Sur la base des statistiques de consommation, nous avons calculé ce qu’il faudrait produire en électricité pour remplacer le pétrole dans les transports et le chauffage, puis nous avons cherché à confronter notre résultat à celui de l’ADEME, (dans son rapport « 100% renouvelable »), et depuis lors nous tombons de questions sans réponse en questions sans réponse. Dans ce billet, nous allons donc essayer de justifier nos questions, avec l’inévitable crainte de paraître un peu ridicule.
Le calcul de départ
La consommation actuelle de pétrole est estimée à 1,6 millions de barils par jour, soit 584 millions dans l’année. Ce chiffre est fiable, on le retrouve un peu partout, et on l’arrondit à 600 millions de barils par an. D’après l’Union Française de l’Électricité, 70% de ce pétrole est utilisé pour le transport et 17% dans le résidentiel et le tertiaire, donc pour le chauffage. (On négligera les 13% des autres secteurs car le pétrole n’y est pas forcément consommé pour l’énergie.)
Pour le chauffage, l’on pose que la rentabilité énergétique est la même sous forme de pétrole que d’électricité, ses 17% peuvent donc être directement convertis en kWh sur la base de 159 litres par baril et de 10 kWh par litre, ce qui représente : 600 x 0,17 x 159 x 10 = 162.180 millions de kWh ~ 162 TWh par an. Pour les 70% des transports, l’on considère une rentabilité du moteur à explosion de 40% et du moteur électrique de 100%, ce qui simplifie le calcul et minimise le résultat. Il faut donc produire l’équivalent de 40% de la consommation de pétrole, soit 600 x 0,7 x 0,4 = 168 millions de barils par an qui deviennent 168 x 159 x 10 = 267.120 millions de kWh ~ 267 TWh dont on ne retient que le routier, 83% selon l’INSEE, ce qui donne : 221 TWh. Il ne reste plus qu’à faire une addition, 162 + 221, et le tour est joué : 383 TWh par an que l’on arrondit à 380.
Comparaison avec la production actuelle d’électricité
Dans un article de novembre 2017, « 100% renouvelable pour pas plus cher, fastoche ? », Jean-Marc Jancovici développe des calculs à partir de la situation suivante :

Et explique que : « L’ensemble représente 531 TWh (1 TWh = 1 milliard de kWh). » Le nucléaire représente donc 382 TWh, et les 380 TWh calculés ci-dessus font 100% du nucléaire.
Question n°1 : c’est énorme, non ? Il nous semble que nous avons la brelue ou la bluette, et que notre calcul, en dépit de son extrême simplicité, doit être erroné quelque part. Bien sûr, il vient immédiatement à l’esprit qu’en réalité la transition énergétique ne sera pas complète, donc que l’on n’aura pas besoin de produire toute cette électricité, du moins tant qu’il restera un peu de pétrole. L’on va aussi fortement investir dans les pompes à chaleur et l’isolation des bâtiments, diminuer de X% la mobilité, développer le covoiturage et le transport du fret par rail, etc. Mais, dans les mêmes décennies à venir, la population française va s’élever à 72 millions d’habitants contre 65 millions aujourd’hui, ce qui représente 10% d’augmentation, et les véhicules routiers, toutes catégories confondues, ont augmenté de 2 millions en 10 ans selon le site statistiques.developpement-durable.gouv.fr.
Question n°2 : face à des facteurs jouant à la hausse et d’autres à la baisse, sans que l’on puisse prévoir avec certitude lesquels l’emporteront, ne serait-il pas raisonnable d’admettre que, sauf événement imprévu, la consommation à retenir pour 2050 ne pourra qu’être autour de ces 380 TWh ? En effet, le problème n’est pas tant de savoir si la (future) valeur réelle en sera de peu ou de beaucoup éloignée, (puisque tous les cas sont a priori possibles), mais de savoir la valeur la plus fiable à retenir dans un raisonnement actuel, ce qui est très différent. Cela revient à dire qu’anticiper à ce niveau une croissance ou une décroissance, c’est introduire d’emblée une erreur de raisonnement. En effet, la consommation réelle en 2050 étant ce qu’il faudrait calculer, il est arbitraire et contradictoire d’affirmer a priori qu’elle sera peu ou beaucoup éloignée des 380 TWh.
Capacité à installer
Sur la base de ces 380 TWh, il est facile de calculer la capacité nécessaire à leur production annuelle : 380.000 GWh / 365 / 24 = 43 GW. Là encore, c’est tellement énorme que nous ressentons le besoin de vérifier le calcul : 43 GW installés permettent de produire 43 GWh en une heure, donc 1032 GWh en un jour, donc 380.000 GWh par an. A raison de 1GW par réacteur, il faudrait au minimum 43 réacteurs nucléaires. Mais à cause du facteur de charge, qui est d’environ 75% pour le nucléaire, il faudrait en réalité une capacité supérieure calculée comme suit :
(Capacité productive) = 0,75 x (Capacité installée) = 43 GW ==> capacité à installer = 57 GW.
Avec des éoliennes et leur facteur de charge de 20%, (Jancovici), il faudrait installer 215 GW, soit 43.000 éoliennes de 5 MW chacune.
Question n°3 : quelles que soient les technologies retenues, (EnR ou nucléaire), ces énormes investissements à réaliser en N décennies, et devant satisfaire des besoins en sus de ceux actuellement couverts par l’électricité puisque c’est du remplacement du pétrole dont il est question, n’impliquent-ils pas de faire durer les centrales nucléaires en service ? Aussi ne comprenons-nous pas que l’ADEME, dans sa foire aux questions, explique que : « Dans les scénarios inférieurs à 100% renouvelable, le nucléaire a sa place : ainsi pour un objectif à 40%, le mix électrique à moindre coût comprend 36.5 GW de nucléaire, 15 GW de moyens fossiles et environ 65 GW de renouvelables. » Mais pourquoi a-t-il « zéro place » dans le scénario 100% ? Le remplacement de l’uranium serait-il plus urgent que celui du pétrole ?
L’ADEME
Soucieux de vérifier nos 380 TWh, nous avons eu la curiosité de regarder de plus près le fameux scénario « 100% renouvelable » de l’ADEME pour y chercher des chiffres concernant le transport, et ce que nous y avons trouvé mérite pour le moins d’être questionné. En effet, dans son annexe « consommation », l’on trouve le « Tableau 4 : Informations sur les consommations fournies par l’ADEME pour la Vision 2050 ». Il est divisé en 3 colonnes : « Secteur », « Usage/ss-secteur » et « ADEME – 2050 – TWh » qui donne la consommation prévue pour 2050 en TWh. Voici la copie d’écran du bas du tableau :
Donc l’ADEME affiche 31,2 TWh alors que notre calcul de départ donnait 221 TWh pour la part dévolue au transport routier.
Question n°4 : comment expliquer un écart d’un ordre de grandeur avec un scénario qui s’affirme 100% renouvelable ? Si l’ADEME avait annoncé un modeste 10%, alors il nous suffirait de diviser notre chiffre par 10 pour trouver 22 TWh, et la question ne se poserait pas. L’ADEME n’a pas anticipé un remplacement complet du parc thermique qui justifierait l’appellation « 100% renouvelable », à moins qu’elle considère que le parc sera de « 10 millions de VHR et VE » en 2050 et rien de plus. Par rapport au parc actuel qui est de 40 millions, son hypothèse représente une division par 4 : serait-ce par application du fameux « facteur 4 » ? (Note : si nous l’appliquons aussi, l’on arrive à 221 / 4 = 55 TWh, un nombre qui, cette fois, est du même ordre de grandeur.)
Le photovoltaïque
Nouvelle surprise et nouveau questionnement avec le photovoltaïque. En effet, le tableau 1 du rapport prévoit une capacité de 364 GW théoriquement « installables » en « PV sur toitures », c’est-à-dire en panneaux solaires sur les toits des maisons et des immeubles.
Nous ne prétendons pas que ce chiffre de 364 GW serait faux ou mal calculé puisqu’il a fait l’objet de calculs très sophistiqués et expliqués dans l’annexe « EolienPV », mais il n’en reste pas moins surprenant et incompréhensible pour le citoyen lambda que nous sommes. En effet, il suffit de consulter ses frères dans la même colonne pour voir qu’il les écrase tous : c’est impossible à comprendre.
Question n°5 : quelqu’un pourrait-il justifier ces calculs « à la louche » pour les faire paraître moins louches ?
La Cour des comptes
A propos de ces « EnR électriques », nous venons d’apprendre, via l’excellent blog de Sylvestre Huet, que la Cour des comptes s’est montré elle aussi critique. Dans son rapport sur « le soutien aux énergies renouvelables », elle écrit, page 22 : « Ainsi, compte tenu de son profil énergétique peu carboné, si la France avait voulu faire de sa politique en faveur des EnR un levier de lutte contre le réchauffement climatique, elle aurait dû concentrer prioritairement ses efforts sur le secteur des EnR thermiques qui se substituent principalement à des énergies fossiles émissives de CO2. »
Là, franchement, nous n’y comprenons plus rien. Nous croyons seulement savoir, qu’à l’heure actuelle, les EnR, qu’elles soient « électriques » ou « thermiques », sont dans la cible de la transition énergétique, et qu’elles ne se substituent pas encore aux « énergies fossiles émissives de CO2 », car la substitution ne commence vraiment que lorsque l’on ferme des moyens de production à base d’énergies fossiles.
Question n°6 : faut-il comprendre que les « EnR thermiques » sont moins émissives de CO2 que les « EnR électriques » ? Ne serait-ce pas plutôt que la Cour reproche au gouvernement de n’avoir pas choisi les bonnes priorités pour atteindre les objectifs de la « Loi de transition énergétique pour la croissance verte », (LTECV), laquelle comporte, écrit-elle : « un objectif de 40 % d’énergies renouvelables dans la production électrique d’ici 2030, accolé à l’engagement de réduire la part du nucléaire dans la production électrique à 50 % à horizon 2025 » ? Ou lui reproche-t-elle sa « programmation pluriannuelle de l’énergie », (PPE), dont elle montre qu’elle n’est pas réaliste ?
Question n°7 : y a-t-il un lien entre les 364 GW calculés par l’ADEME, (le plus gros gisement de sa liste), et les aides massives accordées aux « EnR électriques » ?
Les prévisions
Laissons là le jeu des questions sans réponse, et essayons de voir ce qui cloche, de manière globale, dans les prévisions produites par l’ADEME comme par bien d’autres institutions. Disons d’emblée que nous ne lui adressons aucun reproche, tant il crève les yeux que son scénario n’était qu’une demande de l’un de ses ministères de tutelle. Et ce qu’un supérieur demande à ses subordonnés, c’est l’obéissance, pas la vérité.
Mais le manque de vérité qui en résulte nous heurte profondément, d’autant plus que nous sommes particulièrement épris de logique (terre-à-terre), et qu’il existe un exemple notoire, le modèle World3 mis au point par Meadows & al, pour montrer que la logique n’est pas l’ennemie de la prospective.
L’erreur de logique principale a consisté à fixer les niveaux de consommation de façon plus ou moins arbitraire. On l’a vu déjà pour le transport, mais Sylvestre Huet, qui avait critiqué le scénario à sa sortie, en a discuté un autre, la consommation annuelle moyenne : « Le second paramètre «posé» par l’Ademe, ce sont des consommateurs et une économie française qui, en 2050, ont besoin pour une année météorologique moyenne de 422 TWh seulement ». (Un chiffre qui inclut de surcroît les pertes réseau.) Sachant que la production doit égaler la consommation, cela revient à contraindre la première a priori alors que, pour convaincre, il faut démontrer qu’elle peut égaler la seconde. Et pour le démontrer, il n’y a qu’un moyen : la calculer, non la fixer sur la base d’estimations aussi précises et réalistes soient-elles. Résultat : le scénario a réussi une prouesse : prouver sans preuve ce qu’un(e) ministre lui demandait de prouver.
Une autre erreur toute aussi importante consiste à faire des calculs numériques sans tenir compte des marges d’erreur. Comme cela conduit les résultats finaux à partir dans tous les sens, il faut faire dans le modèle des ajustements ad hoc jusqu’à ce que tout semble parfait alors qu’en réalité c’est comme ça… La méthode n’est pas du tout « robuste », imaginez un horloger qui ajusterait ses rouages par tâtonnements…
Pour faire des prévisions convaincantes, il n’y a qu’un moyen possible : calibrer le modèle en fonction du passé, et définir des calculs logiques pour le futur. Dans World3 ou un modèle de type Dynamique des systèmes, la logique est présente dans des « boîtes » qui contiennent des formules mathématiques, et dans leurs liens qui indiquent les données qu’une boîte doit utiliser. L’ensemble ressemble à ça :
Fin en queue de poisson…
Paris, le 28 avril 2018
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Illustration : « Une soirée floue »
Bonjour , je lis à l’instant votre article; très intéréssant car il permet de prendre du recul sur le sujet. Néanmoins, sans remettre en cause la totalité du raisonnement, je pense qu’il est important dans votre postulat de base de considérer la différence de rendement entre un véhicule électrique et un véhicule thermique. En effet, cela change les ordres de grandeur. Dans tous les cas, un basculement de notre parc automobile vers l’électrique implique une augmentation de la puissance à générer. En considérant un rendement du véhicule électrique de 70% (fourchette haute) comparée à 20% pour un véhicule thermique, cela représenterait environ un tiers de notre production nucléaire actuelle pour permettre aux 32 millions de véhicules en circulation de continuer à fonctionner selon les mêmes usages.
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Pour mes calculs, j’avais pris des valeurs en faveur de l’électrique : 100% de rendement contre 40 pour le thermique. C’est discutable bien sûr, mais, même avec ces valeurs, même en prenant 20% pour le thermique, on voit qu’on n’y arrive pas. Il y faudrait, pour compter aussi le chauffage (hors pompes à chaleur), non pas 1/3 mais 2/3 de notre production nucléaire.
Cela dit, merci de vous être intéressé à cet article, cela me motive pour le refaire. En effet, la comparaison avec les chiffres de l’ADEME ne m’intéresse plus beaucoup. Il vaudrait mieux centrer l’article sur les calculs en faisant plusieurs hypothèses sur les valeurs de base, (les fameux rendements), pour finalement montrer qu’on n’y arrivera pas, même en étant optimiste.
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Bonjour
Préambule : Le pétrole est un stock d’énergie, alors que l’électricité (alternative) est un moyen de transporter de l’énergie, avec la contrainte forte d’égalité entre puissance produite et puissance consommée (, la puissance étant l’énergie instantanée). Ainsi « Électrifier le pétrole » signifie littéralement transporter l’énergie contenue dans le pétrole grâce à l’électricité, afin qu’elle soit convertie par des machines électriques. Si c’est facilement réalisable, je me doute que ça n’est pas le sujet que vous voulez aborder. Mais cela n’aide pas à lever la confusion médiatique ambiante, surtout lors des raisonnement en kwh annualisés. A la question sous-jacente « peut-on substituer le pétrole par les énergies renouvelables », j’ai donc parcouru votre article, après avoir caressé le chat de Schrödinger 😉
Question n°1 : oui, 43GW sont imposants, mais reflète bien la place du pétrole dans notre société. Ce sont bien les « pétrolettes » qui nous font tout le travail « physique ». En moyenne, c’est comme si chaque français vivait avec 150 « esclaves ».
Question n°2 : l’équivalence entre des productions intermittentes (éolien) et pilotables (nucl) est justement le problème central; Le taux de charge est une moyenne annuelle qui biaise les raisonnements. Si vous ne mettez que de l’éolien, votre calcul est incomplet, car la distribution électrique d’une énergie erratique impose des moyens de lissage/stockages tout aussi gigantesques.
Question n°3: vous soulevez bien l’axe des écologistes « européens » : sortir du nucl coûte que coûte, avant le pétrole ou le charbon. Sans xénophobie aucune, on peut tout de même affirmer que les « gourous » sont les allemands, qui reposent sur des réserves de charbon pour des centaines d’années à venir.
Question n°4 : l’ADEME politisée ? Probablement.
Question 5 : photovoltaïque. Votre chiffre semble raisonnable. On parle souvent que recouvrir 1 département français ( ~ (60km)² ) de panneaux photovoltaïques (environ 150W/m² ~ 1kw/6m²) permettraient de produire annuellement autant d’énergie que celle consommée via l’électricité. En puissance « installée », on trouve grosso-modo 600GW (= (60km)²*(kW/6m²)) . Là où le raisonnement en énergie annuelle devient fallacieuse, c’est que la production est météo-dépendante, qu’elle dépend des saisons, que les gradients entre le jour et la nuit seraient tels qu’ils sont technologiquement ingérable avec les techno de stockage/lissage à ce jour (ce qui ne veut pas dire que ces problèmes ne seront pas résolus dans le futur … )
Question n°6 : La vision des « politique » de l’énergie est désastreuse, due à leur culture scientifique souvent minable. A la rigueur, s’ils prévoyaient d’utiliser le nucl pour produire localement des moyens de productions « renouvelables » et transiter dans ce sens, pourquoi pas. Mais actuellement, les leviers « verts » vont à l’encontre de la prospérité.
Question n°7 : Avec tout l’argent injecté à ce jour dans les enr, pour seulement 7% de la production, le parc nucléaire aurait pu être renouvelé. Sauf si on veut en sortir … qui ça , « on » ? Elle est bien là, la question …
Conclusion : l’énergie est la question centrale, qui a été complètement galvaudée par la pensée économique. Conséquence de lois physiques, le PIB varie conséquemment à la consommation d’énergie (cf Jancovici). Si la consommation d’énergie baisse, à cause par exemple d’une cherté grandissante, je vous laisse imaginer des scénarios à venir …
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Et le scenario negawatt de 2050, est-il mieux pensé?
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Honnêtement je n’en sais rien. J’ai bien eu l’idée d’aller voir ses chiffres, au moins pour le transport, mais j’ai eu la flemme. Ce serait intéressant dans le cadre d’une comparaison entre les principaux scénarios publiés, sinon aucune raison d’en ausculter un plutôt qu’un autre.
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