Marr, (1819-1904), le journaliste-polémiste qui inventa le mot antisémite :

« En ce sens, on peut dire que Marr nous fournit ici une clé pour comprendre deux caractéristiques fondamentales de l’antisémitisme contemporain : le renouvellement de son contenu et le déni de lui-même. »

On serait donc passé d’un antisémitisme d’origine religieuse, puis ethnique avec Marr, à ce « nouvel antisémitisme » qui défraie la chronique, et dont la marque de fabrique serait l’hypocrisie. Après tout, pourquoi pas ? Les antisémites ayant besoin de nourrir leur passion mauvaise, il ne faut point s’étonner qu’ils trouvent des raisons up to date dans l’antisionisme, mais de là à dire que l’antisionisme est par nature de l’antisémitisme masqué, il y a un gouffre que seuls les gens de mauvaise foi peuvent franchir. C’est pourtant ce qu’a affirmé Jankélévitch dans les années 70 :

« L’antisionisme est l’antisémitisme justifié, mis enfin à la portée de tous. Il est la permission d’être démocratiquement antisémite. »3

Bensoussan se montre plus précis mais ne cite aucune étude pour étayer son propos. Dans un entretien avec Marianne, il affirme :

qu’« il vaut mieux expliquer comment l’antisémitisme qui n’est plus dicible depuis Auschwitz se dissimule derrière le mot sioniste, comment le mot juif est systématiquement remplacé par le mot sioniste dans une démarche mystificatrice. »

C’est tout bonnement génial ! Même si vous employez le terme sioniste pour bien montrer que vous ne visez pas « les juifs » en général, (d’autant plus que de nombreux sionistes ne sont pas juifs), on vous rétorque : « Oh là ! Doucement mon gaillard ! Vous écrivez sionistes mais on n’est pas dupe, c’est un mot codé pour dire juifs ! »

Du côté des instances officielles, même son de cloche : la « définition opérationnelle » de l’antisémitisme tient dans cette innocente phrase :

« L’antisémitisme est une certaine perception des Juifs qui peut se manifester par une haine à leur égard. »

Avec cette définition, la haine, qui jusqu’ici était l’élément-clef de l’antisémitisme et le rendait immonde, est en option comme l’allume-cigare dans les voitures. Vient ensuite la phrase qui vous interdit de critiquer Israël puisqu’il est censé être « le refuge du peuple juif » et « le seul État juif au monde », ce qui en fait une « collectivité juive » :

« L’antisémitisme peut se manifester par des attaques à l’encontre de l’État d’Israël lorsqu’il est perçu comme une collectivité juive. »

L’antisémitisme est manifestement défini comme étant l’antisionisme. Nous voilà donc fixés sur sa (nouvelle) définition, mais pas plus avancés. Il va sans dire que tout cela n’est d’aucune utilité pour lutter contre le véritable antisémitisme, mais il faut reconnaître que c’est une bonne base pour diaboliser les antisionistes.

Quant à Eva Illouz, « spécialisée dans la sociologie des sentiments et de la culture », elle devrait orienter ses recherches du côté de la connerie humaine, elle aurait plus de chances de comprendre quelque chose à l’antisémitisme réel. (Réel et constant en dépit du « renouvellement de son contenu ».) Le vrai antisémitisme est ce qui pousse des gens à taguer des croix gammées sur des boîtes aux lettres, à profaner des tombes, agresser des personnes, en tuer d’autres sur une plage, etc. Le « nouvel antisémitisme » n’est qu’une fable pour élites occidentales bien pensantes en quête de justifications, car leur conscience morale se trouve malmenée par leur créature étatique israélienne. Il n’y a toujours eu qu’un seul antisémitisme, et c’est la haine des juifs, point.

1 Sur l’origine de l’équation « antisionisme = antisémitisme », lire « Israël dans l’abîme de Gaza » au § Une dangereuse équation.

2 Tous les détails de la doctrine Dahiya appliquée à Gaza dans cet article de France24 : « « La doctrine Dahiya » ou comment Israël a théorisé l’usage disproportionné de la force »

3 La seconde phrase dans la citation de Jankélévitch, (« Il est la permission d’être démocratiquement antisémite »), est devenue fausse de nos jours, puisque les démocraties occidentales répriment sévèrement l’antisionisme au nom de l’antisémitisme.


Illustration : croix gammées sur des tombes israélites – article de Franceinfo de janvier 2010

Permalien : https://onfoncedanslemur.wordpress.com/2025/12/23/quest-ce-que-lantisemitisme/

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