Aiguillonné par un article du Canard intitulé « Protéger pour mieux saccager »1, Onfoncedanslemur va aborder pour vous un sujet difficile : la « neutralité carbone ». Commençons par citer in extenso, (et sans permission donc avec transgression), cet article qui cadre bien le sujet.
« La « croissance verte » a-t-elle quelque chose à voir avec la protection de l’environnement ? Aucunement. Comme l’explique l’OCDE, elle vise à « garantir la disponibilité des ressources naturelles nécessaires au développement durable à long terme« . Autrement dit, on peut continuer de saccager aujourd’hui l’environnement, du moment qu’il en reste assez à saccager demain.
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Comment organiser cette « croissance verte » ? En chiffrant tout : le CO2, une forêt primaire, une zone humide, une espèce, etc. Une fois la nature dûment traduite en termes monétaires, on peut la brancher sur les flux financiers : d’où le marché des droits à polluer, les green bonds (pour financer des projets « verts »), les marchés de compensation (on saccage 1 hectare ici, mais on en protège 5 ailleurs), les « banques d’actifs naturels » (qui achètent des morceaux de nature pour mieux spéculer), etc.
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Comment les compagnies d’aviation peuvent-elles promettre de bientôt devenir « neutres en carbone » (ce qui signifie qu’on absorbe autant de CO2 qu’on en émet), alors que le trafic aérien va carrément doubler d’ici vingt ans ? Simple : le niveau de référence sera celui de l’année 2020. Tout ce qui dépassera ce niveau sera compensé, sans doute par l’achat de forêts. Air France participe déjà à la protection de 470.000 hectares de forêt à Madagascar, représentant 35 millions de tonnes de CO2 (et ce avec la bénédiction de Yann Arthus Bertrand, et du WWF). Très pratique, ce système ! Le chiffre d’affaire continue de grimper, les émission de CO2 explosent, mais les compagnies aériennes peuvent se présenter comme très vertueuses : après avoir multiplié le prix de la tonne de carbone (aujourd’hui entre 5 et 20 euros) par la capacité de l’hectare de forêt à en stocker, elles en achètent des forêts chaque année, et hop !
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Une fois absorbé par les arbres, le carbone y reste-t-il sagement jusqu’à la saint-glinglin ? Non. « Les crédits carbone forestiers, c’est une imposture scientifique« , dit Sylvain Angerand, des Amis de la Terre. Le carbone rejeté dans l’atmosphère a une durée de vie de 100 ans, mais les arbres le stockent temporairement. Cela ne fait donc que repousser le problème.
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Mais c’est quand même mieux que rien, non ? Cette prétendue « compensation » permet, au contraire, de ne pas mettre en œuvre la seule solution vraiment efficace : la réduction des émissions. Achetés (à bas prix) à des pays pauvres du Sud, les arbres et les forêts de ces pays vont peu à peu appartenir à des entreprises polluantes du Nord. Sans que les autochtones en profitent. Il arrive même qu’on les en chasse !
Toutes ces infos, et bien d’autres, proviennent de la série d’entretiens qu’Antoine Costa a menés auprès d’experts, d’analystes, d’écolos et réunis dans un ouvrage très édifiant et très vert. De rage ! »
Fondé sur ce pilier du capitalisme qu’est l’individualisme, la compensation consiste à dire : « Moi, je balance du CO2 dans la nature mais j’en stocke, je fais ma part du boulot, l’on ne peut rien me reprocher. » Et si vous en stockez autant que vous en émettez, alors vous atteignez le Graal : la « neutralité carbone ». Ce serait logique et merveilleux si les capacités de stockage étaient créées ex nihilo, par exemple en plantant des arbres. Mais comme c’est souvent impossible, l’on se contente de considérer que l’on « absorbe du CO2 » quand on met quelques dollars dans l’achat de forêts qui, d’une part, n’ont attendu personne pour jouer leur rôle d’absorbeur naturel, d’autre part appartenaient déjà à quelqu’un. Bonjour l’entourloupe !
Ce mode de « compensation » n’est donc qu’un artifice comptable pour éviter une « distorsion de marché » entre les entreprises qui investissent pour réduire physiquement leurs émissions, et celles qui ne font rien pour cela. Il s’agit donc d’une neutralité financière, calculable en mettant un prix sur la tonne de CO2 et les capacités naturelles de stockage, non d’une neutralité physique comme la locution « neutralité carbone » le laisse entendre.
Une compensation physique est cependant possible, carbone 4 se bat pour cela avec sa Net Zero Initiative. Le site info-compensation-carbone nous explique comment ça marche :
Comme il vous reste toujours des émissions « irréductibles » sur les bras, (ce que l’on admettra sans démonstration…), l’idée est de les compenser en finançant des projets de réduction ailleurs : comptablement, cela revient à acheter des « crédits carbone » qui sont calculés en fonction du « CO2 évité ». Placé sous l’égide de l’ONU, ce système est beaucoup plus efficace et éthique que celui du simple stockage naturel, car il se fonde sur des réductions physiques et peut vraiment aider des acteurs qui, sans lui, émettraient plus de CO2. Et son bilan est flatteur selon le site déjà cité :
En seulement quatre ans, de 2008 à 2012, 850 millions de « tonnes équivalent C02 » n’ont pas été émises. Bravo ! Malgré tout, cela laisse perplexe, ne serait-ce que par rapport au volume mondial qui approche les 37 milliards de tonnes par an, (1000 tonnes par seconde). Que certaines entreprises parviennent à une vraie « neutralité carbone » est certes possible puisque leurs efforts se font récompenser, mais, au bout du compte, il restera toujours un tonnage « irréductible » qui continuera de croître comme le montrent les chiffres.
Il nous semble que cette notion de « CO2 évité » traduit une amélioration de ce que l’on pourrait appeler « l’efficacité carbone » des processus de production, (moteurs plus économes, centrales nucléaires à la place des thermiques, bâtiments mieux isolés, etc.), donc une diminution des quantités émises par unité produite, (km-passager, kWh,…), mais, si l’on produit toujours plus, alors on émettra toujours plus. Il n’y a pas de miracle.
Théoriquement, un pilotage global est prévu via les émissions étatiques de « crédits carbone » initiaux2 dont l’enveloppe, censée jouer le rôle d’un corset, doit diminuer au fil des années et selon les engagements pris par les États. Malheureusement, le système a été calibré de façon à ne pas enrayer le « développement » ni mettre les entreprises et les États en difficulté. Dans les discussions de l’OACI pour aboutir à son GMBM, (« Global market-based measure »), il est explicite que le « mécanisme » ne doit pas être un « fardeau » :
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« le Brésil résume les arguments techniques (…) pour la répartition des exigences de compensation afin d’éviter les distorsions du marché et l’imposition d’un fardeau disproportionné sur le développement du trafic aérien international de certaines régions » ;
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« afin d’atteindre l’objectif ambitieux mondial sans imposer un fardeau économique excessif à l’aviation internationale » ;
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« Décide que le CORSIA doit prévoir des mesures de sauvegarde pour assurer le développement durable du secteur de l’aviation internationale et éviter que l’aviation internationale ait à supporter un fardeau économique inapproprié ».
Finalement, ces « mécanismes de compensation », s’ils sont bel et bien conçus pour aider les entreprises à diminuer leurs émissions, sont tout autant des facilitateurs d’émissions, précisément parce qu’ils n’entravent pas ces « mécanismes du marché » qui ont été conçus, eux, pour produire toujours plus…
Paris, le 18 janvier 2019
PS : les forêts sont attaquées de toutes part, y compris en France. Il ne semble pas que la mécanique de « compensation », qui existe depuis longtemps, puisse améliorer leur sort. C’est ainsi que notre ONF se trouve en difficulté financière, ce qui l’entraînerait, selon ses agents fort mécontents, à une logique d’exploitation de type industrielle et non pas écologique. Son directeur vient de démissionner.
1 Article signé Jean-Luc Porquet : il a fait la recension d’un livre d’Antoine Costa : « La Nature comme marchandise » aux éditions « Le Monde à l’envers ».
2 Jusqu’en 2012, les droits initiaux étaient accordés gratuitement aux entreprises au prorata de leurs émissions historiques. Maintenant ils sont gratuits ou vendus aux enchères par l’État. Cf. JM Jancovici : « Qu’est-ce que le prix du CO2 ? »
Illustration : « Les Chevaliers de la table ronde » – boutique Gobelins Tapis
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