La Convention Citoyenne pour le Climat aura eu au moins le mérite de révéler « qui pense quoi », mais cette révélation n’a rien apporté qui puisse surprendre. Le programme qui en est sorti n’étant pas très jouissif, il s’est fait dégommer sur TF1 en quelques secondes, et à une heure de grande écoute. La journaliste commence par demander si « ces propositions sont économiquement réalistes », et l’on devine que la réponse est dans la question. Ensuite « l’expert » répond par les précautions d’usage, (ce « travail a le mérite d’anticiper des objectifs qu’il nous faut atteindre »), avant d’entrer dans le vif du sujet : « pour autant, c’est un voyage vers la décroissance qui nous est proposé ». Le « pour autant » signifie que la décroissance n’a rien à voir avec les objectifs considérés comme seuls légitimes. Et voilà, la guillotine est tombée, immédiatement suivie de la mise en bière du cadavre : « Ce que vise en fait la Convention, c’est revenir à l’économie du confinement à perpétuité. »
Ce genre de réactions nous offusque, évidemment, à l’heure où 65% des Français pensent que « la civilisation telle que nous la connaissons actuellement va s’effondrer dans les années à venir ». Sur Facebook, Jean-Marc Jancovici et Arthur Keller ont aussitôt critiqué ces réactions, et nous saluons avec ferveur leurs publications, mais, mais, mais…
Leurs critiques visent les consommateurs égoïstes, inconscients et individualistes, dont nous avons expliqué, (dans « Producteurs et consommateurs » et « Hippopotamus exemplum »), qu’ils ne sont pas responsables en tant que consommateurs. Ils le sont toutefois quand ils expriment leurs opinions, car ainsi ils pèsent lourdement dans le débat public et peuvent bloquer des initiatives salutaires, notamment celles qui visent les émissions de GES. François Lenglet, le bourreau guillotineur, est le représentant de tous ces gens dans l’esprit desquels le consommateur a toujours raison du citoyen dans l’éternel combat du Bien et du Mal.
Malheureusement, si cette approche est correcte, alors il est facile de comprendre que les tenants du statu quo ne vont pas se priver d’en jouer. C’est exactement ce qu’a fait TF1 en agitant le spectre de la décroissance sous le nez des téléspectateurs-consommateurs, pour bien leur signifier qu’ils vont encore trinquer. Toutes les grosses chaînes étant calées sur la même idéologie, l’on retiendra de cet exemple rudimentaire que l’opinion des consommateurs est manipulée, précisément parce qu’elle joue un rôle considérable. Les capitalistes ont tout intérêt à montrer que le système est bon, pour masquer tout le mal qu’il peut faire. Unilever et Coca-Cola viennent de nous en administrer une preuve magistrale en suspendant leur pub sur Facebook auquel ils reprochent de laisser s’exprimer la haine et le racisme. Et l’on se souvient de « United colors of Benneton » qui avait exhibé son « humanisme » à la face du monde, dans les années 80/90.
Les consommateurs sont manipulés par le choix des images massivement diffusées/occultées, ce que montre le montage ci-dessus où l’on devine que l’image de pub n’est pas celle de gauche. Ils le sont aussi par le choix des sujets « débattus » à la télévision, ou plutôt jetés en pâture au public pour le faire réagir dans un certain sens. Comme le dit Bonpote, c’est « terrible », parce que les voix informées et raisonnables ne font pas le poids :
« Vous imaginez les millions de téléspectateurs qui ont écouté Lenglet : combien d’entre eux sont allés recouper l’info et se faire leur propre avis ? Combien ont juste conclu que ‘la convention citoyenne ils veulent la décroissance et qu’on reste tous confinés’ ? C’est terrible. Terrible parce que nous n’avons pas le même impact : quelques milliers de lecteurs vs des millions de téléspectateurs. Terrible parce que cela concerne l’avenir de tout le monde, et 99.99% des français s’en contrefichent. C’est dire le travail qu’il reste à faire. Mais nous pouvons tout de même nous réjouir : ces 150 propositions font réagir et sortiront, espérons le, beaucoup de français du déni.1 »
C’est pourquoi, s’il est logique de critiquer les consommateurs pour justifier des mesures allant contre leurs mauvaises habitudes, il ne faut pas espérer que la démarche soit couronnée de succès. Le « travail qu’il reste à faire » est titanesque et ne peut progresser qu’avec une lenteur désespérante, car tout dans le système s’y oppose, à savoir :
- Le financement de l’information : personne ne payera jamais pour publier des informations ou des opinions contraires à ses intérêts ou convictions. Les médias appartenant tous à des groupes privés, les informations contrariantes pour leurs intérêts sont reléguées dans des niches. Sachant par ailleurs que les multinationales ont des intérêts « croisés », aucune ne financera des études susceptibles de nuire à ses consœurs.
- Les problèmes réels sont horriblement compliqués et rébarbatifs, alors que la consommation est aussi agréable à pratiquer que simple à comprendre. Le montage ci-dessus le montre bien : le côté pub n’a besoin d’aucune explication, mais la scène à gauche n’a aucun sens si l’on ne connaît pas le lieu où la photo a été prise, (au Congo), ce que font ces hommes, (extraire du cobalt), pourquoi ils sont obligés de faire ce travail, (la misère), à quoi sert ce cobalt, (aux batteries), etc.
- Les sociétés modernes se gouvernent par les affects, notamment la peur comme l’a bien remarqué Bonpote dans le même article, et le sempiternel « nombre de morts » sans lequel rien n’est important. Comme noté dans un précédent billet2 : pas de morts → pas de gros titres → pas d’importance. Cela signifie que « la raison » n’y joue pratiquement aucun rôle. Comme l’a dit Bourdieu, « il n’y a pas de force intrinsèque des idées vraies ».
Il est certain qu’une part de plus en plus large de l’opinion s’inquiète pour de bon, et qu’elle est prête à accepter des changements, mais est-ce le cas des élites qui nous gouvernent ? Martin Luther a connu le succès avec ses « 95 thèses » parce qu’il a bénéficié du soutien de celles de son époque, (sinon le bûcher n’aurait pas traîné), mais les « 150 propositions » font plutôt l’unanimité contre elles. D’après l’excellent blog de Samuel Gontier, « Ma vie au poste », l’État profond est sur le sentier de la guerre. Petit florilège :
- BFMTV : « 110 km/h : le retour de l’écologie punitive. »
- CNews : « C’est pas ça, la démocratie participative. C’est pas cent cinquante personnes qui ont été soumises à des pressions multiples de tous les lobbies écolos. »
- Le Figaro : « La Convention citoyenne entre impasse et coupe-gorge. » [tape fort c’ui-là]
- Challenges : « Convention citoyenne, un modèle de bien-pensance. » [chiffon rouge]
- L’Opinion : « Oxfam, les dessous d’une supercherie. »
- Canal+ : « Cent cinquante propositions, c’est trop, il y aurait mieux valu dix choses chocs. »
- Yves Calvi : « (…) on ne parle pas des solutions. »
Ils n’est pas dit qu’il ne faut rien faire, ni que le réchauffement climatique est une illusion, simplement que ces propositions sont nulles et non avenues. Ces médias agissent manifestement pour étouffer le débat, disons-même pour le tuer dans l’œuf. Que peut-on ajouter à ce constat sinon qu’il prouve que « le système », comme nous le répétons à longueur de billets, ne peut qu’écraser toute tentative de changement qui nuirait à ses intérêts ?
Paris, le 1er juillet 2020
1 Notons en passant que sa conclusion est absurde : comment espérer que « beaucoup de Français sortiront du déni » juste après avoir écrit que « 99,99% s’en contrefichent » ?
Illustration : « Old books illustrations »
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