Petite histoire du rapport Meadows

Le rapport Meadows a été critiqué sur des bases politiques, alors qu’il se base sur un modèle physique et a-politique.


L’histoire du « rapport Meadows » se confond à l’origine avec celle du Club de Rome, ainsi décrit par Wikipedia :

« Piloté à sa création par Aurelio Peccei, un Italien membre du conseil d’administration de Fiat, et Alexander King, un scientifique et fonctionnaire écossais, ancien directeur scientifique de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), il doit son nom au lieu de sa première réunion à Rome, à l’Académie des Lyncéens le 8 avril 1968.

Le Club de Rome se fait connaître mondialement en 1972 par son premier rapport, The Limits to Growth (littéralement Les limites à la croissance), connu sous le nom de « rapport Meadows » et traduit en français par l’interrogation « Halte à la croissance ? ». Son interpellation intervient à l’apogée de la période dite des Trente Glorieuses, une période de croissance sans précédent dans les pays développés et qui laissait penser que celle-ci était sans limite imaginable. Le concept de croissance zéro, que ce rapport ne préconisait pas, fut néanmoins une des idées fondatrices de l’écologie politique. »

Ensuite l’on peut lire cette page de Reporterre.net qui confirme son retentissement, et résume fort bien sa conclusion en écrivant : « le système planétaire va s’effondrer sous la pression de la croissance démographique et industrielle », mais le déforme déjà quand il prétend qu’il « préconise donc de stabiliser la population et la production à l’échelle mondiale ».

Non, le rapport ne préconisait aucune solution, et il faut lire sa présentation par Jean-Marc Jancovici pour se convaincre que ses « auteurs indiquent clairement qu’il ne fait pas partie de leurs prérogatives de préconiser la décroissance ou d’indiquer les moyens d’y parvenir ».

Reporterre.net énumère les critiques dont il a fait l’objet, et qui résultent toutes d’une mésinterprétation de son contenu, (« un appel à la croissance zéro »), ce que confirme sa traduction en français sous le titre « Halte à la croissance ? » au lieu de « Les limites de la croissance ».

Avec le recul, les critiques relevées par Reporterre.net, – que je présume historiquement véridiques -, s’avèrent quelque peu cocasses, qu’on en juge :

  • il a pris le « point de vue et les intérêts des pays riches, au détriment des pays pauvres » : alors que le modèle est non régionalisé…
  • « la satisfaction des besoins fondamentaux » pour les pays pauvres n’est pas prise en compte.
  • il « témoigne d’un point de vue occidentalo-centré ».
  • « gommant les rapports de domination entre groupes de pays », ce qui est vrai, il conduirait à « geler les inégalités de richesse en leur état de 1972 ».
  • le modèle étant produit par des ordinateurs, il incarne « la domination technologique des Etats-Unis ».
  • on en fait le « témoin de la volonté d’une élite mondiale de préserver ses privilèges, au détriment du plus grand nombre ».

Bref, Reporterre.net a retenu des critiques « de gauche » venues en réaction à une thématique « de droite » sur les méfaits et dangers d’une croissance démographique incontrôlée : « la croissance démographique est portée à son climax par le biologiste Paul Ehrlich, qui fonde en 1968 l’organisation Zero Population Growth [Croissance démographique zéro], et affirme la même année que dans l’intérêt de l’humanité dans sa globalité, il vaut mieux laisser une partie de l’humanité mourir de faim afin que la population globale ne dépasse pas un niveau critique ».

Et Reporterre.net de demander : « Le rapport Meadows tient-il plutôt du catastrophisme à la Ehrlich [démographie] ou du catastrophisme à la Commoner [techniques industrielles] ? » La réponse était dans l’introduction : « le système planétaire va s’effondrer sous la pression de la croissance démographique et industrielle »

Ce « et » annonce clairement que l’effondrement ne viendra pas de telles causes particulières mais d’un ensemble très vaste de causes concourantes, et elles sont concourantes parce qu’elles interagissent les unes sur les autres. C’est ainsi que selon Jean-Marc Jancovici :

  • « Le changement climatique dérivé de cette « pollution » sera susceptible d’affaiblir la production agricole, ou de diminuer l’espérance de vie des hommes (via des maladies qui apparaissent là où elles n’existaient pas, des sécheresses aggravées, des destructions d’infrastructures essentielles, des conflits, et encore des risques divers), exactement comme la pollution du modèle du MIT était censée avoir ces effets ».
  • « plus nous desserrons la contrainte sur les réserves de combustibles fossiles (c’est-à-dire plus il y en a) et plus nous augmentons la pression liée au changement climatique ».

Autrement dit, toute solution efficace pour éviter l’effondrement ne peut que retarder son échéance, car, même si l’on parvenait à stabiliser la production industrielle et la population mondiale, ce qui entraînerait de facto la stabilisation de tout le reste, les ressources non renouvelables finiraient par s’épuiser, et le système par s’effondrer. Au demeurant, comme le montre la page déjà citée de Jean-Marc Jancovici, tous les scénarios alternatifs exposés dans le rapport Meadows conduisent aussi à un effondrement.

L’on voit que cette conclusion n’a strictement rien à voir avec les débats de l’époque qui portèrent sur ces trois axes : la démographie, le développement nécessaire aux « pays sous-développés », et la répartition des richesses avec le « club des riches » en position d’accusé. En revanche, l’on comprend bien que ces débats annonçaient le « développement durable », car il n’y avait pas d’autre piste face à l’inéluctable mathématiquement promis.

Aujourd’hui, le débat est « confisqué » par tous les « optimistes » qui n’ont de cesse de mettre en avant leurs « solutions », et derrière lesquels se cachent, (fort mal), l’industrie lourde et ses multinationales où les BRICS, emmenés par la Chine, s’efforcent de rattraper leur « retard ». Non, ils ne sont en retard, pour certains, que du PIB, mais leur modèle est depuis longtemps celui du capitalisme occidental, ce qui justifie a posteriori le modèle mondial mis au point par Meadows et son équipe.

Donc, même si le rapport se trompe quand il situe en 2030 le début du recul de la population mondiale, (et non pas vers 2100 selon les projections démographiques officielles), il a nécessairement raison à long terme. L’effondrement est inéluctable et confirmera la citation bien connue de Paul Valéry : « Nous autres, civilisations, savons maintenant que nous sommes mortelles ».

Terminons sur cette citation de Meadows piochée dans un article de Slate de 2012 :

« Si la croissance était un remède miracle contre la pauvreté, elle n’existerait plus», répond-il du tac au tac. «Et du reste, croyez-vous vraiment que ceux qui avancent cet argument se soucient vraiment du sort des pays pauvres? S’ils s’en souciaient, ils auraient déjà réglé le problème! Occupons-nous donc d’abord de notre propre comportement. Car une chose est sûre, ce n’est pas l’Afrique ou les pays pauvres qui ont pollué notre planète ou épuisé une partie de ces ressources. Ce sont les Etats Unis et les pays du monde développé. »

Paris, le 1er octobre 2017


Illustration : Alain Musset

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Permalien : https://onfoncedanslemur.wordpress.com/2017/10/01/petite-histoire-du-rapport-meadows/

2 commentaires sur “Petite histoire du rapport Meadows

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