Le changement de comportement et la crise climatique

Rapport de la Commission du développement durable de Cambridge sur la mise à l’échelle des changements de comportement. Résumé pour décideurs.

Titre original du fichier PDF : Cambridge Sustainability Commission on Scaling behaviour change report Executive Summary.

Source : https://www.rapidtransition.org/resources/cambridge-sustainability-commission/


Pouvons-nous changer notre mode de vie pour faire face à la crise climatique ? Il est de plus en plus évident que, parallèlement à l’évolution des politiques, de la prestation de services et de l’innovation technologique, des changements profonds dans les modes de vie sont également nécessaires si nous voulons éviter des niveaux dangereux de réchauffement de la planète. Après une longue période de négligence, le changement de comportement durable occupe désormais une place de plus en plus importante dans l’agenda de la politique climatique. Les derniers rapports du GIEC et du PNUE sur le déficit d’émissions ont commencé à accorder une plus grande attention au rôle du changement de comportement dans la réalisation d’objectifs climatiques ambitieux, et les gouvernements le considèrent de plus en plus comme un élément nécessaire de leurs stratégies de lutte contre le changement climatique.

Pourtant, en dépit d’une littérature académique de plus en plus abondante, qui fait appel à des approches différentes de l’économie, de la sociologie, de la psychologie, de l’étude des sciences et des technologies et de la politique, la question de l’extensibilité a fait l’objet d’une attention moindre : les points clés de l’effet de levier et de la traction qui permettent d’opérer des changements à l’échelle (ainsi qu’à la vitesse) nécessaire pour faire face à l’urgence climatique.

Tel était le défi lancé à la Cambridge Sustainability Commission on Scaling Behaviour Change, un groupe d’experts composé de 31 personnes issues de diverses disciplines et d’un réseau de praticiens, impliqués de différentes manières dans le changement de comportement durable : passer en revue ce que nous savons de la littérature universitaire et de l’expérience sur le terrain en matière de changement de comportement à grande échelle et suggérer des pistes pour l’avenir en termes de points d’intervention futurs et d’étapes concrètes.

1. Le changement individuel et le changement des systèmes vont de pair

Il est clair que nous avons besoin d’un changement à la fois individuel et systémique, et le principal défi consiste à faire en sorte qu’ils se renforcent mutuellement. En réfléchissant de manière plus globale au « comportement », nous pouvons faire avancer le débat au-delà de l’accent dominant mis sur les décisions individuelles et domestiques. Il existe de nombreuses suppositions tacites sur ce qu’est le « comportement », souvent réduit à des actions de consommation à petite échelle. Mais l’action personnelle peut également être liée à d’autres formes d’action collective, d’influence sociale et politique, et d’engagement avec le monde extérieur. Ce changement d’approche permet une vision plus responsabilisante de l’action personnelle, mieux à même de conduire le changement social et économique.

Pour parvenir à l’ampleur et à la profondeur des changements requis en l’espace d’une décennie, nous devons intervenir en tous points d’un écosystème de transformation qui va du recâblage de l’économie, via des changements au niveau du travail, des revenus et des infrastructures, et de l’évolution des modèles d’offre et de demande, à la protection et à l’expansion des espaces d’innovation sociale et citoyenne. Cela implique des rôles clés pour des acteurs différents et des approches à la hauteur de l’ampleur du défi que nous devons relever en empruntant simultanément plusieurs voies de changement.

2. Vivre sur une seule planète : vers une durabilité « forte »

Les paramètres doivent être fixés en fonction des limites écologiques de la Terre, et il convient d’encourager le passage d’une réflexion allant au-delà de la production et de la consommation plus efficaces à l’adoption des idées de bien-être et de suffisance. La question de savoir qui décide des limites à fixer et comment le faire nécessite d’importantes innovations en matière de gouvernance afin d’approfondir la participation et la représentation, et de garantir une large appropriation et acceptation sociale des processus de transition.

Les questions de rationnement, d’allocations et de quotas se posent de plus en plus lorsqu’il s’agit de discuter de la nécessité de modifier les comportements en fonction des trajectoires à 1,5 degré pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris. L’engagement actif des citoyens autour de ces limites et de la manière dont elles peuvent être appliquées équitablement est essentiel à leur acceptation. L’engagement public doit également être motivé par les gains de bien-être attendus d’une semaine de travail plus courte, de l’évitement des déplacements inutiles et de l’adoption d’un régime alimentaire plus sain, par exemple.

Cela signifie qu’il faut s’attaquer aux sources de la surconsommation en revoyant des idées profondément ancrées sur la croissance et en adoptant une approche plus intégrée du bien-être. Mais il faut aussi une compréhension plus fine des moteurs sociaux et culturels de la surconsommation : s’attaquer au rôle de la publicité et des médias dans la normalisation et la réification des comportements de forte consommation. Pour ce faire, il est nécessaire de « modifier les choix », c’est-à-dire de faire en sorte que les gouvernements, les entreprises et les personnes ayant un contrôle direct sur la production limitent la disponibilité des produits et services à forte teneur en carbone. Il est beaucoup plus difficile de défaire les comportements non durables que d’empêcher les produits non durables d’arriver sur le marché en premier lieu.

3. Transitions justes

Pour être effective et socialement acceptée, l’évolution des comportements doit porter sur la justice sociale et économique et, à tout le moins, ne pas creuser davantage les inégalités existantes. Placer la justice économique au cœur des efforts de changement de comportement à grande échelle présente l’avantage de réduire l’inégalité entre l’élite dite des pollueurs et les groupes les plus pauvres de la société qui n’ont pas accès à une énergie, un logement, des transports et une alimentation affordables. L’accès et la responsabilité comportent d’importantes dimensions raciales, de classe et de genre, que toutes les interventions doivent aborder de manière explicite. Ce sera une condition préalable pour élargir la conversation sur le changement de comportement au-delà des silos de privilèges et des sphères de volontarisme parmi ceux qui sont déjà engagés dans l’action environnementale.

Les infrastructures, les revenus, la situation géographique et le statut social ont une influence considérable sur la capacité des gens à modifier leurs comportements en matière de transport, d’énergie, de logement et d’alimentation. Les points d’intervention clés résident dans la création d’environnements favorables qui facilitent, encouragent et verrouillent des comportements plus durables parmi de larges pans de la société. Il s’agit par exemple d’améliorer l’offre de transports électriques à faible coût et d’isoler les maisons pour lutter contre la pauvreté énergétique et réduire les émissions. Dans un contexte mondial, le « saut de mode de vie » peut favoriser l’adoption de voies plus durables, en évitant d’emblée un verrouillage non durable. Qu’il s’agisse d’affordable transport public ou de tarifs verts pour les énergies renouvelables, les gouvernements, les entreprises et les villes disposent d’un pouvoir énorme pour tracer de nouvelles voies, communiquer clairement sur la nécessité du changement – et se tenir responsables de sa mise en œuvre.

Les modes de consommation dans une partie du monde ont également des implications pour d’autres parties du monde en raison de la nature interconnectée de l’économie mondiale et des modèles inégaux d’extraction et d’échange qui prédominent dans le commerce et la production. Une perspective globale sur les types de consommation qui peuvent être soutenus (et par qui) est essentielle pour garantir que les coûts sociaux et environnementaux des transitions vers la durabilité dans les parties plus riches du monde ne soient pas simplement répercutés sur les parties plus pauvres, consacrant les inégalités historiques et contemporaines autour de l’accès inégal aux ressources et de l’exposition disproportionnée aux dommages. Cela nécessite un effort de décolonisation de la consommation et de la production, car la consommation non durable des élites du monde entier n’est possible qu’en raison de modes d’extraction, d’appropriation et d’échange racialisés, sexués et basés sur les classes, organisés autour du « bon marché », qui alimentent la consommation non durable des groupes les plus riches tout en répercutant les coûts sociaux et environnementaux sur le reste de la société.

4. Gouverner le changement : permettre un changement de pouvoir

Bien que l’on ait tendance à parler de « nudges » et d' »outils » pour changer les comportements, le défi est plus profond et profondément politique. Il faut un transfert de pouvoir des acteurs et des intérêts qui contrôlent l’économie non durable que nous avons, les institutions qui la gouvernent – dans lesquelles les citoyens sont souvent mal représentés – et les sociétés et cultures construites autour du gaspillage des ressources, qui nous laissent sur la voie du chaos climatique. Un changement transformationnel ne sera possible que si le pouvoir en place est réduit, si de nouveaux espaces politiques sont créés et si la représentation est renforcée pour les personnes les plus vulnérables aux effets du changement climatique, qui ont le plus grand intérêt à s’attaquer effectivement à ce problème.

Cela nécessite d’importantes innovations en matière de gouvernance pour approfondir la participation et la représentation, et garantir une large appropriation sociale des processus de transition, comme les assemblées de citoyens, afin de favoriser le dialogue et l’engagement sur les trade-offs complexes impliqués dans le passage à une économie zéro carbone. Le récent rapport de l’Assemblée britannique sur le climat, par exemple, propose une série de mesures progressives ciblant les comportements à forte intensité de carbone, telles que des taxes fréquentes sur les flyer, le soutien aux changements de régime alimentaire et l’interdiction des SUV.1 Il appelle également à des mesures visant à lutter contre le financement de la politique par le biais de contrôles sur les dons aux partis et les postes d’administrateurs, ainsi qu’à fermer les portes tournantes qui opèrent entre les politiciens et les entreprises, afin que les démocraties soient prêtes à affronter la crise climatique.

5. Transformer la société par un changement d’échelle « profond »

À un niveau plus profond, il y a un énorme travail à faire pour nourrir des valeurs et cultiver des pratiques de soins et de communauté, par lesquelles les besoins humains peuvent être satisfaits de manière durable et moins matérialiste, guidés par des tentatives d’imaginer des manières alternatives d’être qui repositionnent l’économie actuelle comme anormale, impermanente et non durable. Il est vital de relier ces points d’intervention par des cycles de réciprocité dans lesquels le leadership des individus, des communautés et des villes est assorti d’un leadership gouvernemental qui ouvre l’espace à d’autres expérimentations ascendantes et aux demandes des mouvements sociaux.

Nous devons également repenser l’échelle. Les approches dominantes de la mise à l’échelle mettent l’accent sur les chiffres et le déploiement d’une manière générique et socialement non différentialisée. Cela a pour effet de décontextualiser la nature du changement et d’obscurcir la responsabilité et l’agence prédominantes de l’action, tout en négligeant d’importantes différences dans ce qui fonctionne et où. Les cadres conventionnels mettent souvent l’accent sur la taille et la portée, puis tombent dans le piège de l’échelle : l’idée fausse que ce qui fonctionne dans un endroit fonctionnera nécessairement ailleurs, ou que les petits changements peuvent être automatiquement et sans problème mis à l’échelle. Ce qui doit être mis à l’échelle, comment et par qui sont des questions essentielles mais négligées, mais qui doivent être au cœur des stratégies à venir. De nombreuses approches impliquent une mise à l’échelle superficielle : il s’agit d’intégrer sans les perturber les tendances clés en matière de consommation et de production, de travail et de croissance.

Nous suggérons qu’une mise à l’échelle plus profonde doit être transformatrice : du niveau individuel au niveau systémique – et inversement – afin de s’attaquer aux causes profondes de notre situation difficile. Étant donné que, dans la pratique, le changement d’échelle « superficiel » et le changement d’échelle « profond » fonctionneront simultanément au sein des sociétés et entre elles au fil du temps, le changement d’échelle en spirale vise à améliorer les réactions entre les deux : passer d’une compréhension linéaire du changement d’échelle à des transformations multiples dans divers contextes, dans une « spirale de durabilité » ascendante. Cela implique des changements de valeurs et une transformation des cultures, ainsi que des efforts concertés pour  » réduire  » les modes de fonctionnement existants et non durables et le contrôle existant sur les systèmes, les infrastructures, le financement et la production.

6. Se concentrer sur les « points chauds » du changement de comportement

Dans le contexte du changement climatique, les défis immédiats en matière de changement de comportement consistent à réduire les émissions liées au mode de vie de l’élite des pollueurs et à concentrer l’attention sur les points chauds tels que l’aviation, l’alimentation et le logement. Les émissions de carbone du régime alimentaire européen moyen s’élèvent à environ 1 070 kg d’équivalent CO2 par an, mais la consommation de viande, d’œufs et de produits laitiers représente 83 % de ces émissions de GES, ce qui indique qu’il existe un vaste champ d’action pour des pratiques alimentaires plus durables. Pour l’aviation, des recherches récentes estiment qu’entre 2 et 4% de la population mondiale flew internationalement en 2018, alors que seulement 1% de la population mondiale était responsable de 50% du CO2 de l’aviation commerciale. Pour que les gains soient protégés et que l’échelle soit atteinte, les environnements favorables doivent soutenir le changement dans l’ensemble de la société d’une manière qui reconnaisse l’agence inégale dont disposent les gens pour satisfaire leurs besoins fondamentaux.

Le changement sera bien sûr réalisé de différentes manières dans différents endroits. Il n’existe pas de théorie unique du changement – ou du changement de comportement – qui s’applique à tous les contextes. La capacité et la vision du rôle approprié du gouvernement, du marché et de la société civile varient énormément dans le monde. Cela devrait nous inciter à nous méfier des prescriptions politiques générales et universelles en matière de changement de comportement. Il existe également d’importantes différences par secteur. Les gens ont plus de contrôle sur leurs choix alimentaires, par exemple, que sur la façon dont ils se rendent au travail ou sur la façon dont leurs maisons sont chauffées et refroidies. Pourtant, même dans le domaine de l’alimentation, il existe également des pratiques et des sensibilités culturelles, identitaires et religieuses profondes qui doivent être prises en compte.

Pour aller plus loin

Le débat sur le changement de comportement doit évoluer. Nous avons besoin d’un compte rendu du rôle du changement de comportement qui soit plus politique et social, qui mette en avant les questions de pouvoir et de justice sociale afin d’apprécier comment les questions de responsabilité et d’agence sont inégalement réparties au sein des sociétés et entre elles. Cela conduit à une compréhension plus holistique du comportement, qui n’est qu’un nœud dans un écosystème de transformation qui relie l’individuel et le systémique.

Il est clair que la mobilisation sociale est essentielle pour faire pression sur les gouvernements et les entreprises afin qu’ils fassent preuve de leadership et qu’ils rendent des comptes sur les décisions majeures qui verrouillent les comportements à forte intensité de carbone. Parmi les exemples, citons le mouvement de désinvestissement et les programmes d’énergie communautaire, ainsi que la pression en faveur de la piétonisation et des villes sans voitures, et contre l’expansion des aéroports. De nombreuses économies alternatives ont été construites de la base vers le sommet par une conception proactive, ainsi que de manière réactive dans un contexte de crise, comme nous l’avons vu en réponse à la pandémie de Covid-19. Exploiter cette innovation sociale et cette mobilisation vers l’objectif d’un changement de comportement à grande échelle est vital pour le succès des efforts collectifs.

Plutôt que de généraliser les comptes rendus sur la nécessité d’un changement de comportement de la part de tous les individus, nous avons mis l’accent sur le rôle du changement de comportement au sein des entreprises, des villes et des États, et de certains groupes sociaux influentiels et gros consommateurs au sein des sociétés. Nous avons mis en évidence les principaux « points chauds » du comportement dans les domaines des déplacements, de l’alimentation et du logement, auxquels il convient d’accorder la priorité. Nous avons également mis l’accent sur les questions de gouvernance, de mobilisation sociale et sur les processus de pilotage collectif nécessaires pour faciliter un changement à grande échelle parmi une diversité d’acteurs, de secteurs et de régions, au lieu de mettre l’accent sur les individus et les ménages. Les objectifs de l’Accord de Paris sur le changement climatique ne peuvent être atteints sans des changements radicaux dans les modes de vie et des changements de comportement, en particulier parmi les membres les plus riches de la société, et de la part non seulement des individus, mais aussi de tous les acteurs de la société.

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Avec tous nos remerciements pour DeepL sans lequeL ce petit travail aurait été impossible. 

Paris, le 17 avril 2021


Illustration : On the luce : « A WEEKEND IN CAMBRIDGE: A 48-HOUR ITINERARY »

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