L’impossibilité de faire autrement

L’on entend souvent dire que « la nature se régule » mais c’est complètement faux. Une vraie régulation implique de contenir volontairement les variations d’un paramètre dans des limites précises. L’on peut ainsi réguler la température d’un local, la vitesse d’un moteur, le débit d’un liquide ou l’altitude d’un avion, etc., parce que l’on sait mesurer le paramètre à réguler et agir automatiquement pour le ramener à sa valeur de consigne aussitôt qu’il s’en écarte plus que souhaité. Une vraie régulation implique l’existence d’une boucle de rétroaction négative, (dont l’effet est de produire une variation inverse à l’écart constaté), mais l’existence de ce genre de boucle ne suffit pas à attester celle d’une vraie régulation. Prenons par exemple ces graphiques publiés par Cécile Marin dans le Monde Diplomatique :

1-graph-CO2-et-temp

L’on constate que la concentration en CO2, (courbe rouge), et l’écart de température en Antarctique par rapport à une moyenne, (courbe verte), sont restés confinés dans d’étroites limites pendant 800.000 ans : cela n’implique pas qu’il existerait une main invisible ayant agencé les phénomènes pour qu’il en aille ainsi. En d’autres termes, les (dé)croissances cycliques du CO2 ne doivent rien aux écarts de températures atteints : elles sont imputables à des phénomènes étrangers à ces graphes, et il n’y a pas de régulation qui tienne, comme le prouve du reste l’extraordinaire augmentation du CO2 à partir de 1950. C’est un abus de langage de parler de « régulation » là où un phénomène rencontre simplement ses limites, ou un autre phénomène s’opposant à son extension.

S’il serait faux d’affirmer qu’aucune régulation n’existe dans la nature, (la thermorégulation est quasi universelle chez les animaux), il faut bien admettre que les exemples sont rares. Il en va de même dans le système humain : nous savons corriger certains effets néfastes comme le tabagisme ou la destruction de la couche d’ozone, nettoyer des sites pollués, économiser de l’énergie ici ou là et discuter du problème dans des instances internationales, mais c’est à peu près tout. Une véritable régulation suppose une correction rapide des effets que l’on entend corriger, et ce, à l’échelle de la planète. On y parvenu (partiellement) pour la couche d’ozone, en imposant des substituts aux gaz qui contribuaient à sa destruction, mais il semblerait bien que ce soit l’exception qui confirme la règle.

Tous les autres paramètres sont impossibles à réguler, en particulier la consommation d’énergies fossiles. Les économies d’énergie ne font qu’améliorer l’efficacité énergétique : l’isolation thermique des bâtiments permet par exemple d’économiser de l’énergie pour le chauffage, mais ne change rien aux phénomènes qui conduisent à consommer du charbon et du pétrole. Ce qui n’est pas consommé aujourd’hui le sera donc demain, d’une façon ou d’une autre, parce que le chauffage, le transport et les usines continuent de croître et de réclamer leur part des précieux combustibles.

La cause profonde est « structurelle » comme on dit, elle ne tient pas à ceci plutôt qu’à cela, mais à l’ensemble de l’espèce humaine que l’on peut voir comme un écosystème à lui seul, à l’instar de la « vie sous-marine luxuriante » que l’on peut observer autour des monts hydrotermaux.

source-hydro-thermale

Ce schéma d’une source hydrothermale montre que l’eau de mer s’infiltre dans la croûte océanique à cause de la pression, puis remonte, sous l’effet d’une pression encore plus forte, après avoir été chauffée par une chambre magmatique. La nature a ainsi créé un moteur qui entretient une circulation d’eau, et les minéraux dont celle-ci se trouve chargée en remontant sont de la nourriture pour des bactéries, lesquelles prolifèrent autant que possible, comme les humains. Il n’y a aucune régulation dans ces phénomènes, seulement de longues chaînes de causes et d’effets qui se maintiennent tant qu’elles le peuvent. Quand une telle source disparaît, l’écosystème qui s’était constitué autour d’elle ne peut que disparaître à son tour, sans autre forme de procès.

L’espèce humaine vit de façon analogue sur des réserves de charbon et de pétrole : elle aurait intérêt à ralentir ses prélèvements pour les faire durer mais elle n’en a pas les moyens. N’étant pas foncièrement différente d’une population de bactéries, (seulement plus compliquée), elle ne dispose pas de la boucle de rétroaction négative dont elle aurait besoin : inutile de la chercher, elle n’existe pas. Si elle existait, (ne serait-ce qu’au niveau d’une nation), elle prendrait la forme d’une « guerre totale » dirigée contre les sources d’émissions de CO2 : c’est l’ensemble de la société qui se verrait astreint de se réorganiser et de travailler à une réduction drastique de ces émissions, et ce, avec l’autorité et les méthodes d’une dictature, et sans garantie de résultats.

Voilà pourquoi l’« on fonce dans le mur » : ce n’est pas du masochisme, de la bêtise ou de l’irresponsabilité, seulement l’impossibilité de faire autrement.

Paris, le 24 novembre 2017


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