Il est trop tard (2/5) : le consensus international

EDIT le 1er juillet 2021 : selon le Figaro, il y aurait 600 projets de centrales en Asie.


Examinons le cas exemplaire et crucial du charbon. Qui se focalise sur les bonnes nouvelles peut facilement se convaincre que les centrales à charbon sont appelées à disparaître, ce qui laisse croire que « le système » peut être dirigé dans le bon sens. La preuve par cet article de mars 2019 sur le site d’Europe 1 : « Le nombre de centrales à charbon recule dans le monde, à l’exception de la Chine ». Mais le titre est faux : n’a reculé que le nombre de centrales en cours de développement. On en construit donc un peu moins, mais l’on continue néanmoins d’en construire, de sorte que le total augmente. C’est un article de propagande qui ne dit rien d’explicite : il se contente de saluer les États-Unis qui concentrent la « moitié des centrales à charbon arrêtées dans le monde en 2018 », et d’accuser la Chine qui « concentre la moitié des capacités ». Mais ce recul US tient probablement à la vétusté des centrales à charbon et à une bascule vers le gaz moins cher (d’après Sylvestre Huet) :

« Les chercheurs observent une baisse significative de l’usage du charbon pour l’électricité aux Etats-Unis et dans l’Union Européenne, de -10%. Aux Etats-Unis, cette baisse ne doit pas grand chose à une politique climatique sabordée par Donald Trump, mais au prix du gaz, souvent inférieur à celui du charbon, ce qui entraîne une bascule de la production vers cette énergie dont la combustion dégage moins de CO2 au kwh produit. »

Si l’on cherche d’autres chiffres, l’on trouve par exemple Statista qui affiche le diagramme suivant :

conso-charbon-mondiale

La consommation mondiale a un peu baissé à partir de 2015, mais remonte déjà à partir de 2017. Nous ne sommes donc pas loin des 4000 Mtep, (millions de tonnes équivalent pétrole), soit 4 milliards de tep par an sans compter le gaz et le pétrole. Qu’importe de savoir où et pourquoi ces centrales sont installées, ces stats globales montrent le système tel qu’il est, indépendamment de ses innovations et fluctuations que l’on veut faire passer pour des tendances lourdes et définitives. Aujourd’hui, on peut penser qu’un consensus mondial s’est installé pour faire baisser les GES, (Cf. les accords de Paris et Greta Thunberg invitée à Davos et à l’ONU), mais rien ne dit qu’il ne volera pas en éclats. (EDIT le 15 décembre 2019 : il semble que ce soit déjà fait à voir la sinistrose de la COP25.) Après la Première GM, le consensus disait « plus jamais ça », on sait ce qu’il en advint à peine 20 ans plus tard : un crescendo dans l’horreur. Il y a donc fort à parier que, dans quelques décennies, quand il n’y aura vraiment plus de pétrole, l’on découvrira que les énergies renouvelables sont loin de suffire, et aucun pays ne restera les bras croisés face à ses besoins : il prendra l’énergie là où elle se trouve, dans ce charbon abondant et facile à convertir en électricité.1 C’est en tout cas ce que l’on peut lire dans les anticipations de l’EIA2 :

« Le charbon, fréquemment montré du doigt pour les fortes émissions de CO2 associées à sa combustion, pourrait voir sa consommation mondiale « décliner jusqu’à la décennie 2030 » (avec une transition vers le gaz et les énergies renouvelables dans le secteur électrique) mais à nouveau augmenter dans les années 2040 pour satisfaire des besoins industriels mais aussi de production d’électricité dans les pays asiatiques hors Chine. »

Une autre nouvelle confirme notre point de vue : « L’un des plus grands gisements de charbon africain s’apprête à partir en fumée ». Ça se passe au Botswana, un pays très petit mais très dynamique. Ne lui jetons pas la pierre : même à plein régime, sa production restera « dérisoire », dit l’article, « face à la production des mastodontes mondiaux : à elle seule, la Chine a extrait 3,5 milliards de tonnes de charbon en 2018, quand l’Inde et les États-Unis comptabilisent respectivement 730 et 680 millions de tonnes sur la même année. À ce jour, 300 nouveaux projets miniers dans le monde ont été annoncés, dont 92 sont déjà en construction ».

Il ne faut donc pas s’étonner de voir que le consensus mondial anti-CO2 ne brille pas par ses effets : son existence prouve seulement que l’existence du terrible RC est désormais « actée », mais au sens des managers qui jouent au bonneteau avec les mots.

COP-CO2-Jancovici
Graphique traduisant l’efficacité du consensus mondial sur les GES – Conférence de Jancovici (à 1h32)

L’on s’imagine un peu vite que « l’Humanité » n’aura de cesse de « lutter contre le réchauffement climatique », mais c’est vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué. Les « alarmistes bloquants » (selon la terminologie de Laurent Mermet) qui affirment que « l’on ne fait rien », ont tout à fait raison : l’on ne fait rien qui puisse vraiment dévier « le système » de sa trajectoire, car il est humainement impossible de remettre en cause les besoins, (toutes classes sociales confondues), de 8 milliards d’individus. Ces « alarmistes bloquants », comme Greta Thunberg, choquent beaucoup de monde, (notamment Michel Onfray, mais tous les éditorialistes sont vent debout contre cette « gamine »), car ils exigent que les mieux nantis changent leur mode de vie pour diminuer leurs besoins. Ils choquent encore plus les capitalistes, (qui neutralisent la « charge explosive » de ces rebelles en les laissant s’exprimer), car ils sont les premiers à tirer profit du travail que ce mode de vie rend possible. (Exactement comme la fable sur le cholestérol a rendu possible des milliards de profits.) C’est pourquoi l’on peut prédire avec certitude que les mentalités évolueront (très) lentement, que les consommateurs culpabilisés changeront leur consommation, que les producteurs suivront et que « le système » s’adaptera, mais aussi que rien ne changera sur le fond. Comme le dit Jancovici : « Entre PIB et CO2, il faut choisir »3, mais c’est tout vu : l’on « choisira » toujours le PIB.

En fait ce n’est pas une question de PIB, c’est seulement qu’on n’a pas le choix, car appuyer vraiment sur les freins provoquerait tant de dégâts qu’aucun gouvernement ne peut en prendre la décision. (Ce que les militants d’Extinction Rebellion ne semblent pas avoir saisi : facile de dire ce qu’il faut faire quand on n’est pas aux manettes.)

Curieusement, que le consensus international puisse « voler en éclats » semble aujourd’hui « impensable » et farfelu. De nombreux signes disent pourtant à quel point il est fragile :

  • Le graphique ci-dessus montre qu’il n’est qu’une façade. Il tiendra tant que l’on pourra en maintenir les apparences sans « impacter » les autres priorités.
  • Toujours soucieux d’audience, et aux mains des puissances d’argent, les médias donnent plus de place aux sceptiques, qu’aux tenants du consensus.
  • Les pouvoirs « démocratiques » par convention, (encore les apparences), mais maffieux voire fascistes dans leurs pratiques, feront taire les « pro-climats » au nom du chantage habituel : l’emploi, la compétition international, « nos valeurs », l’équilibre budgétaire, l’ordre public (indispensable aux affaires), etc.
  • Il est avéré que « le système » est d’une prodigieuse tartufferie : l’intérêt collectif ne l’intéresse que dans la mesure où les plus puissants intérêts privés y trouvent d’abord le compte. Capable de tout, à commencer par le pire, « le système » pourrait fort bien instaurer un autre consensus à base de mensonges éhontés. Alors qu’aujourd’hui la problématique est de « prévenir », il pourrait basculer dans le mode « guérir » à la sauce des labos pharmaceutiques : chacun pour soi et le marché pour tous. (EDIT le 9 janvier 2020 : en Australie, c’est déjà ainsi que l’eau est « gérée » : par la vente aux plus offrants via « le marché ».)
  • Une ligne de faille partage la planète en deux camps : les occidentaux, (USA, Europe, Japon, Australie, Canada, pétro-monarchies…), et les autres : Chine, Russie, Inde, Brésil,… Même si le consensus se maintient en dépit de cette division, ses bases sont fragiles car, dixit Poutine : « Les gens en Afrique ou dans nombre de pays asiatiques veulent vivre au même niveau de richesse qu’en Suède ».

On n’en sortira jamais. Tant que « le système » ne s’effondrera pas, il nous entraînera dans « la croissance », avec ses corollaires bien connus : surexploitation des ressources et émissions de GES. Qui veut voyager loin ménage sa monture dit le proverbe, mais l’économie a été conçue pour aller vite à moindre frais, au mépris de la « monture » : tout ce qui se trouve sous la selle. La Chine en est un parfait exemple, elle qui a rattrapé les pays développés à la vitesse d’un cheval au galop, comme Bruno Guigue aime le rappeler sur Facebook :

  • « L’espérance de vie est passée de 40 à 64 ans sous Mao, puis à 77 ans aujourd’hui (79 ans aux USA). »
  • « L’analphabétisme est complètement éradiqué. »
  • « Le taux de scolarisation est de 98,9% dans le primaire et de 94,1% dans le secondaire. »
  • « Le taux de pauvreté (selon les statistiques de la Banque mondiale) est passé de 95% à 3% en 40 ans. »

C’est pourquoi le « branle-bas des consciences » dont rêve Arthur Keller serait, dans le meilleur des cas, bien trop lent à changer les choses. Les changements climatiques ne nous en laisseront pas le temps, ils vont encore s’accélérer, comme le montrent déjà tempête de neige en septembre et vague de chaleur en octobre sur les États-Unis.4 L’avenir à court terme tient désormais en trois mots : panser les plaies.

Paris, le 9 octobre 2019

Publié le 13 mars 2020

1 Le charbon est facile à convertir en électricité mais difficile transporter. Cf . Jancovici, conférence à Sciences Po (à 1h22), où il cite une centrale allemande de 4 GW qui consomme 50.000 tonnes par jour. L’on devine que la logistique doit suivre, ce qui constitue un facteur limitant mais non rédhibitoire. L’on peut dores et déjà imaginer que les super-tankers destinés au pétrole seront reconvertis en navires charbonniers.

2 Sans attendre les prévisions de l’EIA, nous avions déjà pronostiqué, fin février 2019, une augmentation de la consommation de charbon en nous basant uniquement sur des considérations d’ordre général. Lire : « Nécessité fait loi ».

3 Jancovici, conférence à Sciences Po, (à 1h01).


Illustration : Universal Consensus

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