Débats débiles

A la demande d’un internaute : critique d’un principe de Vincent Mignerot : « il est impossible de protéger l’environnement ».


Tout heureux de croiser sur Facebook un « mignerotien » qui avait fait des posts intéressants, nous lui avons aussitôt proposé d’écrire un billet pour prendre la défense de Vincent Mignerot en guise de réplique à notre critique récente. Malheureusement, au lieu de répondre à notre proposition, il a voulu nous « réfuter », et notre conversation a tourné au « débat » qui s’est avéré « débile » comme nous allons le voir. Avant d’en considérer le fond, regardons simplement la forme. Notre interlocuteur en est venu à multiplier les reproches sur notre manière de débattre :

Mignerot-extrait-1

Et ce n’est qu’un échantillon. Le débat a dérapé, le mode conversationnel a tourné à l’irritationnel avant de s’achever en merdationnel…

L’impossible argumentation

Cette forme pour le moins irritante vient du fait que, dans un débat, chacun croit « argumenter » alors que, du point de vue de son adversaire, il n’argumente pas : il avance seulement des raisons « creuses » qui ne sont pas de vraies réfutations. Chacun croit contredire logiquement son adversaire, (et donc que celui-ci devrait entendre raison), alors que la contradiction n’existe que dans l’esprit de celui qui parle. La raison en est que votre adversaire n’admet pas vos arguments, il ne les entend pas ou croit les réfuter, de sorte que finalement chacun brasse du vent. Et c’est « débile » de brasser du vent en croyant dire des choses « intelligentes ». CQFD.1

Il est temps de rappeler qu’une langue naturelle n’est pas « logique » : s’il est possible, dans certains cas bien précis, d’affirmer que telle proposition en contredit (ou confirme) une autre, on ne peut pas le décider dans le cas général, il n’y a pas de procédure pour cela, (et pas encore d’IA pour faire l’arbitre). Il suffit du reste de commencer une phrase par « oui mais » pour poser une contradiction qui n’en est pas tout à fait une. Dans la réalité, tout est flou, gris plutôt que blanc ou noir, vrai en partie ou sous certaines conditions, etc., et l’on devrait considérer la parole comme une façon codifiée de « dessiner » ce dont on parle, donc comme quelque chose que l’on ne peut pas contredire logiquement : on peut seulement dire autre chose. Les humains ont inventé le langage pour représenter la réalité, non pour dire ou contredire une vérité quelconque : cela n’est qu’une possibilité subsidiaire dont les conditions ne se trouvent jamais réunies dans un débat. (Sur les réseaux sociaux ou un « plateau télé ».)

Le possible

Mais le langage ne sert pas qu’à décrire les faits établis, il sert le plus souvent à spéculer sur tout et n’importe quoi au fil des époques. Du sexe des anges à la supériorité de la race aryenne, la liste est infinie, parce que les humains s’intéressent beaucoup plus à ce qui pourrait être qu’à ce qui est. Cela nous amène à considérer le statut du possible dans nos représentations, et rappeler sa définition ne sera pas un luxe. Le possible est ce qui :

« remplit les conditions nécessaires pour être, exister, se produire sans que cela implique une réalisation effective ou que l’on sache si cette réalisation a été, est ou sera effective. »

Autant dire qu’il n’existe pas au même titre que ce qui « est réel », « effectif », « avéré » ou « établi », il n’existe que dans les esprits. Ainsi est-il possible que les Chinois entreprennent de « contrôler les cycles de l’eau du plateau tibétain » d’après un récent post de Jean-Marc Jancovici. Ils ne l’ont pas encore fait mais s’y préparent, cela semble possible selon eux, et l’on ne peut pas savoir si leur entreprise sera couronnée de succès, ni si les pays voisins auront de quoi s’en plaindre. Produit par effet du discours, il faut et il suffit d’imaginer le possible pour le faire apparaître, mais pas dans la réalité bien sûr. Et puisqu’il ne correspond à rien de réel, le possible ne se décide pas, contrairement à ce qu’à dit VM. (Cf. « Critique de Vincent Mignerot »)

Peut-on protéger l’environnement ?

A la demande de notre débatteur, nous allons maintenant critiquer la thèse de Vincent Mignerot selon laquelle « il est impossible de protéger l’environnement ». Pour une raison qui nous échappe, c’est une idée qui a l’air d’être centrale et fondamentale chez lui et les « mignerotiens », nous avions d’ailleurs été conduit à la réfuter une première fois dans « Et si Le Partage avait raison ? »

Mignerot-extrait-2

En pratique, la question est « vite répondue » : il est en effet impossible de « protéger l’environnement » à l’échelle de la planète, avec ses 8 milliards d’habitants entraînés dans une consommation frénétique. Donc Mignerot a raison. Mais il serait plus juste de dire que le système lui donne raison, car, sur le plan discursif, c’est une autre histoire. Comme toujours avec lui, nous sommes d’accord sur les faits, pas sur ses explications qui nous sortent les yeux de la tête.

Commençons par le plus simple et le plus concret : il est tout à fait possible de protéger l’environnement dans une certaine mesure. La preuve, c’est qu’on le fait à certains endroits, comme l’atteste le parc de Yellowstone mondialement célèbre. L’assertion « il est impossible de protéger l’environnement » est donc fausse, elle est contredite par des faits tangibles et bien connus. Que peut-on en conclure ?

Mignerot-extrait-3Quand une assertion est vraie dans certains cas et fausse dans d’autres, ce ne peut pas être une idée fondamentale, sinon il faut l’exprimer autrement. La vraie idée fondamentale sous-jacente, (qui n’a rien d’originale), est que « nous sommes de grosses machines à entropie ». Cela justifie qu’on ne puisse pas effectivement protéger l’environnement au niveau global, mais cela n’implique pas que ce soit impossible par principe. Le possible n’exigeant que d’être pensé pour être, il est tout fait « possible de protéger l’environnement », même s’il devait s’avérer qu’on n’y parvienne jamais comme on le voudrait, et même si une loi de la nature devait rendre l’entreprise aussi absurde que l’obsession du pompage chez les Shadoks. Tout et n’importe quoi est possible dès lors qu’il se trouve quelqu’un pour le dire, sans cela Kafka n’aurait jamais pu écrire La Métamorphose, il serait impossible d’entrer au paradis du bon dieu, (alors que c’est possible selon les croyants), on n’aurait jamais découvert la physique quantique, l’espèce humaine n’aurait peut-être pas survécu et la planète ne serait pas dans l’état que nous lui connaissons. On pourrait dire plus simplement : tout est possible avec les hypothèses ad hoc.

Le discours de Vincent Mignerot n’est pas faux par rapport à la réalité, c’est sa logique discursive qui ne va pas. Il considère comme un « fait » que « l’humanité ne peut pas protéger l’environnement », alors que cette assertion est un principe. On peut utiliser un principe quand rien n’oblige à la rigueur, il relève alors de ces généralités vagues qui sont le lot commun des conversations humaines. Mais on ne peut pas en faire une vérité forte, digne d’être soutenue, et encore moins la pierre angulaire d’un discours car :

  • Un principe doit être vrai tout le temps et partout, il ne souffre pas d’exception sous peine de tomber dans le ridicule.
  • L’humanité, c’est tout le monde et les générations futures, de sorte qu’on ne peut pas savoir ce dont elle est ou sera capable.
  • Même s’il est vrai aujourd’hui que « la protection de l’environnement est impossible » en pratique, rien ne dit que ce fut et que ce sera toujours le cas.
  • « L’environnement » est un concept au même titre que « la nature » : une infinité de lieux et milieux constituent « l’environnement » d’êtres vivants, de sorte qu’on ne sait pas de quoi on parle.
  • Pour ce qui est de « protéger », soit il faut préciser dans quel sens on prend ce mot, soit il faut admettre qu’une multitude d’actions peuvent avoir un effet protecteur plus ou moins efficace, même quand l’intention n’y est pas.

Mignerot-extrait-4Bref, avec ce principe on nage dans le flou le plus absolu, (qui s’ajoute à l’évanescence du possible), mais des gens ne s’en rendent pas compte, se prennent au sérieux et bataillent comme des petits diables pour « réfuter » ou « démontrer ». Vincent Mignerot profère parfois des énormités, mais pour ses adeptes c’est « s’égarer dans des trous de lapins » de lui en tenir rigueur. Non, l’usage des termes est crucial pour qui a la prétention de faire des théories et d’être reconnu pour tel. Exemple : dans cet article de haut niveau, Christophe Darmangea critique le fait qu’un auteur a utilisé la notion de surplus sans donner de définition précise. De façon analogue, on s’attend à ce que Vincent Mignerot définisse ce qu’est le possible avant de prétendre que « l’humanité ne peut pas protéger l’environnement ». 

Paris, le 7 janvier 2021

1 Échanger des arguments dans ce genre de débat, c’est comme de jouer aux échecs sans déplacer les pièces, en annonçant seulement les coups : ça ne peut pas marcher, sauf entre deux grands maîtres qui ont une mémoire extraordinaire. Et je ne parle pas de tous les autres défauts qui émaillent ce genre de conversation, par exemple quand il me dit : « n’inverse pas les rôles » alors qu’aucun rôle n’avait été fixé.


Lire aussi : « Raisonnements et pouvoir de conviction »

Illustration : photo de l’artiste Stan de son œuvre : « Dichotomie II ». Sur la page en lien, il montre toutes les étapes de la création de l’œuvre.

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Permalien : https://onfoncedanslemur.wordpress.com/2021/01/07/debats-debiles/

7 commentaires sur “Débats débiles

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  1. DÉBAT MOINS DÉBILE [DÉBAT D’IDÉES] (suite 1) : ainsi la proposition de Vincent Mignerot (qui est l’idée centrale dont vous faite la critique dans votre article) « l’humanité ne peut pas protéger l’environnement  » est statistiquement vrai. = = = Vous expliquez de façon satisfaisante ce que entendez par le mot « PRINCIPE », ce qui est intéressant. Par contre vous n’expliquez pas du tout pourquoi il semblerait que VM voit cette idée comme un fait (ce que VM ne dit pas lui-même). Il serait intéressant d’expliquer aussi ce que vous entendez par « logique discursive ».

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    1. Alors là, bravo ! Votre critique est tout à fait pertinente ! Effectivement, je n’explique pas pourquoi « VM voit cette idée comme un fait ». Je le suppose à la façon étayée dont il en parle. Je viens de le réécouter dans son interview chez Theswissbox à partir de 24’40. Parmi ses arguments, il avance qu’il n’y a « aucune étude scientifique qui dise que l’humanité en tant qu’espèce est capable de protéger son milieu ». Cette protection ne pouvant pas avoir lieu, il ne la considère évidemment pas comme un fait (accompli ou accomplissable), mais comme un NON-FAIT. Mais les non-faits s’opposent sémantiquement aux principes de la même façon que les faits.

      Quant à la « logique discursive », c’est simplement la logique que chacun utilise ou expose pour « argumenter » dans ses discours en français ordinaire. C’est une logique souvent fausse ou sans valeur et toujours subjective. Le plus souvent, le locuteur associe deux idées dans son esprit, et déclare que l’une est un argument pour l’autre. Mais à l’écoute, il est possible que l’on ne voie même pas de lien. Et quand le lien est avéré, l’argument est parfois tellement nul qu’il ne mérite pas le nom d’argument. Si l’argument est parfaitement recevable, l’auditeur peut ne pas l’accepter pour des raisons subjectives, de sorte qu’à ses yeux c’est un non-argument. C’est ainsi, comme je l’explique dans ce billet, que chacun a l’impression que l’autre n’argumente pas ou n’a aucune « logique discursive ».

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  2. (JE PROPOSE UN DÉBAT MOINS DÉBILE ?) Toutes les sciences qui ne sont pas des sciences exactes (toutes les sciences qui ont pour base les mathématiques, par exemple, la physique (incluant la thermodynamique), l’astronomie, etc.) sont toujours basées sur des statistiques, surtout les sciences humaines (psychologie, médecine, etc.). Les sciences humaines sont toujours statistiquement fausses si on analyse les cas individuels ou particuliers. Évidemment, il est exagéré de prétendre que dans les sciences humaines il y a des lois comme en physique. Vincent Mignerot n’énonce pas une loi de la physique… humaine lorsqu’il dit qu’à une échelle globale « nous ne pouvons pas protéger l’environnement » (le mot biosphère serait ici plus approprié). Je pose par contre une autre question (que je crois pertinente) : les statistiques sont-elles des vérités scientifiques ?

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    1. Les stats font partie des méthodes scientifiques. Quand on ne peut pas décrire autrement un fait ou un phénomène, les scientifiques se rabattent sur les stats. Ils s’en servent même dans les sciences exactes, notamment en physique des particules pour déterminer par exemple si un certain un évènement est dû ou non au hasard. Quand les stats sont faites de façon rigoureuse, avec élimination des biais, alors oui, on peut dire qu’il en résulte une « vérité scientifique ».

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    2. Votre question me fait penser à un article dont j’ai malheureusement perdu le lien. Cette étude concluait simplement que, dans le golfe de Guinée, « les arbres vieillissent anormalement », (plus qu’autrefois). Et bien; pour seulement prouver cette seule et simpliste assertion, elle comportait une quarantaine de pages bourrées de tableaux, de courbes et de chiffres en tous genres. Que des stats. Infernal à lire pour le profane. Quand la vraie science parle, calcule et raisonne, c’est autre chose que monsieur et madame Toutlemonde qui « réfute » ceci ou cela.

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    1. Affirmatif ! Une argumentation digne de ce nom a besoin d’une bonne distance et de beaucoup de temps, elle ne peut pas s’écrire dans le feu d’un débat comme on fait un blitz aux échecs. Dans ce jeu, (dont on peut comparer les coups aux arguments d’un débat), la matérialité de l’échiquier et des pièces, ainsi que les règles très précises, font qu’il est possible au final de savoir qui a tort (c’est le perdant) et qui a raison (c’est le gagnant) même si tout se déroule très vite. Avec le langage, c’est impossible.

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