Bien que Darwin ait décédé il y a plus de 130 ans, certains intellectuels n’ont toujours pas compris que l’évolution de systèmes aussi complexes que « la planète », « la biosphère », « l’humanité », etc., ne peut prendre aucune direction a priori, donc qu’ils ne sont « pilotés » que par le hasard, non par « des lois » qui leur assigneraient « une seule voie » possible. Bien sûr, in fine, ils n’en suivent qu’une seule, mais seulement parce qu’ils ne peuvent pas réaliser simultanément l’infinité des possibles.
Parmi ces « intellectuels », l’on compte Vincent Mignerot qui se trompe sur à peu près tout et croit pouvoir définir, dans « Intuition et collapsologie », un « axe évolutif » aussi unique que Dieu :
« Il est bien possible que quoi que pense l’humain de son existence, quoi qu’il en éprouve, quels que soient ses choix pour s’adapter et évoluer, cette existence soit régentée par des lois sur lesquelles il ne peut rien, qui ne dessinent peut-être qu’une seule voie pour l’avenir, que j’appelle « axe évolutif » ».
Outre qu’il y a quelque chose de bizarre à faire dépendre d’un peut-être l’existence-même de ce que l’on définit, l’on s’étonne que « des lois », (l’on se demande bien lesquelles), puissent « ne dessiner qu’une seule voie pour l’avenir » : à croire qu’il faudrait raisonner en éliminant tous les possibles sauf un dont on ignore tout. Et l’auteur de commenter sa définition, ajoutant l’erreur à l’erreur :
« Je n’ai aucunement l’illusion de pouvoir faire dévier la trajectoire de l’humanité. Que d’aucuns puissent estimer en être capables me paraît même tout à fait déraisonnable. »
Des êtres humains ont pourtant « fait dévier la trajectoire de l’humanité » : nos aïeux qui ont inventé les mégalithes, l’esclavage, la roue, l’écriture, le christianisme, le colonialisme et le capitalisme, le moteur thermique et la physique quantique. (Liste non exhaustive bien sûr.)
Il est certain que l’existence humaine est « cadrée », (et non pas « régentée »), par « des lois » dont nous ignorons tout ou presque, (tant l’ensemble est complexe), mais l’évidence montre qu’il en est une qui nous autorise à croire ce que l’on a envie de croire, à imaginer ce que l’on a envie d’imaginer, à créer ce que l’on a envie de créer, etc. Il importe peu de savoir si « des lois » rendent tout cela illusoire puisqu’il en existe une qui nous autorise à croire que ce ne l’est pas.
La loi de la diffusion des déchets, aussi imparable soit-elle, ne nous interdit strictement rien. Elle ne nous impose rien non plus puisqu’elle joue sur les déchets, pas sur les esprits. Donc elle ne nous « régente » pas et nous laisse libres (par rapport à elle). Il en va autrement de la vie sociale dont les lois, mystérieuses pour certaines, « régentent » en effet les individus, mais c’est leur rôle.
Ce que l’on appelle « le possible » n’est pas seulement une vue de l’esprit, c’est aussi une réalité que les êtres vivants concrétisent tous les jours. Il en va ainsi de l’animal qui soulève une pierre pour y dénicher de la nourriture, du joueur qui mise sur les combinaisons d’une loterie, etc. Et il n’y a pas de « loi » qui pousse les espèces à migrer vers le nord à cause du réchauffement climatique : elles le font parce que des individus, cherchant pour eux-mêmes une température clémente, la trouvent au nord. Il est donc peu probable que l’on découvre un jour « des lois » qui « ne dessinent qu’une seule voie pour l’avenir », puisque l’évolution est faite par des milliards d’individus qui ont chacun leur propre vie.
Le possible n’existe pas en soi, indépendamment d’une volonté. Si « la science » permet d’envisager des possibles de façon impersonnelle, c’est uniquement sous forme idéalisée : elle ne produit que des représentations.1 Il n’est donc pas insensé de faire dépendre le réchauffement à l’horizon 2100 de certaines conditions : ainsi le pire pourrait ne pas se réaliser si l’économie mondiale devait s’effondrer pour longtemps. En revanche, il ne faut pas trop compter sur une volonté humaine globalisée, car même l’Union Européenne est divisée à ce sujet.
15 avril 2019 : incendie d’un joyau et catastrophe nationale, infiniment triste.
Dans d’autres régions du monde, en particulier au Japon, les monuments historiques sont en bois. On les reconstruit à l’identique tous les vingt ans, avec un soin scrupuleux et les mêmes outils et méthodes qu’à l’origine.
Tout est possible, y compris ce que l’on pouvait croire impossible. L’incendie de Notre-Dame est là pour nous le rappeler.
Publié le 12 mai 2020
Illustration : « Planck Time and a Defense of Open Theism » (Le temps de Planck et la défense du théisme ouvert)
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1Le lecteur curieux peut lire aussi notre billet : « Le chat de Schrödinger », ce fameux chat qui aurait fait dire à Stephen Hawking : « Quand j’entends chat de Schrödinger, je sors mon revolver ».
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