La pire nouvelle est tombée cette semaine, mais sans trop de bruit. Il s’agit du Rhin qui se retrouve « presque à sec à cause de la sécheresse ». Pour estimer cette nouvelle à sa juste valeur, il faut considérer :
- l’importance de ce fleuve dans l’économie rhénane ;
- le rôle crucial de l’eau et du transport dans l’économie et la vie humaine ;
- la probabilité quasi certaine que cet épisode se reproduira avec encore plus d’ampleur, car l’on ne peut plus l’attribuer à la variabilité naturelle du climat : il s’inscrit dans son évolution chaotique.
Cette sécheresse fait suite à un été caniculaire qui a commencé il y a 6 mois sur le nord de l’Europe : températures anormalement élevées et déficits pluviométriques forment donc un tout auquel il convient d’ajouter les changements climatiques en Arctique. Bien que chaque événement considéré isolément soit imprévisible, il est possible de « déduire » de l’ensemble une « certitude » : l’avenir sera catastrophique. Sans échappatoire possible.
Pour expliquer comment l’on peut en être « certain », il faut d’abord considérer la « ligne générale » des nouvelles qui concernent tous les domaines, ou « l’ensemble du tableau » qu’elles forment : il est clairement mauvais. Même les optimistes le reconnaissent puisqu’ils fondent leurs appels sur un résumé catastrophique de « tendances » quantifiées de façon scientifique.1 Cependant, si tout le monde est d’accord sur le diagnostic, l’on en tire des conclusions opposées : les « imbéciles bien intentionnés » pensent qu’il est encore possible de changer le cours des choses, tandis que ceux de notre espèce pensent que c’est strictement, rigoureusement et absolument impossible. Qui a raison ? Nous bien sûr, mais il reste à expliquer pourquoi.
Le jugement
C’est tout bêtement une question de jugement, cette faculté dont chacun dispose et qui permet, (entre autres), de porter un jugement moral sur les faits. Il importe de saisir que le jugement ne remet pas en cause les faits : ceux-ci sont ce qu’ils sont, avérés pour les uns et contestés par les autres, comme le montre l’actualité sur l’utilisation d’armes françaises au Yémen. Le jugement considère les faits comme acquis, ce qui doit s’entendre comme « donnés par hypothèse ». Au demeurant, le jugement peut s’exercer sur des faits jamais réalisés, comme celui d’un véhicule autonome que l’on imagine dans la situation d’avoir à choisir entre des victimes. Le jugement part donc des faits matériels qu’il entend juger mais ne s’y arrête pas : sa fonction est d’en « tirer des conclusions » d’ordre moral ou autre. Avec lui on entre dans la « métaphysique » au sens étymologique bien connu : ce qui vient « après les choses de la nature ».
De même que pour porter un jugement moral l’on doit faire appel à l’éthique, (une « science » qui repose sur des principes et où les faits sont désignés de façon purement formelle), l’on doit recourir à des principes et des connaissances d’ordre général pour juger de ce qui nous attend au XXIième siècle. D’où la question : sur quels « principes et connaissances générales » les « optimistes » s’appuient-ils pour arriver à la conclusion que certaines « actions », « mesures » ou « changements » seraient possibles pour éviter la catastrophe planétaire qui menace ? Il est évident que moult « actions », « mesures » et « changements » sont possibles, mais nous éviteront-ils pour autant la catastrophe ? Rien n’est moins sûr. En tout cas, les « optimistes » méritent d’être qualifiés d’« imbéciles bien intentionnés » tant qu’ils n’auront pas exposé les bases de leur jugement.
De nôtre côté, il y a pléthore de « principes et connaissances générales » qui militent en faveur de notre position :
- La biosphère, le climat, l’espèce humaine ainsi que son activité titanesque, forment un système dont les éléments sont imbriqués et inter-dépendants comme dans un organisme vivant.
- L’état de ce système ni d’aucune de ses parties ne peut être durablement stabilisé. Donc affirmer qu’il existe des solutions ne suffit pas, il faut aussi montrer qu’elles sont pérennes, ce qui relève de la quadrature du cercle.
- Chaque partie doit changer pour s’adapter aux autres, ce qui accélère une évolution autonome du système, indépendamment des changements qu’on entend lui « impulser ».
- L’exploitation des stocks d’énergies fossiles étant ce qui a permis « l’explosion » économique après la fin de la 2nde GM, et ces stocks ne pouvant être remplacés par des flux d’énergies « fatales », surtout avec un climat devenu imprévisible, les sociétés sont condamnées à être désorganisées, ce qui réduira leur capacité à influer sur le cours des événements.
- Les événements climatiques perturbateurs des décennies à venir ont d’ores et déjà leur cause présente dans l’atmosphère sous forme de CO2 : ils vont donc s’imposer quoiqu’on fasse, et comme ce sont les principaux déterminants de l’avenir, il faut en conclure que notre pouvoir de « choisir notre destin » est d’ores et déjà réduit à sa portion congrue.
- Le système présente une inertie « naturelle » qui s’oppose aux changements « salutaires ».
- La concurrence entre les hommes et leur absence d’éthique, (les décisions les plus graves sont toujours dictées par des intérêts matérialistes), rendent impossible ou illusoire toute stratégie globale.
- Tous les domaines de la vie sont menacés et impactés : il faudrait lutter sur tous les fronts à la fois, accorder autant d’importance aux uns qu’aux autres, alors que les capacités de changement des individus comme des collectivités sont limitées.
- Les effets de l’activité humaine ne deviennent visibles et mesurables qu’à partir du moment où ils se produisent à grande échelle, donc une fois qu’il est trop tard.
- La citation de Sitting Bull, « La Terre n’appartient pas à l’homme, c’est l’homme qui appartient à la Terre », est obsolète. L’homme appartient au système, il est devenu sa « créature », et cela limite drastiquement ses possibilités, notamment au plan écologique.
- L’enfer est pavé de bonnes intentions. Il n’est pas prouvé que « tout faire pour éviter une catastrophe » soit effectivement une position « éthique », car il faudrait prouver que l’on ne risque pas de seulement la retarder, et ainsi de l’aggraver. En effet, éviter la catastrophe pour des raisons éthiques revient à vouloir prolonger le plus possible la survie d’un maximum d’êtres humains, peut-être avec un impact moindre par individu, mais avec un impact global prolongé dans le temps et l’espace.
- L’on ne sait pas « exactement » comment fonctionne une société humaine moderne, du moins pas avec suffisamment de précision pour pouvoir définir des modes d’action efficaces. L’on sait encore moins comment fonctionne « le système » global, – qui n’est connu que dans ses parties. D’où la question : comment peut-on prétendre pouvoir agir, (sur le système ou la société), alors que l’on ne dispose pas des connaissances appropriées ? (L’on en sait bien plus sur l’origine de l’univers et l’évaporation des trous noirs…)
- Quelles que soient les politiques suivies, il est impossible de prétendre qu’elles auront les effets escomptés et seulement ceux-ci. Les principes de résistance aux changements et d’adaptation à ceux-ci conduiront inévitablement à des effets indésirables et imprévus. D’une façon ou d’une autre, c’est l’espèce humaine dans son ensemble qui pèse sur la planète, même si, bien évidemment, certains pèsent infiniment plus que d’autres.
Cela dit, nous attendons dans la plus grande sérénité de prendre connaissance des « principes et connaissances générales » sur lesquelles les « bonnes âmes » fondent leur « morale de l’action », et leur bel optimisme si beau à voir. Car c’est d’abord cela l’optimisme : quelque chose qui est beau à voir…
Paris, le 26 octobre 2018
PS : les écolos commencent à se faire à l’inévitable. Lire sur Reporterre : « La transition écologique a échoué, vivons avec l’idée d’effondrement »
1 Depuis quelques jours, l’on sait qu’il faudra aussi compter sur la résistance populaire aux « mesures impopulaires » que l’on juge pourtant « cruciales » pour « changer de modèle », et que cette résistance peut être cautionnée par une ex-ministre de l’écologie, c’est-à-dire par le pouvoir politique lui-même, tout bien considéré…
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très bonne analyse de pourquoi les dés sont jetés.
Il manque juste le fait que l’ensemble de la population n’est pas un tout homogène, tout le monde n’a pas le même niveau de conscience, ni ne tire dans le même direction (pour peu qu’il y ait de l’action) ; Il y a aussi beaucoup de résistance (c.f. manifestation pour l’essence trop cher prévu en novembre).
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A reblogué ceci sur Peuples Observateurs Avant Garde Togolaise et Africaine.
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