Démission de Nicolas Hulot, appel d’Aurélien Barrau, marches pour le climat et maintenant ce « Manifeste étudiant pour un réveil écologique » suivi d’un nouvel appel de scientifiques pour « freiner l’essor démographique » : il faut être de mauvaise foi pour nier qu’une « prise de conscience » est en train de se produire dans l’opinion publique. D’après MSN citant LCI, « Le président Emmanuel Macron doit se servir du départ de Nicolas Hulot pour surmonter «l’iceberg des conservatismes» et impulser un «sursaut» collectif en faveur de l’environnement, estime Daniel Cohn-Bendit », (qui n’a jamais eu peur des grands mots). Malheureusement, tous ces braves gens ne comprennent pas ce qui se passe vraiment, ils ne font que réagir à des mauvaises nouvelles qui ébranlent leur bonne conscience.
Ce matin, nous avons lu sur les-crises cet article de Robert Fisk : « Gideon Levy, le journaliste le plus controversé d’Israël », et c’est la douche froide. Ce journaliste acharné explique à quel point l’opinion israélienne est indifférente à tout ce que subissent les Palestiniens : la première fois qu’il avait relaté comment une Palestinienne avait dû accoucher à un poste de contrôle avant de perdre son bébé faute de soins, son article avait provoqué un « énorme scandale » et deux officiers avaient été « traduits en justice », donc traités en personnes responsables, c’est-à-dire devant répondre de leurs actes comme expliqué dans « Hippopotamus exemplum ». Mais il a rapporté depuis lors une dizaine de cas semblables, et « tout le monde s’en moque » : douche froide ! Après la « prise de conscience » suivie de réactions épidermiques, (l’on devine que les deux officiers n’ont pas eu trop à en souffrir), « le calme est revenu », « la vie a repris son cours », et les femmes palestiniennes ont pu continuer à perdre leur bébé aux postes de contrôles, comme si tout le monde en Israël pensaient : « on n’y peut rien, c’est comme ça, c’est la vie » : plus personne n’est « responsable »…
Ils avaient donc vu leur bonne conscience ébranlée, ils en avaient débattu avec force et passion, et puis, une nouvelle chassant l’autre, l’indifférence avait « repris ses droits ». Car si la première fois ce fut un « pavé dans la mare », dès la deuxième c’était du « déjà vu », et non une de ces nouveautés qui vous fait réfléchir. La question ayant déjà été débattue et les responsables « sanctionnés », (mais sûrement pas châtiés, dans nos sociétés permissives ce mot est à peine un souvenir, et Dieu sait que les Israéliens sont « permissifs » à l’égard des Palestiniens), l’on comprend que personne n’avait à cœur de « rouvrir ce dossier ».
Il y a tout lieu de craindre qu’un phénomène analogue ne se produise dans nos sociétés eu égard au réchauffement climatique, à la destruction de la biosphère et la tragédie des réfugiés. Alors que beaucoup croient que l’opinion publique est indifférente parce que les gens sont mal informés, l’exemple israélien montre le contraire : l’opinion publique est indifférente parce qu’elle sait déjà tout ce qu’elle a besoin de savoir. Elle ne peut qu’être indifférente car elle sait que les actions, susceptibles de faire disparaître les scandales en supprimant leurs causes, sont d’une lenteur désespérante par rapport à la durée d’une vie humaine. Schématiquement, – et pour frapper les esprits -, disons que ce n’est pas #BalanceTonPorc qui fera disparaître le machisme, mais… les siècles ! Ainsi chacun sait que demain verra les mêmes scandales revenir sous le feu des projecteurs.
L’information a l’effet inverse de celui escompté : nous familiarisant toujours plus avec notre environnement lointain, elle nous mithridatise contre ses maux. Si elle ne peut à la longue que changer nos mentalités, ce ne peut pas être dans le bon sens comme l’espèrent béatement les optimistes, mais dans celui du pire : celui d’un cynisme toujours plus dur, inévitable conséquence d’une adaptation passive à un environnement moral toujours plus détestable. Et, comme on peut le constater avec l’exemple d’Israël, cette adaptation des esprits aura des conséquences concrètes désastreuses : l’enfermement dans un cercle vicieux qui conduira, non pas à solutionner quoique ce soit, mais à renforcer les mauvaises solutions du passé.
Suite : Le coup d’éclat d’Eddie Bernays
Paris, le 10 octobre 2018
Illustration : « Israeli Security Barrier Occupation Checkpoint »
Plus de publications sur Facebook : On fonce dans le mur
Votre commentaire