Le monde semble divisé en deux camps : d’un côté les cyniques décidés à poursuivre leur « business as usual », de l’autre les « imbéciles » bien intentionnés qui :
- prétendent vouloir sauver la planète ;
- se refusent à considérer que l’espèce humaine est « intrinsèquement destructrice » ;
- lancent des « appels » du type : « si on ne fait rien, on fonce dans le mur » ;
- croient ou s’imaginent que l’on peut (encore) « faire quelque chose ».
Il faut écrire « imbéciles » entre guillemets parce qu’ils comptent dans leurs rangs des personnalités de premier plan, mais dont la perception des faits est déformée par la morale. Considérant que « ne rien faire est criminel », ils ne voient que l’objectivité du mal, – ce qui se solde par des destructions en tous genres -, mais pas sa subjectivité ontologique, le fait qu’il vienne de « nous, les humains », c’est-à-dire de « l’être humain » (singulier). L’existence des deux catégories du bien et du mal se fonde sur notre capacité à distinguer ce qui leur appartient respectivement, mais elle n’implique pas que l’on pourrait empêcher le mal de se réaliser. L’interdiction de tuer a beau être aussi vieille que Moïse, les humains n’ont jamais cessé de s’égorgiller avec une sauvagerie inégalée dans le règne animal.
C’est pourquoi, dans le camp des « imbéciles », la palme revient sans conteste aux antispécistes « extrémistes » car certains d’entre eux ajoutent la stupidité de l’action à celle de la pensée. Considérant que les autres espèces ont le même « droit à la vie » que la nôtre, ils font de leur sauvetage une sorte de « but suprême » qui justifie tous les moyens, à commencer par celui de balancer la morale par-dessus bord. Pour faire simple, (et se mettre à leur niveau de « pensée »), disons qu’ils préconisent une recette aussi vieille que le monde : traiter le mal par le mal de façon radicale. Ils se jouent du paradoxe de « l’éthique faisant fi de l’éthique », faire le bien en faisant le mal, comme des criminels assouvissent leurs pulsions mais à la différence qu’ils avancent masqués derrière leurs bonnes intentions. S’ils reconnaissent que tuer ou menacer de mort « ce n’est pas gentil », ils affirment le faire « au nom du bien » pour instaurer une « ère nouvelle » qui ne connaîtrait plus les turpitudes de notre espèce. N’ayons pas peur des mots : les gens qui raisonnent ainsi sont des crapules, des « personne[s] sans principes, capable[s] de commettre n’importe quelle bassesse, n’importe quelle malhonnêteté », à commencer par celle de vous faire prendre des vessies pour des lanternes.
La question fondamentale
Pourquoi faudrait-il « sauver la planète », « les autres espèces » ou « la vie » ? Personne ne pose la question, mais quiconque se croit doué d’un certain sens moral y répond en disant : parce que ce serait « criminel » de ne pas le faire. Effectivement, un « écocide » étant en cours, ayant même commencé « à bas bruit » depuis des siècles ou des millénaires, il serait temps de s’en occuper. Selon l’ONU, nous n’aurions plus que deux ans devant nous…
Cette question fondamentale nous amène à nous poser celle de l’existence du mal. A considérer les faits, il existe de façon objective, comme l’atteste à lui seul l’exemple de « H. H. Holmes, tueur à la chaîne », mais existe-t-il d’une manière aussi incontestable qu’un fait scientifique dûment prouvé ? Réponse : oui et non. Il faut répondre oui dans la mesure où l’existence des faits relevant du mal peut être prouvée par des enquêtes scientifiques, (ou aussi proches que possible de la vérité honnêtement recherchée), mais il faut répondre non du fait que leur classement dans la catégorie du mal ne relève pas de « la science » mais de l’éthique. Le corollaire est que, si vous supprimez l’éthique, vous supprimez du même coup l’existence du bien et du mal. Le corollaire du corollaire est que le bien et le mal n’ont pas d’existence « en soi », indépendante de l’observateur, mais, au contraire, strictement dépendante de l’observateur et de son éthique. Alors que « la vérité » scientifique ne vaut que par son indépendance vis-à-vis de l’observateur, pour l’éthique c’est exactement l’inverse. C’est pourquoi il a pu être « éthique » :
- Pour les chrétiens, d’éliminer les païens, en particulier les intellectuels et les notables.
- Pour les nazis, d’éradiquer les juifs, les homosexuels, les Tziganes, les communistes, etc.
- Pour les khmers rouges, d’éliminer leurs semblables au nom d’un « retour à la nature » aussi subtil qu’un bulldozer.
- Pour des générations d’agriculteurs-éleveurs, d’éliminer la faune qui « s’attaque » au bétail et aux récoltes.
- Partout dans le monde, de réduire ses « ennemis » en esclavage, de les torturer, de les éliminer en masse, de piller leurs richesses et brûler villes et villages.
Ajoutons à cette liste, (non sans ironie), le cas des chats qui tuent les oiseaux par milliards, (un million par jour en Australie), et la preuve est faite que, si une certaine éthique intériorisée gouverne nos esprits1, elle est absente de la nature. Nouveau corollaire : il ne peut y avoir la moindre trace d’éthique dans la nature humaine, et cela explique que tout principe d’éthique puisse être allègrement piétiné en l’absence d’un regard réprobateur ou d’une menace policière. Et quand on a vu le neveu de Freud chercher à « manipuler l’inconscient » pour seulement « faire de l’argent », comment s’étonner que l’éthique n’existe nulle part ?
Dans les sociétés modernes, l’on vit de façon légale ou pas, mais pas de façon éthique : chacun est au début d’une longue chaîne qui, de causes en conséquences, fait apparaître des crimes à l’autre extrémité. Disons que le caractère non-éthique de nos actes se trouve « dilué » dans la masse, et qu’ainsi personne n’en a une claire conscience.
Morale de l’histoire
Mais revenons à la question fondamentale : pourquoi faudrait-il sauver la planète dès lors que le bien et le mal n’ont pas d’« existence propre », c’est-à-dire indépendante de notre conscience ? Pourquoi ne pas s’en tenir au fait, – qui par ailleurs se vérifie quotidiennement -, que « la vie » suit son cours comme elle peut ? Pourquoi ne pas constater, qu’au regard de l’Évolution et de la sélection naturelle, nous sommes une espèce qui a plutôt bien réussi ? Pourquoi oublier que « la vie » n’a pas de finalité, qu’elle ne fait qu’explorer le possible, et que, partout où elle s’accroche, (y compris au fond des océans), elle ne peut que prendre fin aussi « bêtement » qu’elle a commencé ?
Enfin, last but not least, comment croire que l’on pourrait « sauver la planète » si l’éthique n’existe nulle part, et alors que la définition-même de ce noble but exigerait qu’une même éthique soit partagée et respectée par huit milliards d’êtres humains ?
Paris, le 21 octobre 2018
EDIT le 7 novembre 2018 : justification de : « l’éthique n’existe nulle part » dans le billet : « Loi de frustration minimale ».
1Via le surmoi freudien. Cette éthique n’est respectée (ou transgressée) que dans les relations sociales, donc entre personnes d’un même milieu. Ainsi un tortionnaire pourra-t-il torturer du matin au soir les personnes qu’on lui confie, mais respectera son chef et ses collègues, et embrassera affectueusement sa femme et ses gosses après sa « journée de travail ».
Lire aussi : « La révolution de l’antispécisme«
Illustration : « Défi, 30 jours pour créer son entreprise éthique! »
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du coup, dans quel camps êtes vous? celui des cyniques ou celui des imbéciles?
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Je vous laisse le choix…
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Vous n’êtes ni dans l’un, ni dans l’autre. Votre postulat de départ qui dit qu’il n’y aurait que 2 camps est donc faux.
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Affirmatif ! Difficile de l’affirmer clairement parce que ce serait présomptueux, mais je fais partie de celles et ceux qui se sentent « au-dessus de la mêlée ». Mon « postulat de départ » était faux, certes, c’était surtout une petite provoc’ pour mettre un peu de piment. Vous avez noté que je prends soin de n’écrire le mot « imbéciles » qu’en italiques et entre guillemets : parce que les personnes visées ne sont ainsi que par rapport à mon propre jugement, et qu’elles ne méritent aucun mépris. Seulement une pointe… 🙂
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