Rien de plus détestable que l’usuelle métaphore « du verre à moitié plein et à moitié vide », parce qu’elle suppose qu’une chose et son contraire peuvent toujours être embrassés ensemble, d’un seul regard, au point de ne former qu’un tout. Un verre « à moitié plein » étant bien sûr identique au même verre « à moitié vide », elle est utilisée pour disqualifier un discours « pessimiste » en le réduisant à une « manière de voir », ou au choix arbitraire de considérer un seul aspect des choses. L’optimisme serait seul à considérer « ce qui est », (le vin dans le verre), le pessimisme s’attachant au contraire à « ce qui n’est pas » puisqu’il n’y a rien dans le vide. Fidèle à la réalité, Wikipédia nous explique que le pessimisme, pour parler trivialement, « n’a pas la cote », sa dimension psychologique pouvant aller jusqu’à la dépression dont « Aaron Beck explique qu’[elle] est consécutive à des perceptions négatives parfois surréalistes du monde. »
Mais les optimistes aussi ne voient qu’un seul aspect des choses : le « bon côté de la médaille » qu’il est impossible de contempler en même temps que son revers. Montrer l’endroit et l’envers dans un même texte conduit à le faire plus long et plus compliqué, à être moins affirmatif, moins convainquant et moins conclusif, de sorte que l’on ne s’étonnera pas de trouver des caricatures d’optimisme dans des textes courts à visée propagandiste.
En témoigne cet article du Web : « Tempêtes et Bouleversements dans les Energies ». Emporté par son élan, l’auteur le termine ainsi : « Nous vivons des mois historiques et passionnants. » Des « mois », alors que les « bouleversements » en question concernent les milliards de barils de pétrole que l’on consomme chaque année dans le monde. Mais une pluie de signes annonciateurs devrait lever jusqu’au dernier doute, (liste à survoler et contempler) :
- « N’en jetez plus ! Nous avons la chance d’assister à un brassage de cartes qui touche toutes les énergies et pulvérise les certitudes. »
- « Au sommet de la pyramide, l’or noir tremble. »
- « Après l’Angleterre, la France, la Norvège, l’Inde, c’est au tour de Pékin de s’interroger sur l’interdiction programmée des ventes de voitures à pétrole. »
- « les prix de vente des véhicules à essence et électriques devraient arriver à parité d’ici à 2025-2029 ».
- « les pétroliers s’inquiètent de l’impact sur la consommation ».
- « il n’est pas surprenant » (de voir les majors investir dans l’électrique).
- « Même dans le ciel, la révolution s’installe. Un premier avion électrique capable de transporter 10 personnes sur 1’000 km est à l’essai. »
- « Le nucléaire voit son avenir dans son sabordage ».
- « EDF avoue que l’électricité nucléaire n’est financièrement plus compétitive face au solaire et à l’éolien ».
- « l’arrêt du nucléaire allemand a précipité la course au démantèlement des réacteurs. »
- « les réacteurs nucléaires ainsi que les centrales à charbon et à gaz [considérés comme des] actifs risqués. »
- « Chute des prix de l’électricité ».
- « Pour la deuxième année consécutive, les investissements mondiaux dans les énergies renouvelables vont dépasser ceux des énergies fossiles. »
- « d’ici à 2040, le prix du solaire devrait encore diminuer de 66% et l’éolien de 47%. »
- « La parité avec les énergies fossiles sera atteinte dans les 10 années à venir. »
- « Le prix de l’électricité solaire devrait atteindre 2,5 ct € le kWh. »
- « la Chine a clairement pris le leadership mondial sur les énergies. »
- « Le citoyens: cet homme qui avait disparu des cartes ».
- « Même s’il reste encore des quantités phénoménales de pétrole et de gaz dans le sol, les ouragans de ces dernières semaines ont délicatement souligné les contours du réchauffement climatique. »
- « Cerise sur le gâteau, le citoyen, qui n’a pas eu droit au chapitre durant des décennies, a maintenant la possibilité technique de devenir lui-même un producteur et vendeur d’énergies. Qui aurait pensé que cet oublié reprenne le contrôle? »
Ici, le bon côté de la médaille c’est seulement l’électricité comme évolution technique : ses prix vont baisser et ses applications s’étendre. Le revers de la médaille, c’est tout ce qui reste à considérer avant que le rêve ne devienne réalité : l’électricité qui n’est pas une énergie primaire, les volumes en jeu, la durée de transition, ses risques et incertitudes, les coûts en matières premières et l’inévitable pollution assortie de ses coûts sociaux.
Essayons de changer de perspective : pessimisme et optimisme ne sont des contraires qu’en tant que catégories linguistiques, au même titre que le bien et le mal. Dans la réalité, « faire l’amour avec quelqu’un » n’est pas le contraire de « torturer quelqu’un », même si ces deux comportements sont à juste titre perçus comme étant aux antipodes l’un de l’autre. De façon analogue, être pessimiste devant des changements technologiques n’est pas le contraire de s’enthousiasmer : c’est seulement montrer qu’ils apporteront de nouveaux problèmes, et donc qu’il serait bon d’y réfléchir avant de les imposer à grande échelle.
Leaders d’opinions et managers d’actions ne sont évidemment pas tentés de prêter l’oreille aux pessimistes avec lesquels tout devient subitement plus compliqué. Dans « Critiquer le progrès, la parfaite recette du malheur », un honorable membre de l’Institut Molinari, (think tank libéral et climatosceptique), soutient que : « Défendre une approche positive, c’est s’exposer à la vindicte de ceux qui considèrent que la mise en avant des progrès conduit à occulter les dysfonctionnements, voire même à les légitimer. »
Alors que la métaphore du verre laisse croire que notre vindicatif pessimiste voit la même chose que le conciliant optimiste mais de façon différente, l’analyse de ce texte montre que le pessimiste ne considère pas les mêmes choses : il ne regarde pas au même endroit. Le pessimiste regarde sous le tapis pendant que l’optimiste se perd dans la contemplation de ses arabesques.
Dès son incipit l’article tape fort : « L’an passé, l’écrivain suédois Johan Norberg, a publié un livre d’une grande fraîcheur, se faisant l’avocat d’une vision résolument positive et optimiste. » Cette « grande fraîcheur » signe le renouveau d’une pensée prête à bousculer les vieux schémas qui ne sont ni positifs ni optimistes, autrement dit le pessimisme. « Il décrit les raisons que nous avons de nous réjouir de l’évolution de nos sociétés » : mais quid des évolutions que l’on pourrait déplorer par ailleurs ?
Comme dans le texte précédent, (« N’en jetez plus ! Nous avons la chance… »), l’introduction joue sur l’émotion : l’auteur invite son lecteur à le suivre dans son optimisme, (la bonne voie/x), et à mettre en sourdine son esprit critique. Et pour cause ! « Pourtant, ce biais psychologique [critiquer] est la parfaite recette du malheur. En influençant négativement nos décisions individuelles et politiques, il peut saper les recettes qui nous ont permis d’en arriver là. »
Effectivement, dès lors que l’on aurait tout lieu « de [se] réjouir de l’évolution de nos sociétés », ce serait ballot de « saper les recettes qui nous ont permis d’en arriver là » ! Or il se trouve que les statistiques, (de mortalité, violence, esclavage, famine, alphabétisation…), prouvent que « nous avons progressé » sur tous les fronts, de sorte qu’il faut poser la question : « est-ce que le chemin que nous voulons et allons parcourir dans les prochaines décennies préservera les clés de ce succès ? » Si l’on se cramponne dans une attitude négative, critique et pessimiste, c’est évidemment peu probable…
Face à une leçon d’optimisme aussi caricaturale, le pessimiste va se tourner vers d’autres chiffres, par exemple ceux du réchauffement climatique ou de la perte de biodiversité. Et il va simplement poser une autre question : « Admettons que nous ayons tout lieu de nous réjouir de l’évolution de nos sociétés, quid des autres espèces ? Ont-elles des raisons d’être optimistes aussi ? Ah, vous ne les comptez pas, c’est bien ce qui me semblait. Désolé, ce sont elles que j’ai vues en regardant sous le tapis. »
Il n’y a rien à ajouter. Optimistes et pessimistes sont sur des planètes différentes.
Paris, le 27 octobre 2017
Illustration : Wikipédia
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