Brève réaction au portrait de Jean-Marc Jancovici par Hervé Kempf.
Dans son portrait de Jean-Marc Jancovici, qualifié de « réactionnaire », Hervé Kempf jette les bases de sa critique dès l’introduction :
« Mais au niveau mondial, le défi que pose le changement climatique n’est pas entre le nucléaire, une technique sur le déclin, et les énergies renouvelables, il se pose plutôt dans l’ampleur respective de la sobriété et de l’abondance énergétique, abondance qui devient de plus en plus incertaine en contexte de changement climatique et de pic pétrolier probable. Ce clivage renvoie à des choix politiques collectifs. »
Il saute aux yeux qu’il a écrit pour plaire à son lectorat avide de « solutions écologiques » :
- Il minimise le nucléaire dont la technique serait « sur le déclin ». En fait non, elle évolue comme les autres, ce n’est pas le prochain Minitel.
- Il minimise aussi le pétrole dont le pic serait « probable », alors qu’il est derrière nous. De toute façon, à terme il n’est pas « probable » mais certain.
- Les choix politiques seraient « collectifs », (🤣 🤣 🤣), alors que Jancovici représenterait, (et même incarnerait avec sa « prospère » PME), l’ordre capitaliste dont les méfaits ne sont que trop bien connus.
Hervé Kempf a raison sur le fond : le « défi » se pose bel et bien « dans l’ampleur respective de la sobriété et de l’abondance énergétique », mais ainsi posé il est purement théorique, il reste à le relever en proposant des solutions effectives au niveau mondial. Et que nous proposent les écolos ? La décroissance. On n’a rien contre, notez-le bien, mais la bonne question est : quelles sont ses chances ? Et quelles sont les chances de faire décroître le système mondial « en bon ordre », c’est-à-dire avec un minimum de violences ? Et de surcroît « sans contrainte », avec seulement des « choix politiques collectifs » ?
Nous qui le suivons depuis longtemps sur Facebook, nous ne l’avons jamais vu nier que le « défi » est mondial, et qu’il tient « dans l’ampleur respective de la sobriété et de l’abondance énergétique », mais il le dit en d’autres termes : « nucléaire ou barbarie ? » C’est le dilemme qu’il rabâche sans relâche, il est connu pour ça, mais Hervé Kempf n’est pas fichu de le placer une seule fois en trois articles, comme si l’on pouvait faire le portrait de Luky Luke sans Jolly Jumper.
Nous n’allons pas passer au crible cet article que d’aucuns ont d’ores et déjà qualifié de « torchon » : Hervé Kempf est un journaliste éminemment respectable, et c’est bien plus grave. En effet, à situer le dilemme entre sobriété et abondance plutôt qu’entre nucléaire et renouvelables, il déplace la problématique du domaine technique vers celui des idéaux, domaine où l’intéressé n’a évidemment rien à dire, mais en rapport duquel le sien ne peut être que « réactionnaire », parce que l’on ne vit pas dans un monde idéal où tout le monde serait heureux comme au paradis. Les idéaux excluant « la barbarie » par construction, (hormis dans certains cas historiques bien connus), les écologistes ont beau jeu de pousser Jancovici dans les cordes, et même de lui reprocher d’« évacue[r] toute dimension sociale », alors qu’elle est au fondement de son dilemme.
Retranchés en leurs idéaux, les écolos n’ont pas encore intégré que les énergies renouvelables, après qu’elles auront été déployées à grande échelle au niveau mondial pour compenser la fin du pétrole, (et plus encore si l’on abandonne le nucléaire), provoqueront à leur tour des dégâts écologiques considérables. Pour l’heure il n’en paraît pas trop, parce qu’elles ne font guère que 10 à 15% du « mixe mondial », mais quand ce ne sera plus le cas, et qu’elles seront en concurrence avec le transport pour ce qui est des matières, (puisque l’on sera à l’heure du « tout électrique »), le paysage sera bien différent, et pas à l’avantage de « dame nature », (ni du reste à celui du bon peuple dont les écolos se soucient tant).
L’énergie est bien LE problème, le seul et unique problème, car sans elle les gens ne peuvent plus vivre, et avec elle c’est la nature qui ne le peut plus. De même que tout être vivant doit acquérir de l’énergie pour assumer ses fonctions vitales, toute société doit produire de l’énergie pour assumer les siennes : LE problème est donc de choisir les moyens les moins risqués en termes de dégâts écologiques, et pour cela il faut discuter techniques, non se retrancher derrière le petit doigt de ses idéaux. C’est pourquoi l’article de Hervé Kempf est grave : au lieu d’expliquer à ses militants ce que représente l’énergie en termes de besoins pour la société et de risques pour la nature, ce qui devrait motiver quiconque s’intéresse à Jancovici, il en dresse un « portrait » repoussoir.
Tout cela est très décevant, et nous confirme, malheureusement, qu’il n’y a rien à attendre ni à espérer des « écologistes ».
Paris, le 30 mai 2021
Illustration : Pinterest
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La décroissance n’est simplement pas compatible avec la vie urbaine, notamment dans les méga(lo)poles.
Je ne sais pas pourquoi mais mon petit doigt me dit que Mr Kempf vit précisément dans l’un de ces lieux et que c’est ironique.
Quand au nucléaire, vu toutes les startups (et gouvernements) qui sont sur le coup … possible que rien n’aboutisse, mais on ne peut pas encore dire que c’est sur le « déclin » même si la vielle industrie est sur le déclin, certes.
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Je suis d’accord mais ne mettez pas tous les écolos dans le même panier. J’en fais partie et je ne crois ni à la croissance verte, ni au développement durable, ni que les énergies hors fossiles soient « vertes » ou « renouvelables » (leur extraction est un désastre écologique et les métaux les composant sont en quantité limitée). Je constate néanmoins comme vous que nombre d’écolos de bonne foi, mal informés, n’ayant pas approfondi ces questions, prônent ou croient en ce que j’énumère dans ma deuxième ligne.
Comme vous dites, nous ne savons plus vivre – du moins les sociétés occidentales – sans énergies fossiles. Mais leur impact détruit la nature, pour de multiples raisons, en autres climatiques.
La chute est proche de toute façon, au plus tard dès la décennie 2030 (dernier rapport sur le pic pétrolier rédigé par des experts de haut niveau, commandé par le Ministère des Armées, cf. la page du Shift Project). Et tout le monde va tomber des nues.
Les « renouvelables », ou même le nucléaire, sont d’ailleurs des excroissances de la société pétrole. Donc…
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Arthur Keller m’a fait exactement le même reproche sur FB, alors je vous copie/colle ma réponse :
Disons que Hervé Kempf est dans le courant des écologistes qui ont obtenu la fermeture de Fessenheim et la programmation de la fermeture de 14 centrales nucléaires, donc dans le courant qui a le plus de poids politique. Les autres ? Peanuts ! Tout le monde sait que « les écologistes » sont très divisés, mais avec cette série d’articles, sur un site de référence qui prétend être « le quotidien de l’écologie », et qui se veut politique mais sans étiquette, Hervé Kempf a porté atteinte à l’image « des écologistes » dans leur ensemble. C’est à lui qu’il faut s’adresser.
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Attention, le rapport du Shift est loin d’annoncer formellement le pic pétrolier pour 2030. Déjà il ne parle que de l’Europe (et de ses approvisionnements actuels) dont la consommation de fossile est DEJA en déclin alors que la consommation (et donc la production) continue d’augmenter au niveau mondial.
Ensuite, il a une grosse (vraiment très GROSSE) incertitude sur le LTO. Ils le disent et je le confirme. Du pétrole il en reste encore assez pour finir de cuire la planète si on continue d’améliorer nos technos d’extraction.
Si le pétrole double de prix, certes on peut avoir quelques soubresauts comme en 2008, mais le marché finira par s’adapter car au final, même doublé, ça reste négligeable comme part dans le PIB.
Je suis un ancien picquiste convaincu mais les données m’ont fait changer d’avis, ou du moins fortement nuancer, je connais parfaitement tout le dossier, j’ai passé 10 ans l’étudier et à bloguer dessus. Je n’ai pas la science infuse, mais voila, le fait est que le pic est loin d’être une certitude.
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Sur le LTO, je ne savais pas, sinon je pensais à l’Europe, c’est le cadre qui convient pour le sujet du billet, et donc nous sommes d’accord : le pic est bien derrière nous.
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Le LTO m’a pris la tête pendant des années, je ne parvenais pas à comprendre si c’était un ponzi ou une « révolution » comme ils le prétendaient, et surtout si c’était perrène. Apparemment au Shift ils se posent les même questions que moi, trop difficile à démêler. Ceci dit le potentiel est immense à l’échelle de la planète.
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Bonjour Yoananda
A l’époque de Oil Drum où je découvrais la déprimante question de la déplétion des pétroles, je remarquais bien sûr votre pseudo dans tous les coins du net avec l’image bien mémorielle du cerveau de Homer et vos post à fond dans le sujet. Je vous lis avec surprise comme « ancien peakiste avec un commentaire du type « pas grave si doublement du prix – à la fin adaptation » en décalage avec ce que j’ai cru constater en 2008 ?
Votre autre commentaire sur ce qu’il reste du pétrole pour bruler la planète, m’interroge moins, oui, il restera beaucoup de pétrole mais aussi de charbon que personne n’ira chercher, ni bruler, car le nœud économique se sera refermé sur la gorge des investisseurs et des producteurs et de nos organisations.
Les peakistes simples (un peak une fois pour toute et tout est fini) ont muté bien sûr, mais Gail Tverberg continue ses analyses mouvantes et trop magiquement suiveuses des évènements, Auzanneau est devenu diplomate ou commercial pour le client Défense nationale, qui, lui veut alerter sans alarmer afin d’avoir un message efficace ? Reste Antonio Turiel, toujours aussi solidement pertinent et totalement peakist dur.
Ces questions sont si difficiles et floues que la confiance dans l’interlocuteur est importante pour moi. J’avoue qu’il y a plus rationnel comme argument…
Les réflexions sur les différentes formes de pétroles, leurs finalités, qualités, réserves prouvées et les EROI(s) et les prix etc. sont sans fin car la situation est d’une complexité folle et surtout sombre, il y a des jeux croisés que je ne comprends pas, bien sûr, mais qui comprends tout ?
Pour autant il y a déjà de nombreux pics concrets de conventionnels par pays puis au global, et le LTO US est incompréhensible en termes économiques primaires, La baisse des investissements mondiaux en recherche est notable et certaine, les faibles découvertes sont certaines, Les réserves de certains pays qui ne bougent pas depuis plusieurs décennies sont totalement suspectes car uniquement politiques, les lourds bitumeux qui ont du plomb dans l’aile, les graphiques de l’IEA qui donnent une déplétion de l’existant gigantesque avec cette étrangeté LTO US en lévitation avant tout financière qui a tout sauvé mais semblant d’une fragilité incroyable etc.
Bref, Il y a des pétroles disponibles mais pas à des prix abordables et fondamentalement il semble bien que l’économie ne sache pas supporter un doublement des prix, mais vous savez tout ça déjà et bien mieux.
Alors voilà, je suis surpris que vous sembliez ne pas faire de la baisse de ce type d’énergie un moteur essentiel de l’effondrement qui vient et cela rapidement ?
Je sais que ces questions demanderaient des kilomètres d’explications et d’hypothèses et que ce n’est pas le bon format mais voilà, venant de vous avant tout intéressé et gourmand de deux, trois commentaires de votre part si possible pour éclairer ceux qui recherchent à tâtons un peu de lumière
bien à vous
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Je rejoint dans les grandes lignes les constats que vous établissez dans votre parorama.
Par exemple (sauf erreur) Gail avait annoncé le pic pétrolier pour 2019. On est en 2021.
Pour que vous comprenniez comment j’ai évolué, il y a eu 2 étapes importantes depuis mon époque purement « picquiste » mais, sachez que je n’ai pas bougé sur la notion d’effondrement : on est en plein dedans !
1ère étape : afin de cadrer mes réflexions je m’astreint à tenter des prédictions. Je m’étais dit : le pic pétrolier (y compris avec le LTO) devrait arriver en 2017 +/- 2 ans. Le LTO s’est effondré comme prévu fin 2015, sauf qu’il est repartit de plus belle mi 2016 (après l’élection de Trump). Ca ne collait pas avec mon modèle. Donc quelque chose n’allait pas. J’ai tout repris à zéro sur le pic pétrolier, et notamment la notion d’EROEI que j’ai complètement réfuté (en ce qui me concerne).
2ème étape : j’ai découvert les travaux d’un gus (j’ai oublié son nom) sur la démographie aux USA, et lui expliquait « tout » via le veillissement de la population, y compris ce qui se passe sur le pétrole. Je ne sais pas s’il a raison, mais je ne sais pas non plus s’il a tort, et ce qui est sûr c’est que sa théorie est au moins aussi valable que celle du pic pétrolier pour expliquer les phénomènes macro-économiques. L’une et l’autre sont « indiscernables ».
Ces 2 étapes m’ont fait sérieusement douter de la question du pic pétrolier. Entre temps, les années ont passées, et je me suis progressivement éloigné de la théorie du pic pétrolier, jusqu’à finalement ne plus vraiment y croire. Bien sûr, ce n’est pas du 100%, je continue de penser que la question énergétique est primordiale. Maintenant je réfléchis plus en terme de « cliquet malthusiens ». Même à l’époque de mon blog j’avais toujours dit « à technologie constante ». Depuis j’ai pas mal mieux compris ces histoires d’innovation, entre technologies de ruptures et améliorations incrémentales.
Toujours est-il que l’occident s’effondre. Pas à cause du pic pétrolier, mais il s’effondre. Ca se voit dans tous les domaines, et particulièrement en France. La Chine au contraire semble en plein essor. Du coup est-ce que la thermo-civilisation-globale va s’effondrer ? je n’en sais rien.
Je surveille presque au jour le jour les innovations technologiques, et ça bouge énormément de ce coté. Ca fait partie des choses qui sont importantes car pic pétrolier ou pas, si on a d’autres formes d’énergie, ça ne changera pas grand chose. Le micro-nucléaire est l’un des technologies qui montent (pas la seule) qui pourrait faire en sorte que la « civilisation-globale » continue, malgré l’effondrement (partiel ?) de l’occident.
Il n’est pas évident de bien séparer tous les facteurs en jeux et de dresser un tableau d’ensemble cohérent. J’ai été obligé de simplifier énormément pour ne pas faire une réponse trop longue, mais voila ou j’en suis, grosso-modo.
Le pic pétrolier est devenu un facteur « secondaire » voire même « mineur », alors qu’il était LE facteur principal dans mes anciennes analyses.
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D’accord avec la conclusion mais pas d’accord avec le nucléaire. Les énergies renouvelables ne sont pas non plus, une solution. Donc décroissance de fait avec probablement barbarie ou pas, car la prise de conscience planétaire est un élément non mentionné qui échappe à toutes analyses mais qui sera l’élément clef du bien être de notre future organisation. C’est pour cette raison que je ne soutiens pas Jancovici, si brillant soit-il, qui raisonne avec des idées de l’ancien monde.
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« Décroissance de fait » ? Certes, mais vous pensez à une décroissance choisie ou subie ?
« prise de conscience planétaire » ? En matière d’écologie, ça n’existe pas.
« idées de l’ancien monde » : ceux qui lui reprochent l’option nucléaire, le font probablement aussi parce qu’ils voient dans cette énergie la croissance dans le contexte de laquelle on l’a développée. Mais c’est fini, et Jancovici est le premier à rappeler que la croissance est derrière nous.
« notre future organisation » : de quoi sera-t-elle faite si les ENR « ne sont pas non plus une solution », et si vous ne voulez pas non plus du nucléaire ?
« avec probablement barbarie ou pas » : vous ne prenez pas de risque à parler ainsi…
Cordialement
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