Iran : risque de guerre ?

Le 10 mai, juste après la décision de Trump du 8 de se retirer de l’accord sur le nucléaire iranien, Israël a lancé des représailles en Syrie (soit disant) en réponse à des attaques sur le Golan : 28 avions engagés et 70 missiles tirés. Même le Monde en a parlé de façon non univoque : « Périlleuse escalade entre l’Iran et Israël » : « Au lendemain du retrait des Etats-Unis de l’accord sur le nucléaire, Tel-Aviv a pris prétexte de tirs sur le Golan pour mener une vaste opération contre les forces iraniennes en Syrie. » N’est-il pas étrange que Trump rouvre le dossier iranien que l’on croyait clos, (au moins pour quelques années, et sous haute surveillance), juste après avoir dénoué comme par miracle celui de la Corée du nord ? Certes, les jeux olympiques auront joué leur petit rôle, mais pour la galerie, ne soyons pas dupes, il faut bien afficher une raison officielle pour ne pas avoir à avouer les vrais marchandages en coulisses. Quoiqu’il en soit, Kim Jong Un le paranoïaque a subitement renoncé à ses essais nucléaires, et, deux semaines plus tard, nous voyons le danger mortel de la prolifération nucléaire retomber sur l’Iran.

Cet heureux « hasard du calendrier » nous laisse avec l’impression que ce ne doit pas être tout à fait un hasard. Nul n’ignore que Trump est depuis toujours farouchement opposé à l’Iran, qu’il a toujours détesté cet accord signé par son prédécesseur haï, et que son premier conseiller à la sécurité nationale, Michael Flynn, avait déclaré : « Nous ne ferons plus semblant de ne pas voir les actions hostiles et belliqueuses de l’Iran envers les États-Unis et la communauté mondiale. » A cause de ses gaffes et de son orientation pro-russe, Michael Flynn n’avait pas fait long feu, mais sa nomination n’en était pas moins significative des espoirs de Trump au début de son mandat. Aujourd’hui, celui-ci donne l’impression d’avoir les mains libres, et sa décision sonne comme le coup d’envoi d’une escalade.

Tout le monde s’en inquiète à juste titre, le mot « guerre » se retrouve sous toutes les plumes :

  • WSWS : « Washington et Tel Aviv se dirigent vers une guerre avec l’Iran »
  • Politis : « Après le discours de Donald Trump : Une volonté de guerre »
  • Slate : Trump « a exacerbé l’instabilité du Moyen-Orient, et il a potentiellement amplifié les risques de guerre dans la région. Une guerre que certains complices du président appellent de leurs vœux. »

Mais quel(s) risque(s), pour quelle guerre ? Les commentateurs se gardent bien de le préciser. L’on peut même se demander s’il n’y a pas quelque chose d’impie à évoquer des « risques » alors que la Syrie n’est pas encore sortie d’une guerre destructrice qui dure depuis 7 ans, et que le Yémen est en proie à une crise humanitaire horrible. De fait, la guerre est depuis longtemps engagée par l’État hébreu sur le territoire syrien, (sous forme de « frappes » sporadiques), et risque seulement de gagner en intensité et en « tension ». Avec l’Arabie Saoudite engluée au Yémen et la Turquie en prise avec les Kurdes, qui serait disposé à faire vraiment « la guerre » ? Avec quels objectifs ? Tout le monde est déjà en guerre au Moyen Orient, l’idée d’un nouveau conflit « avec l’Iran » laisse rêveur. De plus, comme le relate ce billet, le vrai but de Netanyahu pourrait être « son besoin désespéré de détourner l’attention des multiples enquêtes sur la corruption interne contre lui et sa femme ». C’est bien possible, en effet, mais cette hypothèse fait fi du cauchemar des Israéliens devant « l’arc chiite », (en illustration de ce billet), et n’explique pas le dévouement sans faille de Trump pour Israël, dévouement illustré par le retrait de l’Unesco, le transfert de l’ambassade à Jérusalem, et maintenant le retrait de l’accord iranien.

Cette rupture, combinée aux grandes déclarations de Netanyahu sur les prétendus mensonges de l’Iran, combinée à une intensification des « frappes », combinée à l’apaisement avec la Corée du nord, combinée avec le fait que la « menace nucléaire iranienne » n’est de toute façon qu’une « fable », (Bruno Guigue), nous fait dire que tout cela relève d’une tension artificiellement créée avec une arrière-pensée : préparer l’opinion occidentale à l’apparition d’une « révolution de couleur ». Fin 2017, le JDD expliquait ainsi les manifestations survenues en Iran : « Mais l’accord sur le nucléaire iranien signé en en juillet 2015 et la levée des sanctions économiques ont peiné à porter leurs fruits. Lors de l’élection présidentielle en mai dernier, l’objectif de 50 milliards de dollars d’investissements étrangers par an était loin d’être atteint. » Du coup, l’on ne s’étonne pas que Trump insiste pour que les entreprises européennes renoncent à leurs juteux contrats, ni que les cours du pétrole s’envolent…

Une guerre frontale ne pourrait pas venir à bout du « régime des mollahs », parce que l’Iran est un grand pays peuplé de 82 millions d’habitants, (deux fois l’Irak), et parce qu’elle susciterait des réflexes nationalistes et justifierait toutes les mesures du gouvernement. Mais entre des « sanctions » qui rendent la vie de plus en difficile et des morts qui s’accumulent lentement dans une guerre d’usure où la nation n’est pas vraiment en danger, il est facile de souffler sur les braises du mécontentement populaire, de créer du désordre, d’infiltrer des terroristes, etc. etc. Cette hypothèse présente enfin un grand mérite : elle fait passer la rupture de l’accord pour beaucoup plus raisonnable qu’elle ne se présente à première vue : car la guerre n’est pas vraiment son but, et les Européens divisés se coucheront comme d’habitude devant l’Oncle Sam.

EDIT le 12 mai : on peut lire les Chroniques du Grand jeu sur le sujet, très intéressant.

Paris, le 11 mai 2018


Illustration, le Figaro : « Pourquoi la Syrie est le théâtre d’affrontements entre Israël et l’Iran »

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