Pour sauver la nature et le climat, il faudrait en principe restaurer la primauté de la tradition sur le changement, puisque seule la tradition permet, (toujours en principe), de conserver un mode de vie durable. Il faudrait donc changer pour parvenir à ne plus jamais changer, et ce, dans un environnement rendu chaotique par le climat. La foi, l’optimisme et la morale réunis n’y suffiront pas : il faudra apprendre à marcher sur l’eau et multiplier miraculeusement les petits pains.
De manière générale, peut-on « relever les défis » qui attendent « l’Humanité », (mot fétiche des beaux parleurs), avec les moyens-mêmes qui ont conduit à les dresser devant nous ? Le Climatoblog a pour devise : « Nous sommes la cause des Changements Climatiques, soyons la solution » : c’est faire joujou avec un ruban de Möbius.
Pour faire face à ces menaces inédites dans l’histoire humaine, il faudrait des principes eux-mêmes inédits. Malheureusement, tous ceux que l’on peut formuler ont déjà été mis en pratique, souvent depuis des millénaires, en particulier l’entraide et la coopération si chères à nos collapsologues. Comment leur demander, (à ces principes, pas aux collapsologues), de nous sortir du pétrin quand on sait qu’ils ont aussi servi à motiver la création de ce monstre bureaucratique qu’est l’Union Européenne ?
Le principe de coopération pourrait avoir atteint un paroxysme : au Congo, des mômes de cinq ans « coopèrent » à la fabrication d’objets électroniques en travaillant dans des mines infâmes. Ces objets seront vendus partout dans le monde sans qu’ils n’en sachent rien : ces petites mains malheureuses sont les abeilles du capitalisme.
Bien sûr, les collapsologues ne pensent pas à cette coopération-là, (que l’on retrouve pourtant dans la moindre PME d’ici et d’ailleurs), mais à celle des petites gens qui se pratique spontanément et depuis toujours « au niveau local ». Mais pourquoi faut-il, Pablo Servigne en tête, qu’ils nous assènent cette leçon aussitôt qu’on leur tend un micro ? Parce que leur « science », vide comme un tambour, les oblige à puiser dans les recettes de grand-mère.
En pratique, il est impossible de « se préparer à l’effondrement ». Question idiote : comment un Parisien pourrait-il se préparer maintenant à, par exemple, manquer d’eau dans trente ans ? En s’astreignant à n’en consommer que huit litres par semaine ? En suivant des stages dans le désert ?
Mais surtout, les « collapsologues » n’expliquent pas comment l’on pourrait se préparer collectivement. L’on peut demander, (ou du moins espérer), tous les changements qu’on veut au sein de la société, mais personne n’a jamais su « se préparer » à une situation que l’on ne sait même pas décrire.
Dans cette vidéo au titre suggestif, « Remplacer les espoirs à la con par des espoirs lucides », Arthur Keller affirme au contraire que l’on peut se préparer, mais ses bases n’ont strictement rien à voir avec celles des collapsologues.
Dans « la société du spectacle », il ne s’agit plus de penser mais d’agir, et toutes les causes sont bonnes pour faire du business en prenant la pose. Notamment Cyril Dion dans Libé de décembre 2018 : « À partir du moment où tu commences à agir, tu acceptes qu’il y a un problème. Et à moyen terme, que ce problème n’a pas de solution mais que c’est un futur effondrement. Nos actions ont des conséquences dramatiques sur le monde végétal et animal. De quel droit pourrait-on décider de ne rien faire ? » Il faut être bête comme ses pieds pour imaginer une seconde que la morale nous aidera à « sauver la planète ».
N’en déplaise à Cyril Dion, on est en train de ne rien faire, et sans avoir l’avoir décidé, parce que la logique l’a fait pour nous : les seules « solutions » qui auraient un effet substantiel, par exemple diviser par cinq notre train de vie, sont irréalisables. De manière générale, tout ce que l’on peut imaginer doit être affecté d’un coefficient de probabilité qui varie en sens inverse des gains escomptés. C’est comme au loto.
Cette position de supériorité morale alimentée par une psychologie de bazar, commune aux collapsologues et aux saltimbanques, n’en finit pas de nous révulser, car il est trop facile, trop commode et trop confortable d’adopter le « camp du bien » en paroles et en images. Hollywood le fait depuis que le cinéma existe. Mais reconnaître que les phénomènes nous dépassent, et que nous n’y pouvons rien, (sauf à la marge ou avec des motivations spirituelles), c’est une autre paire de manches, (et ça rapporte zéro en chiffre d’affaire). Les chrétiens avaient au moins cette humilité, eux qui enjoignaient le peuple de penser à son salut.
Nous ne rangeons pas la désormais célèbre Greta Thunberg dans le panier des « beaux parleurs », parce que nous ne discernons aucun optimisme stupide dans ses propos, seulement un « rappel » de la réalité des faits.
Si l’on peut attribuer à la volonté humaine le fait de consommer toujours plus d’énergie, (encore que cette imputation reste à démontrer car nous sommes plongés dans un système qui conditionne et transcende même les élites dirigeantes), il serait ridicule de lui attribuer l’épuisement des stocks et le réchauffement climatique. Conséquences imputables aux seules lois de la physique, ces deux phénomènes échappent à la volonté humaine : ils sont donc naturels. L’effondrement et la déstabilisation du climat sont des processus naturels qui promettent d’être aussi imparables que la pesanteur.
Il faut avoir, comme Cyril Dion et autres beaux parleurs, la mythologie du progrès chevillée au corps pour prétendre en imaginer un autre qui puisse être salvateur.
Il est remarquable de constater que l’espèce humaine a su « s’affranchir » de la biologie, (comme l’on « s’affranchit » de la pesanteur avec l’avion), mais pas de la physique. La destruction de la biosphère procède surtout de phénomènes physiques : diminution des espaces sauvages, destruction des niches écologiques, déforestation, capture des poissons, diffusion de GES et de produits polluants. L’on ne cherche à éliminer sciemment que des espèces jugées nuisibles à l’élevage et l’agriculture : la plupart disparaissent de notre fait mais pas de notre volonté, c’est pourquoi il est si difficile de lutter contre.
Le principe de cette tragédie, c’est que personne ne veut la mort des orangs-outans ni de « la biosphère », mais tout le monde veut gagner de l’argent.
Ce que la tradition philosophique range dans la catégorie des artefacts peut être aussi considéré comme exclusivement naturel, parce que c’est un cerveau biologique qui a permis qu’ils apparaissent dans « l’environnement », au même titre par exemple que les fourmilières. Cela fait de l’humanité une immense fourmilière en passe d’épuiser ses ressources biologiques et minérales, mais bon, c’est quelque chose que l’Évolution ne pouvait pas prévoir.
Publié le 10 mars 2020
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Voilà de beaux articles qui remettent un peu de perspective…
Pris dans l’avalanche, nous débaroulons tels des boules de neiges… inexorablement piégés par les règles élémentaires de la physique… ça fait mal mais il va bien falloir l’accepter…
Merci pour ces textes…
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