Ce billet justifie le changement de la devise du blog et la nécessité de s’interroger sur le sens des mots.
Quand nous avons changé la devise du blog en « Et on s’en fout ! », nous avions promis des explications, mais sans imaginer que certains les attendraient avec impatience, et encore moins qu’on pourrait en espérer un « tournant décisif ». Le changement est venu après deux billets écrits avec l’intention très nette de rejeter les discours idéologiques et fumeux, (avec Jancovici en contre-exemple), et rappeler qu’il n’est pas interdit de prendre pour référence la réalité la plus terre-à-terre, c’est-à-dire regarder les choses comme elles sont. Et quand on regarde les comportements comme ils sont, à l’aune de leur réalité physique et non pas des discours, alors on découvre que la formule « on s’en fout » s’applique dans presque tous les cas. A commencer par celui de votre serviteur. Notre état d’esprit n’est pas du tout celui de quelqu’un qui « s’en fout », mais notre vie réelle, de consommateur lambda noyé dans la masse, est bel et bien celle de quelqu’un que les malheurs du monde n’empêchent pas de dormir. Et bien sûr, une écrasante majorité de consommateurs est dans notre cas.
Beaucoup s’efforcent de faire quelque chose, (ils militent ou s’activent pour le climat et l’écologie, cherchent à moins consommer, réfléchissent à des solutions, changent de régime alimentaire et peuvent même « tout envoyer balader »), mais comme ils sont une infime minorité et ne font pas bouger les lignes, c’est bien le comportement de la masse mondiale qui compte, et celui-ci justifie de dire qu’« on ne fait rien ». Mais cela justifie aussi la formule « on s’en fout », parce que, tout bien considéré, elle dit la même chose mais sur un autre plan. La première parle des faits, la seconde de l’esprit ou de la « philosophie » censée produire les premiers selon un modèle qui relève du sens commun. Par exemple un employeur, observant le comportement d’un salarié, peut juger qu’il est négligent ou qu’« il se fiche de son travail » s’il constate qu’« il ne fait rien » de ce qu’on attend de lui.
La locution « on s’en fout » n’a aucune valeur explicative, c’est juste une étiquette pour qualifier un comportement parmi d’autres possibles, et qui s’oppose en l’occurrence à « responsable ». Avec elle, on sort du plan factuel pour entrer dans celui des relations humaines. Il ne s’agit plus d’établir les faits, (désormais connus et reconnus au plus haut niveau), mais de se pencher sur « l’esprit humain » qui les produit, et élaborer des explications qui relèvent plus du pourquoi que du comment. C’est bien ce que nous faisons un peu depuis l’ouverture du blog, par petites touches, en présentant les faits assortis d’une opinion personnelle. Mais la notion de « système » qui focalise notre attention est insuffisante : l’on ressent un immense besoin d’explications sur ce que « nous sommes », sur ce que l’on peut faire ou non, sur la façon d’envisager l’avenir et « nos responsabilités », etc.
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Au départ, notre intention était de rester très factuel, mais aucune explication ne peut être satisfaisante, qu’elle touche ou non à l’essentiel. Dès que l’on met un mot sur l’origine des phénomènes, (le système, l’hybris, la croissance, l’indifférence ou le bug humain), il a pour effet de suggérer que la vérité est ailleurs. On ne peut pas s’en satisfaire parce qu’on ne peut pas s’arrêter de chercher à comprendre. Ce besoin proprement insatiable conduit à la philosophie, mais c’est un domaine où nous n’aimons pas trop nous aventurer, parce que nous tenons à rester près des faits comme les marins d’antan près des côtes. Disons que ce blog a pour vocation le cabotage, non la haute mer qu’il laisse volontiers aux philosophes petits et grands.

Nous nous promettons cependant d’effectuer un « tournant décisif » mais dans notre manière de « critiquer les autres ». En réponse à la question « Que pensez-vous du blog ? », nos lecteurs et lectrices, qui ont oublié d’être bêtes, ont en effet critiquer certaines de nos critiques, et nous ne pouvons que leur donner raison. Elles manquaient de précautions, de motivations et de recul, et cela nous a fait plonger dans la polémique. Mais leur fond était quand même justifié, parce que nous estimons que, parmi les causes de la situation, il y a la « pensée abstraite » : si celle-ci est nécessaire pour comprendre le monde de façon scientifique, elle ne l’est pas du tout à la vie, et elle est conduit à se tromper sur les réalités humaines. Mais beaucoup trop de gens pensent de façon abstraite sans s’en rendre compte, parce qu’ils prennent les mots de leur époque pour argent comptant et se laissent emporter par eux. Ainsi, quand des vegans disent qu’il ne faut pas manger de miel parce que l’on « exploite » les abeilles,1 ils ne pensent pas aux relations concrètes et infiniment diverses qui existent, (ou pourraient exister), entre elles et nous, mais à un concept en rapport avec celui de « ressource » : ils pensent comme les managers et les capitalistes pour lesquels on ne peut que les « exploiter », avec cette seule différence qu’ils vous sermonnent le doigt en l’air parce qu’ils trouvent ça pas bien. Bien sûr que ce n’est pas bien, mais c’est stupide d’en « déduire » qu’il faudrait « arrêter de manger du miel » : cette règle de conduite, elle aussi abstraite en dépit des apparences, est déconnectée de toute réalité.
Sur le même billet précité, un lecteur anonyme a cité Jean-François Revel avec pertinence :
« L’idée de nature est en effet une des plus confuse et, à ce titre, des plus suggestive, des plus significatives dont la philosophie se soit occupée. Elle offre un mélange inextricable de jugements de valeurs, de constatations et d’extrapolations »2
On peut ajouter : et de prescriptions qui baignent dans la morale comme des frites dans le ketchup. Puisqu’il faut des « il faut » pour nous guider et changer le monde, le premier devrait être de s’interroger sur le sens des mots, parce qu’il a été façonné pour faire et décrire l’anthroposphère d’où la nature a été exclue. S’il y a une petite leçon à tirer de ce blog c’est bien celle-ci, et nous ne pensons pas que nous devrions en rougir.
Paris, le 26 janvier 2021
1 Cf. vidéo (à 20′) passionnante avec Vinciane Despret, philosophe, chercheuse au département philosophie de Liège.
2 Histoire de la philosophie, Edition Pocket, pages 346-348.
Plus de publications sur Facebook : Onfoncedanslemur
Permalien : https://onfoncedanslemur.wordpress.com/2021/01/26/et-on-sen-fout/
Je tournais autour de votre billet en essayant de comprendre ce qui ne me satisfaisait pas et comment le dire.
Voilà, ça commence à se dégager mais ça reste brumeux.
Deux arguments dans votre texte. « On n’y peut rien », « nous sommes une infime minorité »
D’ailleurs je note que le texte de l’image « et on s’en fout non ? » une interrogation donc.
On n’y peut rien
Le « et on s’en fout » de ce billet porte sur la dynamique présente, en cours, que d’ailleurs vous analysez dans les autres billets, la mécanique à grande échelle qui dépasse tout engagement individuel, d’entreprise, d’état et même de groupement d’états. « On s’en fout » car c’est trop vaste, car je ne vais pas ruiner ma vie alors que ça ne servira à rien de rien. « On s’en fout » car il faut faire les courses pour manger et acheter un cadeau pour l’anniversaire d’un aimé etc. alors oui, « on s’en fout » mais il est tellement identique à « on n’y peut rien » qu’il dit en plus provoc’ ce que vos autres billets disent en très argumentés.
Une infime minorité
Je crois qu’une immense majorité de gens ont entendu la question du climat, de l’écologie, du développement durable, de l’énergie verte, de la souffrance animale ou autres choses connexes très nombreuses et profonde et même une encyclique du pape. On nous rebat les oreilles à longueur de journée dans tous les niveaux de messages macros et micros.
Je crois qu’une majorité sent le dérangement intérieur confus de ces questions qui deviennent de plus en plus présentent dans leur esprit, dans celui de leurs amis, parents, et surtout enfants. Ils ont de plus en plus de mal à s’en débarrasser mais chaque prise de conscience d’un geste à faire, les amènent à devoir en faire un autre un peu plus engageant et à remettre de plus en plus de chose en question, c’est trop vaste, c’est collant, ils se découragent ils deviennent fatalistes et qui peut leur jeter la pierre ?
Mais ils ne s’en foutent pas, la problématique non traitée, laissée sans mot, sans solution, empeste l’air comme un gaz non brulé qui s’accumule dans les communautés et c’est là qu’une idée, non pas une solution va déclencher une explosion – de pensées – de visions – de spiritualité – sociale ?
C’est une histoire d’accumulation de forces.
D’un côté les idées de plus en plus intelligentes provoquent la déconstruction de nos fonctionnements, de notre avenir, de notre progrès et accélère l’accumulation de questions dérangeantes dans la société.
D’un autre côté, la spiritualité, la religion, les intuitions, les forces inconscientes de l’esprit, notre boite noire, accumulent des solutions primaires et millénaires à ces questions et l’histoire est pleine d’horreur sur les boucs émissaires qui vont être désignés successivement avant de pouvoir recouvrer nos esprits égarés par trop d’émotions non traités et pouvoir continuer a vivre et réfléchir au prochain pas.
« sera spirituel ou ne sera pas » m’ouais faut voir comment car le spirituel est le meilleur et le pire de ce que nous sommes
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« Mais ils ne s’en foutent pas (…) » : c’est le fait que j’ai dit le contraire qui ne vous satisfait pas ? Je n’ai pas bien saisi votre commentaire faute d’y retrouver ce que vous annoncez dans votre incipit. Bien sûr qu’ils ne s’en foutent pas, mais dans quel sens ? Et bien, au sens où ils sont préoccupés d’une façon ou d’une autre. Mais si l’on considère ce qu’est la vie réelle de l’écrasante majorité, alors tout se passe comme si « tout le monde s’en foutait ».
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Comme vous voulez et cela sans souci, c’est votre blog et encore bravo de le tenir – j’ai depuis longtemps fait l’expérience que les bonnes discussions se font face à face, si possible dans des conditions sympathiques, nous pensons avec nos corps aussi et les discussions sur des sujets un peu trop flous ; posant problèmes ; importants, ne peuvent pas vraiment évoluer de manière épistolaire. enfin c’est un avis horriblement et certainement simpliste.
Ne tenez pas compte de tout cela.
merci encore.
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