EDIT le 28 novembre 2020 : article caduc, des données récentes montrent que les ondulations du jet stream n’ont pas augmenté de manière significative. Lire ici : « L’altération du courant-jet par le réchauffement arctique, une théorie dépassée ? » Citation :
« Alors que la zone polaire nord s’est réchauffée à un rythme continu au cours des dix dernières années, la circulation atmosphérique n’est pas devenue plus ondulante. Les épisodes hivernaux observés aux moyennes latitudes n’ont pas vu leur occurrence augmentée et le refroidissement asiatique observé sur la période 1990-2010 ne s’est guère poursuivi. »
Autres explications dans cet article du CNRS :
« Ces résultats suggèrent la nécessité d’une meilleure compréhension des facteurs qui déterminent la persistance des conditions météorologiques [les fameux blocages] et rappellent que l’attribution des conditions météorologiques extrêmes récentes à une stagnation accrue des méandres du courant-jet doit être faite avec prudence. »
SciencePost en parle aussi dans cet article en date du 30 janvier 2021.
Dans son numéro de juin 2018, Pour la Science publie l’article d’une scientifique américaine, Jennifer Francis, intitulé : « La grande débâcle de l’Arctique ». Ce titre très parlant signifie que le climat de l’Arctique est en train de se déstabiliser. « L’Arctique est devenu imprévisible, et ses changements sont peut-être irréversibles » dit un inter-titre : l’autrice n’ose pas écrire que les changements en cours vont s’aggraver en cascade, et que l’on ne sait pas où ils conduiront.
Les chiffres
- La banquise estivale sera réduite à zéro en 2040, (60 ans plus tôt que prévu en 2003).
- En 4 décennies, elle a perdu 50% de son étendue et 80% de son volume.
- Le Groenland perd 280 milliards de tonnes par an, et en a perdu 4000 milliards depuis 2002.
- La température hivernale de l’air a crû de 9°C depuis 1979, et se maintient tout l’hiver.
- L’humidité a augmenté de +40% depuis 1979.
- L’amplification arctique, (termes désignant l’écart de réchauffement par rapport au reste du monde), est de +4,4°C en 2016.
L’air arctique de plus en plus humide
Plus la banquise se réduit, plus l’océan est soumis au rayonnement solaire et absorbe de la chaleur : c’est le plus facile à comprendre, mais ce phénomène en entraîne d’autres en cascade. La banquise isole de moins en moins l’atmosphère de l’océan, de sorte que la première se réchauffe et se charge en vapeur d’eau qui est un puissant gaz à effet de serre. De plus, cette vapeur d’eau peut se condenser : il y a formation d’une couche nuageuse qui libère de la « chaleur latente »1, et joue un rôle de « bouclier thermique » : la chaleur piégée dessous contribue à la fonte des glaces.
Courant-jet et « blocages »
Chaleur et humidité viennent aussi du sud, mais selon des phénomènes différents. Pour les expliquer, il faut s’intéresser à la structure globale des masses d’air.
D’un pôle vers l’équateur, chacun des deux hémisphères est divisé en trois régions qui font le tour de la planète, et un courant-jet, (ou « jet stream »), est installé en permanence entre chacune. D’après Wikipédia, la « formation des courants-jets résulte de la rotation de la Terre et du réchauffement inégal de l’atmosphère terrestre » entre les pôles et l’équateur, et « se forment dans les zones de conflits entre les masses d’air ayant des propriétés différentes appelées fronts, dans lesquels il existe un grand différentiel de température et de pression ».
Dans son article, Jennifer Francis explique que : « Le courant-jet polaire a une influence sur la météorologie de l’hémisphère nord. En temps normal, lorsque l’air polaire est très froid, ce courant est vigoureux et souffle d’ouest en est selon une trajectoire à peu près rectiligne. En revanche, lorsqu’il faiblit (en réaction à des températures élevées en Arctique), il se met à onduler. Des masses d’air glacial descendent vers le sud et, ailleurs, de l’air chaud [et humide] monte vers le nord. Par ce mécanisme, des épisodes neigeux ou de canicule peuvent s’installer durablement aux latitudes moyennes. »
Les méandres du courant-jet s’amplifient donc par moments et se stabilisent sur des périodes allant de quelques semaines à deux mois : c’est ainsi que du froid polaire se retrouve piégé au-dessus des États-Unis, ou qu’une chaleur estivale s’établit durablement sur la Scandinavie, comme c’est le cas en ce moment. Les spécialistes parlent de « blocage météorologique », une situation appelée à devenir de plus en plus fréquente et que l’image suivante illustre bien :
Ce sont ces « blocages » qui font dire à l’autrice que : « Les importantes oscillations du courant-jet polaire ont également amené des bouffées record d’humidité et d’air chaud jusqu’aux hautes latitudes ».
Le vortex polaire est une dépression d’altitude centrée sur le pôle qui maintient près de la surface un anticyclone thermique, (à « cœur froid »), et parfois deux dans le cas de l’Arctique, l’un « près de l’Île de Baffin et l’autre au-dessus de la Sibérie du nord-est ».
L’autrice écrit : « La perturbation du courant-jet aura peut-être [précaution précaution] d’autres conséquences. De grandes ondulations du courant, associées à un fort réchauffement de l’Arctique, peuvent perturber le vortex polaire. (…) Comme un retour à l’envoyeur, un effondrement du vortex polaire provoquera alors des oscillations très amples du courant-jet, qui remonteront d’importantes quantités d’air chaud des basses latitudes vers l’Alaska et le Grand Nord. Nous verrons alors s’installer une nouvelle boucle de rétroaction qui accélérera le réchauffement arctique. » Rien n’est sûr, donc, mais « de nombreuses recherches sont menées sur ce sujet et devraient livrer rapidement des réponses. »
Lacunes des modèles
Les modèles climatiques ne sachant pas prendre en compte tous les phénomènes, les prévisions les plus alarmistes seront en deçà de la réalité. Les phénomènes ignorés sont :
- L’accélération de la disparition de la banquise, qui favoriserait aussi la fonte du Groenland.
- Le dégel du permafrost avec son activité bactérienne produisant du CO2 et du méthane.
- L’apparition/disparition des « blocages météorologiques ».
- La suie des feux de forêts qui vient se déposer sur les glaces à la faveur des phénomènes décrits ci-dessus.
L’opinion du néophyte
A la vue de tous ces éléments, le néophyte en climatologie comprend que les glaces de la banquise et du Groenland produisaient un climat stable, auto-entretenu, car le froid y était trop « massif » pour se faire déstabiliser par l’air chaud des zones tempérées. Le néophyte comprend aussi que cette époque est révolue. Inutile de mettre des « peut-être » partout, on a compris le message : le climat arctique est en train de se disloquer, et rien ne viendra l’arrêter.
Paris, le 1er juin 2018
1 En gros, la chaleur latente est celle qui a servi à briser les liaisons entre molécules d’eau à l’état liquide et qui a ainsi provoqué leur évaporation. La condensation libère cette chaleur latente, de sorte que de très petites gouttelettes d’eau liquide peuvent se former, et produire ainsi l’apparition de nuages. Pour en savoir plus et s’arracher les cheveux, Wikipédia : « Enthalpie de changement d’état »
Lire aussi : « Comment expliquer l’amplification Arctique? » : signale d’autres phénomènes non évoqués ici.
Lire aussi : « Le courant-jet a perdu le Nord »
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bonjour, « l’autrice », ça pique un peu, quand même 😛
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Oui, et c’est bien pour « piquer » que je l’ai retenu. J’ai été convaincu (de l’employer) par un excellent article sur Slate. Il fut une époque où il était accepté comme « auditrice », jusqu’à ce que des académiciens machos le refusent. Finalement, c’est une question d’oreille. Avec l’habitude il ne piquera plus. 🙂
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