La géopolitique

La géopolitique ruine tout espoir de lutter contre le réchauffement climatique. Ce billet est la suite logique de : « C’est normal qu’on ne fasse rien », et une réponse aux espoirs d’un « monde d’après ».

***

Un général iranien, Qassem Soleimani, a donc été assassiné en Irak par un drone américain, et depuis lors le monde continue de tourner comme si cela n’était jamais arrivé. Les Iraniens en ont ressenti une grande colère car il était la personnalité la plus estimée du pays, un personnage d’une stature comparable à De Gaulle, (et à côté duquel Macron fait figure de clown), mais « l’événement » est sans importance pour le reste du monde : il s’inscrit dans les innombrables péripéties du Moyen Orient où Israël n’en finit pas de vouloir éliminer les « menaces » qui pèsent sur sa « sécurité ». Même les sites anti-système ont réagi assez mollement à la nouvelle, mais de leur part cela se comprend bien : ils savent que les assassinats « ciblés » sont loin d’être une nouveauté, et que les populations concernées n’ont pas les moyens de réagir de façon proportionnée à ces affronts : cela autorise leurs auteurs à poursuivre cette pratique sans risque d’escalade.

Mais qu’un événement soit sans importance, (faute de conséquences visibles), n’empêche pas qu’il soit révélateur : l’assassinat de Soleimani et ses obscures motivations1 montrent que le monde est mené par la géopolitique, et non par « la raison » qui exige en principe, par les temps qui courent, que l’on agisse en urgence « pour le climat ». La géopolitique sert aux nations les plus puissantes à maintenir ou étendre leurs pouvoirs sur les ressources naturelles afin de s’en approprier l’usage exclusif ou d’en profiter à bon compte, non pour en faire une gestion sobre, partageuse, économe et juste, « respectueuse de l’environnement ». Elle est à la fois le lieu de la réalité la plus réelle et crue, (celle qui a motivé la célèbre citation de Shakespeare), et celui de tous les faux-semblants destinés au grand public : ses motifs trahissent l’arbitraire et le cynisme des rapports de forces. Aucun principe ne s’impose à elle, la fin justifie les moyens.

De Davos, (dont les grosses entreprises sont étroitement liées à la géopolitique), viennent de monter les « alarmes » retentissantes des experts économiques qui réalisent enfin que le réchauffement climatique n’est pas une plaisanterie. Géo a rendu compte de cette grande et bonne nouvelle dans un article intitulé : « Davos : les chefs d’entreprises sonnent l’alarme face aux risques climatiques », et cite le président du forum :

« C’est l’année où les dirigeants mondiaux doivent travailler avec toutes les composantes de la société pour réparer et redonner de la vigueur à nos systèmes de coopération, pas seulement pour le court terme mais pour s’attaquer aux risques profondément enracinés. »

L’on pourrait croire que les capitalistes ont enfin trouvé la porte de sortie, mais la désillusion arrive dès la chute de l’article (qui est très court). Il nous révèle leur façon de « s’attaquer aux risques », et donc le sens qu’ils donnent à leur alarmisme :

« Les avancées scientifiques signifient que les risques climatiques peuvent être modélisés avec davantage de précision et être incorporés dans la gestion des risques et les projets des entreprises. »

Il ne s’agit pas pour eux de changer leur fusil d’épaule, d’envisager une quelconque tentative de régulation ou de diminution, (et encore moins de faire un mea culpa, évidemment), mais d’ajouter « les risques climatiques » à leurs modèles de prévisions, histoire de continuer comme d’habitude mais en prenant soin de ne pas poser les pieds n’importe où. Cela signifie qu’ils vont faire ce que recommandent les collapsologues de « Comment tout peut s’effondrer » : ils vont se préparer ! N’est-ce pas drôlatiquement cocasse ?

De leur côté, Les Echos sont restés dans le vague grandiloquent pour mieux rassurer. Leur article, « Le Davos du virage climatique », est affublé d’un chapeau tout bonnement grandiose :

« La révolution écologique était au coeur du 50e Forum économique mondial. Il va falloir changer les règles du jeu, les entreprises et l’économie tout entière. »

« Virage climatique », « révolution écologique », « changer l’économie toute entière » !!! Ils tapent si fort qu’on en reste estomaqué, mais l’on n’en saura pas plus. Après deux annonces qui se veulent convaincantes, (Blackrock prévoyant de se retirer du charbon et Microsoft de « ravaler » toutes ses émissions de CO2 depuis sa création), les deux auteurs écrivent :

« Les participants du Forum sentent qu’il va falloir changer, à la fois vite et en profondeur. Et que les règles du jeu vont bouger comme jamais depuis près d’un siècle. »

Il n’y a que deux choses à retenir de leur prose minimaliste2 : les capitalistes ont conscience qu’il est urgent d’agir, et ils vont le faire avec une telle détermination qu’ils iront jusqu’à « changer les règles du jeu » ! Dieu soit loué, nous sommes sauvés ! Tout ira bien finalement, Greta Thunberg peut rentrer à la maison, on n’a plus besoin d’elle. C’est évidemment du flanc dans toute sa splendeur, il faut être journaleux aux Echos pour pondre ce genre de truc. Mais justement, qu’on puisse écrire des propos aussi lénifiants alors que le gratin du capitalisme s’inquiète à juste titre, montre très bien la direction qui sera prise : c’est exactement celle suivie jusqu’à aujourd’hui, car il n’y en a pas d’autre qui puisse rassurer un lectorat qui cauchemarde dès qu’il voit des mots comme : socialisme, communisme, peuple, partage, bien commun, et tout le lexique des seuls changements « en profondeur » que l’on connaisse.

La géopolitique va donc intégrer « les risques climatiques », mais sans rien changer à sa nature, ni à ses objectifs, intérêts et menaces (souvent démagogiques et fantasmées). Les stratèges de Davos semblent n’avoir pas fait de distinction entre des « risques » et un processus physique qui avance comme un bulldozer. C’est normal qu’ils ne veuillent rien voir : d’abord parce que personne n’est responsable du climat et ne le sera jamais, ensuite parce qu’il est impossible de partager les ressources naturelles comme les bisounours le voudraient : dans le « dialogue », la « négociation » et la « solidarité ». Ce monde-là n’existe pas, n’a jamais existé et n’existera jamais, tout simplement parce qu’une même ressource ne peut pas être consommée deux fois : rien de ce qui est « mangé » par les uns ne peut l’être aussi par les autres. Le partage est toujours possible, certes, mais il implique une division équitable, et ce principe incontournable ne peut pas plaire à tout le monde ni dans tous les cas. D’où les conflits, la géopolitique et les hiérarchies sociales. (Si les ressources étaient uniformément réparties, elles perdraient leur valeur économique et l’on ne pourrait pas en tirer des profits. En régime capitaliste, leur exploitation exige qu’elles soient concentrées dans les mains d’un nombre réduit de propriétaires. (Cf « Notre-Dame de la valeur ».)

Les capitalistes font mine de vouloir « changer les règles du jeu », (eux qui n’ont toujours rien fait pour régler les problèmes issus de la crise de 2008…), mais ils continueront de profiter de la loi du plus fort qui prévaut en géopolitique. Or, autant qu’on sache, celle-ci sert à faire main basse sur les ressources de toutes natures afin de les exploiter, non pour les mettre sous verre comme la Joconde. C’est pourquoi l’existence de la géopolitique suffit à « garantir » que les ressources naturelles seront raclées jusqu’à ce que plus personne n’y trouve d’intérêts financiers, et cela n’arrivera que quand il n’y aura plus ni entreprises ni individus pour consommer quoique ce soit, donc après que « le système » aura fait patatras. (On schématise. L’effondrement du système devrait alléger la pression sur les ressources, de sorte qu’un état plus durable pourrait émerger avant que tout ne disparaisse.)

Qui s’angoisse devant cette perspective peut se tourner vers « des trucs plus constructifs », par exemple la « Bataille des Imaginaires » : il s’agit d’une rencontre entre braves gens de bonne volonté qui ont accepté, le temps d’un débat, de se coiffer d’un chapeau rouge pour les « alarmistes » et d’un vert pour les « porteurs d’espoir ». Les initiatives de ce genre sont totalement ridicules, (surtout quand elles émanent de startups typiquement capitalistes), mais bon, il faut bien reconnaître que le rêve est désormais la dernière porte encore ouverte sur l’avenir : toutes les autres sont condamnées.

porte-condamnée

Paris, le 1er février 2020

Publié le 23 mai 2020


Illustration : depositphotos (On a bien sûr retenu cette image pour son cousinage avec le coronavirus.)

Plus de publications sur Facebook : Onfoncedanslemur

1 A propos des « obscures motivations » de la géopolitique, l’affaire des Mistral de 2014-2015, cela vous dit (encore) quelque chose ? Personne ne nous fera gober que la seule opinion des « partenaires » européens, tous « scandalisés » après « l’annexion » de la Crimée, ait suffit à faire plier Hollande. Quelqu’un a forcément trouvé des arguments plus convaincants pour lui faire prendre « la bonne décision ».

2 L’article des Echos est très long mais parle de mille sujets. Celui qui motive le titre, « Le Davos du virage climatique », ne fait que 250 mots, j’ai pris la peine de les compter. C’est un volume ridicule pour annoncer une « révolution écologique ».

5 commentaires sur “La géopolitique

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  1. Sur l’idée de l’arche, les milliardaires se sont rendu compte qu’aucun pays n’est à l’abri d’une catastrophe mondiale et aussi qu’on ne peut pas forcément se déplacer où on veut. Ces riches habitants de la Silicon Valley ont pu être bloqués aux USA sans rejoindre leur abri en Nouvelle Zélande. La base autonome durablement n’est valable que si elle est relativement proche de sa résidence habituelle.

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  2. Je penses que les davosiens vont se construire une arche. Peut-être que pour l’instant le doute demeure encore dans l’esprit de certains sur la pertinence de cette démarche, mais à mon avis, dans moins de 2 ans, ils vont être sur les starting bloc (certains le sont déjà, mais je penses que l’idée est en train de se répandre).
    On verra. J’appelle ça le scénario Elysium, ça fait des années que j’en parle. Le covid est un accélérateur d’histoire.

    Aimé par 1 personne

    1. Oui, le covid va accélérer certaines choses, la décadence du système. Mais dites-moi, vous n’avez pas votre blog ? Il me semble qu’on s’est croisé sur celui de Jorion ou Les-Crises.

      J’aime

      1. J’avais un blog avant en effet, je l’ai fermé. J’y faisais pas mal d’analyses systémiques, et notamment concernant le pic pétrolier, la technocratie, et aussi des sujets plus « sensibles » (l’islam, les races) … entre autres choses, tout étant lié par la thermodynamique dans mon esprit.
        Le temps ou j’intervenais chez « Jorion » « Les crises » est loin 🙂

        Aimé par 1 personne

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