Pour en finir avec Didier Raoult

Oui la chloroquine ça marche, oui Didier Raoult est un grand virologue. Voilà deux vérités dites d’emblée, mais qui ne sont qu’un aspect des choses. D’abord il nous a paru comme une « tête brûlée » fort sympathique, et nous avions trouvé intéressant qu’il tape sur « la science » et ses « études » auxquelles ont fait dire tout et son contraire. La science doit être critiquée, et elle ne l’est pas assez, trop rarement, en particulier ses fameuses « études » à base de statistiques. Il se trouve qu’une étude a été faite à leur sujet, (dont nous avons malheureusement perdu le lien), et qui a montré que les strictes contraintes que supposent les statistiques ne sont le plus souvent pas respectées, de sorte que moult études publiées dans les revues savantes n’auraient jamais dû l’être. Cela signifie qu’il ne faut pas confondre la science dans ses principes, et la science dans ses pratiques. La première est ce que les humains ont inventé de mieux, mais les scientifiques sont aussi des humains avec tous les travers qu’on leur connaît, et leurs pratiques souffrent de la compétition systémique qui sévit dans tous les domaines.

C’est pourquoi la science peut même se montrer exécrable, une vraie « machine à dire des conneries » pour reprendre l’expression de l’un de ses détracteurs. Elle est exécrable notamment quand elle prétend que « le voyage dans le temps » est possible pour les humains, mais aussi quand ses membres les plus éminents en viennent à dire n’importe quoi en public. Ces deux sujets ont un point commun : la vulgarisation scientifique, c’est-à-dire la diffusion des connaissances scientifiques dans le public. Et là, le spectacle est plutôt moche, on tombe dans le grand n’importe quoi. A commencer par Didier Raoult qui, loin de faire dans la dentelle, avance juché sur son bulldozer. La preuve par ce billet du Yéti déjà posté sur FB où il déclare :

« La réalité scientifique, dans le modèle des maladies infectieuses aiguës, c’est quelque chose d’assez simple. C’est d’ailleurs aussi simple pour le sida. Vous savez, quand on a eu un médicament efficace, avec trois malades on savait. On mettait un anti-protéase, il n’y avait plus de virus dans le sang, c’était fini. Ce n’était pas la peine de faire des études avec 10.000 personnes. »

Ce n’est plus une critique de la science dans ses pratiques, mais dans ses principes, ce qui est inadmissible. Comme expliqué dans le meilleur antidote à la stupidité, la science est dès ses origines une méthode critique, avec esprit critique à la clef. S’en prendre à ses principes ne peut que réduire cet esprit critique jusqu’au niveau zéro. Gros titre du Yéti : « la seule chose qui importe en médecine, c’est l’efficacité », certes, mais une efficacité fondée sur la science impersonnelle, non sur une pratique artisanale et individuelle qui n’intervient qu’en aval. Il est évident que cette efficacité fonctionne dans le cas d’un grand virologue consciencieux, mais si tout le monde se met à dire et faire comme lui au prétexte qu’on n’a pas besoin de la science ni de ses études bidons, alors tout le monde et n’importe qui pourra prétendre « être efficace ». Le grand public est-il sensible à ce genre de subtilités ? Certainement pas, sa tendance est de jeter le bébé avec l’eau du bain, elle est aux rejets en bloc, de sorte qu’il verra la science comme ses détracteurs en parlent, et se fiera finalement aux charlatans et aux religieux. On en est loin, certes, mais c’est bien là que conduirait un rejet sans nuance des principes de la science.

Or donc, aussi critiquables soient-elles, ces « études » décriées n’en sont pas moins strictement nécessaires. Mais il s’en fiche, il ne connaît que ses pratiques de praticien en chambre (d’hôpital), alors que nous sommes face à un problème de santé publique, un domaine où l’on ne peut strictement rien faire sans études statistiques préalables. Et devinez pourquoi ? Parce qu’il ne s’agit plus de soigner les quelques malades qui viennent vous voir, mais de la santé de dizaines de millions de personnes : non seulement le changement d’échelle est évident, mais il se double d’un changement de contexte. Dans son service financé en amont, Didier Raoult est seul maître à bord mais, à l’échelle de la nation, il y a : un gouvernement, une opinion publique, des financiers, une économie, une certaine organisation, de la concurrence à couteaux tirés, et une infinité d’autres paramètres qui n’existent pas dans les chambres d’hosto. Plongées dans ce grand bain, ses « méthodes efficaces » ne sont plus que des recettes de cuisine, dont on se fiche royalement quand on a un peu d’esprit critique, et un certain goût pour une approche holistique des choses.

Ce monsieur n’a prouvé que son ignorance crasse de la chose publique, sinon il n’aurait jamais balancé qu’on n’a pas besoin d’études statistiques. Ce n’est qu’un type qui veut se faire mousser, et qui a l’air de vouloir passer par le grand public pour atteindre les décideurs. Mauvaise pioche. Le premier peut gober et applaudir n’importe quoi, le second sait que les choses sont un tantinet plus compliquées, et il est de surcroît soumis à mille autres sollicitations. On ne va pas vous détailler comment les choses sont plus compliquées, il suffit de lire un autre son de cloche que celui de l’intéressé, notamment ce très long article sur Les Crises : « Les mensonges de Didier Raoult pour promouvoir la chloroquine et faire oublier le reste ». Quand on dit que c’est simple quand on sait que ce n’est pas le cas, c’est du mensonge, et les mensonges sont encore plus impardonnables quand ils viennent des scientifiques.

EDIT : lire « La valeur-p, un problème significatif » sur le site de Pour la science, mais réservé aux abonnés. Il montre très bien que les scientifiques ont tout à fait conscience que les chiffres ne sont pas toujours significatifs, et qu’ils le sont souvent faussement. En tout cas, dire qu’il y a un problème de méthode, ce n’est pas dire que les méthodes ne servent à rien.

Paris, le 3 avril 2020


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