Article didactique pour expliquer ce qu’est le « budget carbone ».
Parmi les difficultés que présente la lutte pour le climat, la complexité des phénomènes joue un grand rôle car elle freine la diffusion des connaissances. Le citoyen ordinaire, (qui n’a jamais eu de cours sur le sujet), doit se contenter de croire assez bêtement les choses, ce qui laisse la porte grande ouverte aux discours climato-septiques. Si les notions de base sont faciles à saisir intuitivement, (l’effet de serre est ce qui réchauffe l’atmosphère), le citoyen ordinaire ne peut pas en avoir une connaissance précise, car c’est très compliqué, même pour les spécialistes.
En cherchant à en savoir plus sur le « budget carbone », votre serviteur a eu la mauvaise surprise de découvrir qu’il en allait comme pour l’effet de serre : simple à saisir intuitivement, compliqué à comprendre dans les détails. Une rapide recherche sur le Net ne conduit à aucune page didactique, seulement à des « explications » qui exigent un réel effort pour être assimilées. Ce que nous avons trouvé est incompréhensible « spontanément », en première lecture, mais les auteurs ne s’en rendent pas compte : ils se contentent de fournir des définitions, et ne se donnent pas la peine d’expliquer « comment ça marche ». Quand ils le font, il faut réfléchir comme devant un exercice de maths.
Nous avons débuté notre recherche par cet article du Nouvel Obs : « Qu’est-ce que le « budget carbone » évoqué par Greta Thunberg dans son discours à l’Assemblée ? » S’agissant d’un site grand public, nous espérions y trouver exactement ce qu’il nous fallait : quelque chose d’assez simple et facile à comprendre pour être cité dans un billet. Si nous ne doutons pas que Greta Thunberg a immédiatement compris, pour votre serviteur ce fut une autre paire de manche. En effet, l’article donne la définition par le GIEC qui est la suivante :
« Estimation des émissions mondiales nettes cumulées de CO2 anthropique depuis une date de début donnée jusqu’au moment où les émissions anthropiques de CO2 atteignent un niveau net nul, ce qui aurait pour effet, selon toute probabilité, de limiter le réchauffement planétaire à un niveau donné, compte tenu de l’impact des autres émissions anthropiques. »
Si vous comprenez tout du premier coup dans cette phrase, alors félicitations, vous êtes nettement plus doué(e) que votre serviteur qui a dû la relire cent fois avant qu’elle ne lui paraisse simple. Ce qui se comprend aisément, (et peut se passer de preuves pour le citoyen ordinaire qui fait confiance aux scientifiques), c’est le fait qu’à une certaine quantité de CO2 anthropique dans l’atmosphère correspond en 2100 une certaine élévation de la température moyenne. Donc, si vous avez pour objectif que cette élévation de température ne dépasse pas 2°C en 2100, il ne faut pas que la quantité de CO2 anthropique dépasse un certain seuil : c’est le « budget carbone ». Comme tout budget, il a été conçu pour ne pas être dépassé et a une valeur finie, ce n’est pas compliqué, mais êtes vous sûr(e) d’avoir réalisé ce que cela implique ? La réponse est dans la définition du GIEC : les émissions doivent tomber à zéro dans les décennies qui viennent, et sans attendre 2100.
Quand on réalise ce que signifie « tomber à zéro » alors que les émissions actuelles sont de 43 milliards de tonnes par an, on en reste le souffle coupé. Une telle condition est si irréaliste, pour ne pas dire hallucinante, que la définition en devient « incompréhensible » : elle fait penser qu’il doit y avoir une erreur, et fait ressentir le besoin d’une explication. Les négociateurs de l’Accord de Paris l’on évidemment bien comprise, (on suppose que c’est le cas de toute personne qui a pris le temps de se pencher sur la question), mais quid des décideurs et des citoyens ? A notre avis, trop peu de personnes ont réalisé le caractère colossal de l’objectif « zéro émissions nettes », et n’ont donc pas bien compris, (et peut-être même pas compris du tout), ce que représente dans la réalité le « budget carbone ».1 Cela expliquerait assez bien la colère de Greta Thunberg car, dans la tête de cette adolescente, les responsables ont pour première mission de « comprendre » les choses, et de savoir « mesurer » leur importance.
« Une fois que vous avez pris la mesure du budget carbone qu’il nous reste, une fois que vous avez compris à quelle vitesse ce budget s’épuise, une fois que vous avez compris que rien n’est fait à ce sujet et une fois que vous avez compris que pratiquement personne n’est au courant du fait que ce budget existe. Alors dites-moi, que faites-vous ? Et comment allons-nous agir sans sembler alarmistes ? »
Logiquement, quand on a bien compris ce qu’est le « budget carbone », et bien compris sa descente vertigineuse, alors on ne reste pas le cul sur sa chaise. On arrête tout ce que l’on faisait jusque-là, on signe des deux mains « l’urgence climatique » et on passe à l’action.
Le budget carbone dans ses détails
Si maintenant on entre un tant soit peu dans les détails, les choses se compliquent rapidement pour le citoyen ordinaire. D’abord la définition fait référence à un début dans le passé, 1851, ce qui signifie que l’on prend le train en marche. Pour bien comprendre, il faut s’imaginer en 1851 et se poser cette question : combien de tonnes de CO2 l’humanité peut-elle émettre jusqu’en 2100 sans que l’augmentation de température à cette date ne dépasse les 2°C ? La réponse à cette question est le « budget carbone global ». D’après les calculs, il serait de 2930 GtCO2, (milliards de tonnes de CO2), dont 1950 auraient déjà été « consommés » (de 1851 à 2011). Le budget restant, pour 2012 et les années suivantes, serait donc de 2930 – 1950, soit 980 GtCO2. A raison de 43 GtCO2 par an, nous avons le « droit » d’émettre pendant 23 ans environ, soit jusqu’en 2034 (à partir de 2012 inclus). Ce budget restant est simplement le budget global diminué du budget consommé : c’est très simple, mais nous ne l’avons vu nulle part écrit si simplement.
Ces chiffres sont à prendre avec de grandes pincettes, car les estimations varient de façon considérable et Wikipédia se montre particulièrement embrouillée pour le lecteur novice. Sa page « Budget carbone » ne peut intéresser que des spécialistes : passer le cap de l’incipit, on y trouve des précisions mal placées, un graphique incompréhensible, un énorme tableau de chiffres, aucune explication sur le comment ça marche, et pas même une définition du « budget carbone restant ». En revanche on y trouve ceci :
« Au parlement de Paris, le 23 juillet 2019, Greta Thunberg popularise la page 108 du chapitre 2 du Rapport spécial du GIEC sur les conséquences d’un réchauffement planétaire de 1,5 °C et donne le budget carbone restant au niveau mondial pour avoir 67 % de chances de ne pas dépasser une augmentation de température de 1,5 °C : 420 gigatonnes (Gt) de CO2 (dioxyde de carbone) début 2018 (actualisés à 360 Gt au moment où elle parle). »
Ici, l’objectif n’est plus défini par un seuil d’augmentation de la température, mais par la probabilité de rester en-dessous. De manière générale, les valeurs des budgets sont assujetties à un éventail de paramètres hétéroclites :
- La méthode retenue pour estimer les quantités de CO2.
- La date de début pour le budget restant, par exemple 2020.
- Le seuil d’augmentation de la température à ne pas dépasser en 2100 : 1,5°C, 2°C ou 3°C.
- Certitude ou probabilité de rester sous le seuil.
- Avec ou sans captation de CO2.
- En fonction ou non des scénarios du GIEC, (indexés sur le forçage radiatif).
- En gigatonnes de CO2 (GtCO2) ou de carbone (GtC).
Il en résulte une avalanche de valeurs pour la même chose, ce qui est très gênant pour populariser cette notion. Si l’on ne peut pas en parler sans devoir justifier les chiffres par des détails, (parce qu’il se trouve toujours un contradicteur), le discours perd de sa force, car la notion et les calculs apparaissent incertains aux yeux du profane. Que le « budget carbone » soit un outil crucial pour gérer les GES au niveau mondial, voilà qui est plus que certain et évident, mais il ne « parle » pas au citoyen ordinaire.
Le temps qui reste
Et quand le citoyen ordinaire progresse dans la connaissance, il découvre que les émissions de CO2 doivent tomber à zéro au plus tard à une certaine date limite, sinon le seuil visé sera dépassé. C’est le sens général du graphique ci-dessous, qui ressemble beaucoup à celui de Wikipédia mais qui est plus clair, (il date probablement de 2017) :
Il montre bien ce que l’on sait depuis des lustres : plus l’on tarde à réduire les émissions, plus il faudra décroître rapidement pour rester sous le seuil des 2°C en 2100. A partir d’aujourd’hui, (et avec l’aide du coronavirus), l’on dispose de 20 ans pour les réduire à zéro, ce qui nous laisse jusqu’à 2030 pour les diminuer de moitié. Si l’on se donne un budget plus grand, (en l’occurrence 800 GtCO2, mais dans les deux cas de figure calculé en partant de 2017), l’on s’octroie une décennie supplémentaire, mais le risque de dépasser les 2°C s’en trouve augmenté.
En fait, on a déjà mangé les deux tiers du budget global auquel on avait « droit » en 1851, et la consommation annuelle de ce budget n’a pas cessé d’augmenter. (A part quelques « incidents de parcours ».) On a donc foncé toujours plus vite, et maintenant il faut appuyer sur les freins de toute urgence. Le graphique ci-contre laisse entrevoir que le freinage à réaliser est vertigineux : comment croire qu’on y parviendra ? C’est une bonne question, mais peut-être est-il vain d’y répondre, car désormais seule l’action compte.
Paris, le 3 août 2020
1 Par curiosité, nous avons fait une recherche sur les archives du Monde, elle n’a remonté que 29 articles contenant « budget carbone » (entre guillemets).
Illustration : « Utilisation des revenus liés à la tarification du carbone »
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