Un jeune écologiste de 24 ans, Julien Wosnitza, vient de faire parler de lui au moyen de son livre : « Pourquoi tout va s’effondrer ». Nous sommes bien sûr d’accord, mais nous regrettons cependant d’avoir trouvé ceci dans son interview : « Pourquoi rien n’a été fait ? Parce qu’il faudrait diviser par 10 notre niveau de vie d’Occidentaux, et qu’aucun politique ne sera jamais élu avec un programme ayant pour but de vivre comme un Tibétain ou un Bhoutanais. » Ce n’est pas faux bien sûr, mais une question s’impose : est-ce en premier lieu pour préserver « notre niveau de vie » que nous n’élirons jamais un politique sur « un programme ayant pour but de vivre comme un Tibétain ou un Bhoutanais » ?
Nous exécrons ce genre d’assertions qui dépendent d’un facteur, ici « notre niveau de vie », qui est d’une floutitude extrême et que l’on peut contester à loisir. Le « niveau de vie » fait partie de ces expressions comme « la science » ou « la guerre » qui se suffisent à elles-mêmes dans le langage courant, (par exemple : « Faites l’amour, pas la guerre », ou : « L’on n’arrête pas la science »), mais qui devraient être chargées d’un sens explicite et précis dès lors qu’on les utilise dans une argumentation, sinon le discours ne vaut pas le papier pour l’écrire.
Soyons plus mordant : « niveau de vie » n’a aucun sens. C’est un vague concept qui fait référence à l’énergie consommée, au pouvoir d’achat, au confort, à l’organisation socio-économique, à la sécurité (l’envers de la criminalité et de la délinquance), à l’éducation, aux loisirs, à la stabilité politique, aux progrès techniques et aux mœurs. C’est surtout un concept issu de « la science économique », (qui n’en est pas vraiment une, certains y voient une religion), et qui n’est pertinent qu’à condition de ne pas être mis en cause dans le discours. C’est par exemple le cas lorsque l’on entend comparer les « niveaux de vie » de pays ou d’époques différentes, lorsqu’on veut expliquer ce qui contribue à son amélioration ou sa dégradation, etc. Autrement dit, que l’on puisse gloser sur le « niveau de vie » au même titre que sur la météo n’implique pas que l’on puisse en faire un argument valable.
Pour l’utiliser comme argument, il faut montrer comment il intervient dans le phénomène que l’on prétend expliquer, (en l’occurrence l’impossibilité d’élire tel genre de politique). En réalité il ne peut jouer aucun rôle, car il n’est pas une réalité mais l’image convenue d’une réalité, une image au demeurant réduite à la signification d’un nombre comme l’indique le terme « niveau ». S’il semble que « le niveau de vie » puisse jouer un rôle dans des élections, dans celle de Trump par exemple, c’est seulement parce que l’on peut utiliser l’expression comme une étiquette pour nommer, en vrac et en gros, l’ensemble des facteurs socio-économiques qui ont effectivement influencé le choix des électeurs. Et au premier rang de ceux-ci se trouve, non pas « le niveau de vie », mais l’emploi.
L’emploi se situe exactement… devinez où ? Au revers de cette médaille où figure « le niveau de vie » et sa consommation afférente. Avec l’emploi, c’est la vie tout court qui se trouve en jeu, celle dont les « aléas » sont susceptibles de vous transformer en zombie. Voyons ça de plus près.
Nous prendrons comme exemple le cas douloureux de « Karim : ouvrier, lanceur d’alerte, viré ». Ce monsieur, un brave homme qui ne faisait que conduire des camions, s’est fait écrabouillé par « le système » pour avoir dénoncé une pollution dangereuse. Rien ni personne ne lui est venu en aide : ses collègues ont fermé leur bouche pour ne pas subir le même sort, son employeur l’a viré et porté plainte pour diffamation, les employeurs de la région l’ont blacklisté, les élus locaux ont fait mine de se constituer « partie civile » pour sauver la face, (et faire semblant d’assumer leurs devoirs), le procureur « a ouvert une enquête » mais en prenant soin de faire des prélèvements là où il était sûr de ne rien trouver. Et cette loi récente, censée « protéger les lanceurs d’alertes », est apparu pour ce qu’elle est : un faux nez pour calmer l’opinion et protéger les entreprises.
Ces quelques lignes montrent comment fonctionne « le système » dont nous écrivions, à propos de ses effets, que : « le premier est de faire tenir ensemble ses parties, et donc lui-même par voie de conséquence ». C’est plus qu’évident ici : toutes les parties prenantes ont un intérêt propre à agir dans le même sens sans qu’elles aient besoin de se concerter : elles cherchent à étouffer le scandale au nom de l’emploi. Personne n’est en mesure de s’opposer au fautif, ArcelorMittal, qui présente deux caractéristiques majeures : grappiller le moindre sou pour augmenter ses « marges », et… rien à faire de l’emploi, il ira « créer » les siens ailleurs si on lui cherche des noises. C’est peu dire qu’un « fossé » sépare les grandes entreprises du menu fretin…
C’est pourquoi nous avons un peu « la rage » devant ces « explications » qui mettent en avant des effets, (la consommation), alors que la « vraie cause » relève de la production. Nous ne répéterons jamais trop que les consommateurs peuvent se sentir coupables, (en vertu de leur conscience personnelle), mais qu’en aucun cas ils ne sauraient être rendus « responsables ». Non, ils sont d’abord et avant tout victimes du chantage à l’emploi que le système prend soin d’entretenir sur leur dos. Dans ce cas exemplaire, c’est ArcelorMittal la première responsable des rejets allégués par Karim, à savoir, selon ses dires : « une à deux fois 28 mètres cubes d’acide par jour (…). Ça devait faire de sacrées économies en frais de recyclage… »
Tout serait différent si les entreprises pratiquaient « la transparence », « la démocratie » et « la participation ». L’on sait qu’elles donnent plutôt dans l’opacité et la dictature, le secret des affaires et la violence, et qu’elles recourent sans scrupule à tous les moyens à leur disposition. Du plus haut au plus bas de leur hiérarchie, chacun a ses responsabilités que même les petits chefs ne tiennent pas spécialement à « partager », car c’est bien sûr l’exercice du pouvoir que l’on tient à garder pour soi. Mais, devant un juge, les responsabilités se volatilisent comme par enchantement, les responsables s’évanouissent dans la nature, et le box des accusés ne contient plus que des exécutants ayant agi « sur ordres ». Elle est pas belle la vie ?
Les consommateurs, eux, n’agissent pas « sur ordres », rien ne les oblige à consommer la production, mais ne faut-il pas remarquer qu’ils consomment d’abord ce qu’ils peuvent, en fonction de leur RSA budget et de la supérette en bas de chez eux, avant de consommer ce qu’ils veulent ? Nous avons donc, d’une part, (et à titre d’exemple), des industriels qui ont mis du plastique partout, de la tétine pour bébé à la fameuse bouteille d’eau, et ce sans rien demander à personne, et d’autre part des consommateurs qui renâclent à « diviser par 10 » leur « niveau de vie ». Après tout ce que le système a fait pour eux, ils ne sont pas seulement « responsables », ils sont aussi ingrats…
Paris, le 21 mai 2018
Illustration : « Les salaires en baisse sont-ils un chantage à l’emploi ? »
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L’obligation de travailler pour vivre est la première agression anti-démocratique. Des milliards d’humains courbent l’échine et se taisent pour avoir de quoi survivre souvent. Le droit de vote pour élire des partis qui maintiennent ce système de domination par l’argent est une escroquerie.
Quand chaque humain aura un revenu inconditionnel suffisant pour vivre, on aura plus de choix démocratique personnel, on pourra montrer du doigt ceux qui font des métiers anti-écologiques.
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