EDIT le 14 janvier 2021 : l’État va être être condamné, mais le verdict exact n’est pas encore prononcé. Lire ici : « Affaire du siècle: la « carence » climatique de l’Etat mise en avant à l’audience ». Cet article (pas très intéressant) annonce des subtilités juridiques telles que l’État sera condamné mais pour la frime.
EDIT le 15 octobre 2021 : ça y’est ! La condamnation est tombée. L’État devra compenser 15 millions de tonnes de CO2 dans un « délai suffisamment bref ». Le chiffre correspond aux 67 millions de tonnes de dépassement de son budget carbone entre 2015-2018 diminué de la réduction effective des émissions en 2020 due à la covid-19. Pas d’astreinte financière. On est curieux de savoir comment l’État va s’exécuter.
L’année 2018 s’est terminée en coups d’éclats. Outre les Gilets Jaunes que l’on ne présente plus, un record a été battu en décembre : celui du nombre de signatures obtenues en quelques jours par une pétition. Avec son titre, « L’Affaire du siècle », qui ne déparerait pas une affiche de cinéma, elle vise à soutenir une action en justice contre l’État, accusé de négligence dans sa « lutte » contre le « changement climatique ». Inutile de dire qu’Onfoncedanslemur n’est pas convaincu par cette initiative, même si elle aboutit à une condamnation en bonne et due forme. Son principal mérite est de témoigner de l’état de l’opinion, de la foi des signataires, (digne des premiers chrétiens dans la fosse aux lions), de leur besoin viscéral de « faire quelque chose », (comme les GJ mais par une autre voie), et de révéler « l’erreur du siècle » qui consiste à faire de la survie de l’humanité l’enjeu d’on ne sait quoi. Elle suppose que l’État pourrait faire plus, alors qu’une contrainte judiciaire peut seulement l’obliger à prendre des décisions plus rapidement.
Si l’on peut applaudir cette initiative au nom de la morale et de la justice, (envers les pays en voie de développement), l’on peut d’ores et déjà ricaner de ses effets, car elle ne changera rien au « destin de l’humanité » promise à l’effondrement. Quand on parle de maintenir le RC sous un seuil supposé « soutenable », c’est toujours en faisant abstraction des autres « paramètres » qui ne sont pas plus « soutenables » que la température moyenne. Nous pensons bien sûr à la biodiversité, aux pollutions qui s’ajoutent les unes aux autres, à la déforestation, aux océans-poubelle vidés de leurs poissons, aux terres agricoles qui deviennent stériles, à l’eau qui se fait rare, etc. On aura beau répéter sur tous les tons qu’il est « criminel » de « ne pas agir », et de classer le « changement climatique » ennemi public numéro un, cela n’empêchera pas l’ensemble des autres phénomènes de continuer sur leur lancée planétaire, à savoir :
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L’activité économique à base d’énergies diverses qui permettent au système de perdurer.
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L’accroissement de la population humaine.
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Le comportement des élites qui seront les dernières à sacrifier leurs intérêts.
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La nécessité, pour chaque ménage, de devoir travailler pour ne pas finir « à la rue », ce qui « cimente » le système.
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Les trafics criminels et internationaux qui prospèrent, même et surtout par temps de crise(s).
Il y a quelque chose de « sidérant » à mesurer le contraste entre l’action envisagée et les phénomènes qu’elle est censée « combattre ». Comment peut-on croire, qu’en faisant tomber les foudres de la justice sur « l’État », ce dernier pourra, à son tour et comme par miracle, faire tomber les siennes sur les émissions de « GES » ? Le seul moyen rapide et sous son contrôle, (au demeurant promesse de campagne de l’actuel président), tient à la fermeture de quelques centrales à charbon, mais cela seul pose déjà d’énormes problèmes. En bonne logique, l’État devrait s’attaquer à chaque source d’émission, prenant pour chacune des « mesures » appropriées à leur diminution. Ces sources sont connues, (ce sont principalement les véhicules à moteur thermique, la consommation de viande et l’agriculture), mais les méthodes pour les diminuer, où sont-elles ? Nous sommes en pleine « terra incognita », l’on ne les connaît même pas en théorie puisqu’elles restent à imaginer ou à expérimenter à grande échelle (véhicules électriques par exemple).
Prenons le cas de la consommation de viande, (facile à comprendre et déjà traitée par le menu dans « Hippopotamus exemplum »), et voyons quelles solutions lui appliquer. L’une d’elle peut sembler « prometteuse » : la « journée sans viande ». Elle est totalement ridicule en tant que solution, ce n’est qu’une astuce de com’ qui consiste à créer un sujet pour parler d’un problème. Taxer la viande : problématique pour les pauvres. Taxer les importations : favorisera les producteurs nationaux et ne conduira pas nécessairement à une moindre consommation. Taxer les restaurateurs (parce qu’ils donnent le mauvais exemple) : tollé dans la profession. Campagnes publicitaires pour diaboliser la consommation : trop coûteux pour l’État et « effets pervers » garantis, car ce serait encore faire la pub de la viande. Légiférer de façon à réduire la consommation : ce serait une grande première car, en pays capitalistes, aucune consommation sauf l’eau n’a jamais été limitée par les pouvoirs publics. Reste la prohibition, facile à établir par voie législative mais difficile à gérer dans ses conséquences : elle est bien sûr totalement irréaliste, comme toute solution « extrémiste ».
Pilotage par les prix
Nos deux millions de signataires, (autant de naïfs qui semblent nés de la dernière pluie), ont oublié, qu’en régime capitaliste, production et consommation sont pilotées par les prix. Nous ne sommes pas sous le régime de l’ex-URSS où il serait facile de réserver la consommation de viande à la « nomenklatura ». Nous sommes au contraire dans un régime ultra-libéral sous l’égide d’un « monstre administratif », l’Union Européenne armée de sa monnaie unique, qui a sacralisé la « concurrence libre et non faussée ». Nous sommes aussi dans un système qui sanctifie « l’esprit d’entreprise », « l’innovation », « l’initiative individuelle », toutes choses qui confortent le pilotage par les prix et valent aussi pour la production et la commercialisation de la viande, mais qu’il s’agirait de fustiger dans leur cas. A cela s’ajoute que les prix, pour l’essentiel, n’obéissent pas à d’illusoires « lois du marché » mais à des rapports de forces (occultés), où l’État est toujours perdantvidéo s’il ne dispose d’aucun pouvoir de coercition.
Ses pouvoirs sont donc plus que limités, voire inexistants. Comment comprendre que l’on puisse, (dans la foulée d’Aurélien Barrau), le tenir pour « responsable », lui ou le « corps politique » qui l’anime ? Il joue depuis le début un rôle central et crucial : celui d’avoir favorisé et organisé l’ensemble des activités industrielles, en particulier par la répression des forces sociales qui cherchaient à résister. Mais c’est de l’histoire ancienne, la Seine a coulé sous les ponts, l’UE et le néolibéralisme se sont installés à demeure, l’État n’est plus qu’une personne morale et ne sert plus guère qu’à maintenir « l’ordre public », indispensable à la poursuite du business malgré les inévitables « rebuffades » de « la populace ». Sachant par ailleurs que la classe dominante, (au sens large), « fait dans son froc » aussitôt qu’elle voit « l’ordre public » menacé, (ce qui se comprend fort bien), l’on devine que les changements profonds qu’exigerait une véritable « lutte pour le changement climatique » ne sont pas prêts d’arriver.
Psychologie
C’est pourquoi l’on se demande vraiment quelles peuvent être les motivations d’une personne qui se fait signataire de cette pétition. Il y a sans doute une part de culpabilité : « je profite du système mais il détruit la planète, donc je dois faire quelque chose ». Ainsi, par ce que l’on prend pour une « action », (trois clics dans un formulaire), le signataire peut se sentir « responsable », « conscient », « lucide », « solidaire » et surtout « moral », à l’inverse de ces ignobles personnages qui n’en finissent pas de prêcher leur « pessimisme radical ». N’est-ce pas merveilleux de voir, par la magie d’Internet et de l’informatique, la culpabilité se métamorphoser en qualité ?
Prétendre « faire quelque chose », face aux phénomènes titanesques qui se déroulent sous nos yeux, confère à toute cette histoire un petit côté prométhéen, c’est-à-dire un orgueil lui-même titanesque et bien sûr inavoué. Les acteurs de cette « affaire du siècle » ne s’imaginent pas, à l’inverse de leurs aïeux, « commander à la nature », mais entendent « commander à l’humanité », ce qui est tout aussi illusoire. Ils retournent leur médaille fétiche mais n’y renoncent pas.
Paris, le 9 janvier 2019
EDIT le 12 janvier 2019 : « Il faut changer de régime alimentaire pour sauver la planète » : cet article explique que ce serait déjà un énorme progrès que chacun diminue sa consommation de viande, sans se contraindre à une abstinence complète.
Lire aussi : le Diplo de janvier 2019 : « La justice sociale, clé de la transition écologique »
Illustration : « L’Affaire du siècle »
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et quand bien meme La France, l’Europe arrêtait tout, quid du reste du monde ….
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Eh oui… C’est aussi le genre de choses auxquelles je pense. C’est toute la planète qui devrait appuyer sur les freins, en commençant par les Occidentaux, car ce sont eux qui ont commencé et qui consomment le plus. Mais allez demander aux Américains de consommer moins !… 🙂
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On peut consommer moins ou réduire sa natalité.
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Certes, mais vous tenez là une position de principe. La « mettre en musique », c’est une autre histoire…
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Bien sûr, tout comme « consommer moins », les 2 sont quasi impossible (consommer moins et faire moins d’enfants).
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Une forme d’humanité pourra peut-être survivre grace à la géo-ingénierie du climat et des plantes ainsi qu’à la transhumanisation de l’homme (la fusion partielle avec la machine)
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