25 février 2017
Dans les années 50, alors que le pétrole coulait à flot pour un prix défiant toute concurrence, l’on pouvait croire, ou plutôt il fallait croire qu’il était inépuisable, c’était bon pour l’industrie et le « way of life » américains. Quelques décennies plus tard, le tableau est bien différent :
- Le stock mondial restant était d’environ 1000 milliards de barils en 2012.
- On consomme environ 30 milliards de barils par an.
- Divisez 1000 par 30, vous obtenez 33 (ans), ajoutés à 2012 cela donne 2045.
Autrement dit, il n’y aura plus une goutte de pétrole en 2045. Aussi ridicule qu’il y paraisse, cette question de « la dernière goutte » n’est pas une fantasmagorie alarmiste, le ministre saoudien de l’Énergie a récemment déclaré qu’elle serait extraite en Arabie Saoudite par la Saudi Arabian Oil Company. Bien sûr loin d’être avérée, « la dernière goutte » est d’ores et déjà dans les esprits, un signe qui ne trompe pas. Du reste, il est impossible que les élites capitalistes l’ignorent car, même si le monde est imprévisible à un horizon de 30 ans, la fin du pétrole promet d’être aussi gigantesque que la croissance et les changements qu’il a permis depuis 1900.
D’autres signes, plus sérieux que la vantardise d’un ministre saoudien, montrent que le « zéro pétrole » exerce déjà un influence pesante.
- La volonté de la Chine de forcer la main de l’Arabie Saoudite pour vendre son pétrole en yuans. Selon l’excellent site de géopolitique « Chroniques du grand jeu » : « Octobre 2017 : un économiste de renom prévoit le remplacement par Riyad du dollar par le yuan, le roi saoudien effectue une visite historique à Moscou et les Russes vont vendre des batteries S400 à l’Arabie saoudite. » Craignant des représailles de la part de l’Oncle Sam, l’Arabie Saoudite cherche une protection russe.
- La crise au Venezuela : s’agissant du pays disposant des plus importantes réserves, il serait naïf de ne pas y voir la preuve que de très fortes « tensions » se font déjà sentir à l’approche de « la dernière goutte ».
- Le projet de Nicolas Hulot « d’éradiquer » les moteurs thermiques d’ici 2040.
- Et celui de Google d’être « 100% énergie renouvelable d’ici la fin 2017 », dans quelques mois. Les quantités en jeu sont ridicules, quelques gigawatts-heures, mais la publicité retentissante.
En principe, il ne devrait pas y avoir de « dernière goutte », car les efforts pour réduire la consommation vont s’accélérer partout dans le monde, de sorte que la demande finira par chuter avant l’épuisement absolu des réserves exploitables. Mais est-ce une raison pour être optimiste ? Non, car d’autres chiffres sont inquiétants.
Pour que la « transition énergétique » fonctionne, il faudrait d’ores et déjà réduire la consommation de pétrole, or l’on constate qu’elle est sur un « plateau » : l’on consomme donc plus d’énergies renouvelables, mais elles viennent s’ajouter à celle du pétrole pour assurer la croissance du PIB mondial, actuellement de 2% environ. Si ce chiffre semble faible, il faut cependant savoir que beaucoup de pays, y compris européens, ont une croissance d’au moins 5%, ce qui devrait doubler leur PIB en moins de 15 ans pour certains. Et comme le PIB n’est jamais que de l’énergie transformée, (Jancovici : « Il est donc logique que la contrepartie économique de notre production, traditionnellement mesurée par le PIB, varie comme la consommation d’énergie – c’est à dire la quantité de machines au travail – bien avant de varier comme la population – c’est à dire la quantité d’hommes au travail. »), l’on peut prévoir un transfert de la consommation pétrolière des pays « en voie de transition » vers ceux qui n’ont pas les moyens de « virer leur cuti ».
Un transfert mais pas une réduction. C’est d’autant plus probable que les pays producteurs, habitués à la « manne pétrolière », ne voudront sûrement pas réduire délibérément leur production : ils se verraient confrontés à une baisse de revenus intolérable en régime capitaliste. Pourquoi se sacrifieraient-ils alors qu’eux aussi ont besoin de beaucoup d’argent pour faire leur propre transition ? De plus, le pétrole reste l’énergie primaire de loin la plus dense, (47 mégajoules/kilo), la plus facile à utiliser, la plus facile à stocker et transporter.

Il devrait donc être pompé jusqu’à la dernière goutte, (d’autant plus que le moindre signal de pénurie peut avoir des effets désastreux), mais des facteurs d’ordre économique vont probablement intervenir avant sa fin dernière. C’est qu’une croissance du PIB mondial de 2% en rythme annuel conduit à son doublement en 30 ans. Comme le PIB c’est de l’énergie, cela signifie que les 30 milliards de barils actuellement consommés chaque année devraient monter à 60 milliards en équivalent pétrole ! (Sans parler des autres sources dont la consommation devrait globalement doubler aussi.) C’est totalement irréaliste du fait que les énergies renouvelables sont très gourmandes en ressources minérales non renouvelables, et que le « 100% renouvelable » n’est qu’un leurre.
Donc le PIB ne doublera pas d’ici 2045, donc la croissance deviendra nulle, puis négative par effet d’entraînement. Il se trouve justement qu’un certain « rapport Meadows » prédisait en 1972 que la production industrielle fléchirait au voisinage de 2020 avant d’amorcer une chute irrésistible, jusqu’à tomber en 2030 à son niveau de 1970 après une chute de 50% :
Comme on le voit aujourd’hui, la production per capita est stimulée par la « transition énergétique », la grande foire du « capitalisme vert », qui exige tout ce dont le capitalisme a besoin : une vision d’avenir, des nouveaux produits, des extractions, de la finance, du commerce, de l’ingénierie, etc. Mais tout cela devant se faire avec une économie à 99% « pétrolisée », donc sous haute tension, ce n’est réalisable qu’à condition de retirer de plus en plus de consommateurs du banquet. (Se rappeler Jancovici cité ci-dessus : « le PIB, varie comme la consommation d’énergie, c’est à dire la quantité de machines au travail, et non comme la quantité d’hommes au travail ».) Autrement dit, le capitalisme va continuer ce qu’il a déjà amorcé : d’une part susciter des guerres comme au Moyen Orient car des pays ruinés voient leur PIB chuter, d’autre part appauvrir les populations comme on le constate en Europe à travers sa politique d’austérité et le sort réservé à la Grèce. Le tout en maintenant une « atmosphère cool » chez les futurs gagnants, ceux qui seront assez forts pour ne pas se faire bombarder.
En un mot : la fin des moteurs thermiques pour « sauver le climat » servira avant tout à sauver le capitalisme, afin que les futurs bénéficiaires continuent de profiter d’un confort qui sera toujours plus mal réparti. La « transition écologique » est logique : ne pouvant plus tirer sur la corde du pétrole sous peine d’y laisser toute crédibilité, le capitalisme tire sur celle des énergies renouvelables sans garantie aucune de parvenir à ses fins.
Finalement, même si « la dernière goutte » n’est pas pour demain, elle existe belle et bien sous forme d’une épée de Damoclès dont la présence suffit à produire ses effets.
Illustration : https://fr.wikipedia.org/wiki/Damoclès_(mythologie)#/media/File:Damocles-WestallPC20080120-8842A.jpg
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