Grâce à l’agroécologie, il serait donc possible de « nourrir tous les Européens en 2050 », à condition toutefois de « manger moins et mieux ». Ce n’est pas inconcevable, l’objectif est même réaliste, mais il y a tout lieu de craindre qu’il exigera des conditions supplémentaires. En système capitaliste, les transformations se font toujours vers plus de rentabilité, alors que l’agroécologie exige une transformation de sens contraire. D’où la question : comment faire remonter au vent l’agriculture « conventionnelle » ? (Qu’il serait grand temps de rebaptiser « artificielle ».)
Preuve que la question du rendement se niche partout : « le train des primeurs », qui relie Perpignan à Rungis pour convoyer chaque jour 1400 tonnes de fruits et légumes, est désormais vétuste. De nouveaux wagons s’avérant trop coûteux, il sera remplacé par une noria de camions. Mais rassurez-vous, la lutte contre le réchauffement climatique est sur les rails.
17 mai 2019. Devant le tollé, le ministère des transports s’est décidé à chercher une solution pour pérenniser la liaison : jolie preuve qu’il valait la peine de protester.
6 juin 2019. Coup de théâtre : le train ne sera prolongé que deux semaines : jolie preuve qu’il était vain de protester.
Dans son édito du 6 mai, Le Monde aborde à son tour la biodiversité. C’est curieux comment tout cela peut sembler plus « potentiel » que « réel ». Tout est « déjà là » puisque les annonces sont extrapolées du passé, mais le plus grave est pour plus tard, donc irréel au présent.
Le public perçoit-il vraiment ces menaces ? C’est possible mais douteux. Une crise économique, par exemple, passe inaperçue des salariés qui ont un bon job, mais ceux qu’elle met au chômage l’encaissent comme une balle de LBD. Il y a perception et perception…
EDIT le 13 juin 2020 : à notre grande déception, le billet « Depuis quand le réchauffement climatique est-il connu ? » a fait un bide. Cela montre que l’on ne s’intéresse pas trop à la genèse des événements, et que l’on sous-estime le rôle des représentations dans ce qu’on appelle « les faits ». Le réchauffement climatique passe pour être « connu depuis longtemps », on le voit comme une « évidence scientifique somme toute assez simple ». Ce dernier point n’est pas faux, mais il gomme l’effroyable complexité du sujet, et l’extrême lenteur avec laquelle cette « évidence » est apparue comme telle.
L’Allemagne est couverte sur près d’un tiers par des forêts aux essences les plus variées, (bien que les conifères dominent largement), et le doit à une politique suivie depuis les années 80. Cet exemple laisse imaginer quelles conditions doivent être simultanément satisfaites pour qu’un projet politique soit couronné de succès :
- Compter le temps en décennies.
- Concevoir de bonnes solutions.
- Persister dans la politique retenue.
- Veiller à ce qu’elle ne soit pas contrariée par d’autres politiques (répondant à d’autres problèmes).
- Avoir le soutien de la population pour que les élites et les autorités locales ne soient pas tentées de se soustraire à leurs obligations.
Aucune de ces conditions n’est jamais satisfaite en France. Pour gérer ceci ou cela, on crée un organisme ad hoc, (derniers en date : Haut conseil pour le Climat et Conseil de défense écologique), on lui délègue des missions, on l’oublie, et l’on n’y revient que pour réduire son budget. Ainsi, à l’heure où la biodiversité est plus que jamais menacée, le gouvernement Macron s’apprête, selon Médiapart, à rogner les ailes du Conseil National de Protection de la Nature (CNPN). L’ONF n’est pas mieux lotie, elle qui ne parvient pas à enrayer « l’industrialisation qui menace les forêts publiques ».
Même la meilleure solution ne peut pas convaincre quand on sait que sa réussite dépend de conditions qui ne sont jamais remplies : le pessimiste a ses raisons que l’optimiste ignore.
Édifiant (et vieux) billet de votre serviteur : « Ecologie et climat » ! Reprenant in extenso un article du Canard, l’on y apprend que les enquêtes publiques, censées servir à la protection de l’environnement, ont été conçues pour fonctionner comme des passoires.
Selon Le Monde, la Chine, qui « réduit le rythme de construction de nouvelles centrales, et favorise le basculement vers le gaz et les énergies renouvelables », montre qu’il est possible de lutter contre le RC. Mais les institutions financières chinoises, qui « soutiennent un quart des projets de centrales à charbon dans le monde », montrent le contraire : les têtes de l’hydre repoussent sans fin.
Yves Paccalet est un écologiste qui a écrit plusieurs ouvrages dont celui-ci : « L’humanité disparaîtra, bon débarras ! » On ne lui en voudra pas de vouer les innocents au même sort que les coupables, (il ne vise probablement que ces derniers), mais c’est l’occasion d’aborder une question de fond : peut-on mettre dans le même sac l’être humain du monde civilisé, incapable de survivre sans réseaux techniques et commerciaux, et celui qui se fait un honneur de vivre à la façon de ses ancêtres ?
Qu’il soit désormais loisible de disserter, à tort ou à raison, sur « la fin de l’humanité », impose de reconnaître l’existence de « coupables » et d’« innocents », avec toutes les nuances qu’il faut y glisser, et en gardant à l’esprit que ces deux mots ne conviennent peut-être pas. Disons que les « coupables » sont au début des chaînes de causalité qui produisent les dégâts, tandis que les « innocents » sont à leur fin. Entre ces extrêmes, toutes les nuances de gris.
L’on peut aussi parler de deux pôles : l’un tenu par les « peuples autochtones » qui ont conservé un « esprit de résistance », (ils ne veulent ni vivre comme les occidentaux ni subir leurs conséquences1), l’autre tenu par les peuples dominants qui se disent « civilisés », ces derniers comportant une foule d’humains aussi innocents que les premiers, mais contraints de vivre dans un « environnement » qui en fait des coupables.2 (On ne choisit pas les coordonnées GPS de sa naissance.)
Yves Paccalet écrit :
« On reproche aux écologistes leur catastrophisme. Ils ne sont qu’objectifs. L’humanité disparaîtra d’autant plus vite qu’elle accumule les conduites ineptes. Elle s’imagine au-dessus de la nature ; elle est dedans. »
Non, l’humanité civilisée est au-dessus et à l’extérieur de « la nature » : elle vit dans « l’anthroposphère », un bric-à-brac d’innombrables choses artificielles dont des milliards d’individus dépendent chaque minute de leur vie. Est-ce que vivre à Manhattan c’est vivre « dans la nature » ? On pourra s’aider de cette image pour trouver la réponse :
Il imagine que « l’humanité » est « dans la nature » parce qu’il ne prend pas garde à la valeur des mots, confond « l’humanité » et l’espèce humaine, simplifie l’équation en tenant les peuples premiers pour quantité négligeable, ignore ce qu’est de vivre vraiment « dans la nature », (perte de sens), et pense à des lois qui semblent se liguer contre nous à grand renfort de catastrophes naturelles. Mais là aussi il a tort : « l’humanité » ne subit pas les lois de la nature puisqu’elles n’ont pas pu l’empêcher d’en arriver là.
Publié le 16 juin 2020
1Lire aussi cet article de Sc & Av : « Le chef indigène brésilien Raoni en Europe pour défendre l’Amazonie ».
2Cf. le billet : « Pourquoi faudrait-il sauver la planète ? » : « Dans les sociétés modernes, l’on vit de façon légale ou pas, mais pas de façon éthique : chacun est au début d’une longue chaîne qui, de causes en conséquences, fait apparaître des crimes à l’autre extrémité. »
Illustration : ecolo-trader.fr : « Les investissements orientés vers l’écologie sont-ils suffisants ? »
Permalien : https://onfoncedanslemur.wordpress.com/2020/06/16/ripopee-ecologie/
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