D’après un très long texte de Loïc Giaccone1 publié sur le blog de Bonpote, le GIEC doit affronter une nouvelle catégorie de faussaires : les « alarmistes » qui ne nient pas la réalité du réchauffement climatique mais l’exagèrent au-delà de ce que dit la science. L’auteur résume la problématique dans sa conclusion :
« Il est tout de même regrettable, après des années de « combat » face au climatoscepticisme (…), que les scientifiques du climat aient désormais à faire le même type de travail mais pour des raisons opposées, face à des discours si « alarmistes » (…) qu’ils peuvent en devenir contre-productifs. C’est notamment le risque du « doomism », l’un des « discours de l’inaction » arguant de l’inéluctabilité de « l’apocalypse climatique », discours identifiés par une récente étude comme étant des freins potentiels pour agir face au changement climatique. »
Il est reproché à ces « alarmistes » de justifier qu’il est trop tard avec de mauvais arguments piochés dans l’arsenal des phénomènes climatiques, (donc relevant des compétences du GIEC). Dans son texte, Loïc Giaccone en expose et réfute six, mais l’exercice est très ardu pour qui n’est pas fin connaisseur ou n’aime pas se plonger dans les détails.
Erreur sur la cible
Parlons seulement de son introduction dont la deuxième phrase nous semble litigieuse :
« [Les climato-sceptiques] ont aujourd’hui moins de poids médiatique, c’est-à-dire que leurs discours ne sont plus diffusés dans les grands médias (à de rares exceptions près), bien que l’opinion publique n’ait hélas que peu évolué sur la question du consensus et de l’origine anthropique du réchauffement. »
Il a factuellement raison, car les climato-sceptiques, (ou climato-réalistes), se rangent désormais dans la catégorie des olibrius, mais les médias dominants font bien pire : ils dénigrent les initiatives qui vont dans le bon sens. Dans « Pot de terre contre pot de fer », nous avons montré comment les chaînes grand public ont « dégommé » la Convention Citoyenne pour le Climat : il n’était pas possible de signifier plus fortement que « le réchauffement climatique on s’en fout », mais sans le nier ouvertement. C’est plus pernicieux que les discours explicites des catastrophistes raisonneurs, car le dénigrement ne peut pas se réfuter, (il vise l’émotion), et son audience est telle qu’on peut parler d’un phénomène massif. Quand Le Figaro titre : « La Convention citoyenne entre impasse et coupe-gorge », il réduit à néant la crédibilité de la CCC, sans se donner la peine d’en réfuter les propositions.
Le GIEC n’est pas madame Irma
Si le GIEC est tout à fait compétent pour dire ce que l’humanité devrait faire, il ne l’est pas du tout pour prédire ce qu’elle fera. Personne ne peut deviner de combien l’humanité pourra réduire ses émissions, mais c’est ce qu’il faudrait savoir pour affirmer qu’il n’est pas trop tard. Si elle n’a pas les moyens de suivre les préconisations du GIEC, alors il est effectivement trop tard. C’est pourquoi, s’il est logique de réfuter de mauvais arguments, il est faux de prétendre réfuter ainsi l’opinion qu’ils sont censés soutenir. Pour réfuter le « doomisme », il faut réfuter absolument tous ses arguments, pas seulement quelques uns.
Il se trouve malheureusement qu’il y en a pléthore en sa faveur, nous venons d’en trouver un nouveau qui sera difficile à contester. Les émissions de CO2 sont d’échelle géologique, comme tant d’autres polluants que les scientifiques découvrent dans les sédiments. Cela laisse à penser que l’humanité serait capable d’agir à cette échelle, mais il manque un paramètre : l’impact géologique était non intentionnel, (il résulte de la « loi de la diffusion »), alors que la réduction des GES doit être intentionnelle. En d’autres termes : pour émettre du CO2, les humains n’ont pas eu besoin de se coordonner, mais pour le réduire ils doivent le faire. Le pourront-ils ? Les optimistes disent que oui, l’Accord de Paris est là pour ça, mais les preuves se font attendre, et personne ne peut prétendre qu’elles viendront. Les pessimistes pensent le contraire, car ils ne voient aucun « mécanisme » qui pousserait l’humanité dans le bon sens, d’autant plus que la concurrence et le mimétisme sont toujours à l’œuvre pour conduire les nations à consommer davantage d’énergie.
Le problème n’est pas le climat mais l’humanité
Réfuter des arguments non conformes à ce que la science peut dire de façon sûre, c’est pinailler sur des détails : l’exercice sauve « la vérité » scientifique, mais n’apporte rien de neuf. Quand on a admis l’existence du RC, admis le « budget carbone » et le « problème colossal » qu’il pose, il apparaît que la problématique fondamentale n’est pas d’ordre climatologique mais anthropologique : seuls les humains ont un problème avec ça, dans la mesure où eux seuls peuvent (ou non) y remédier. Donc se pose un problème de connaissances à l’échelle de la planète, problème qui rend assez dérisoire de taper sur les doigts des négationnistes, des sceptiques et autres défaitistes.
Le vrai problème n’est pas tant « la réalité », (qui divisera toujours tout le monde), mais le problème lui-même, c’est-à-dire la façon dont on peut parler de « la réalité », et la meilleure manière de le faire dans le but d’éviter une catastrophe. Nous n’avons bien sûr aucune solution, seulement quelques remarques. Pour gérer leurs problèmes, les humains n’ont qu’un instrument, le langage, et qu’un moyen, se raconter des histoires. La science n’intervient que subsidiairement, soit pour trancher les questions importantes, soit pour apporter des solutions techniques. La question (théorique) fondamentale se formule donc ainsi : quelles histoires inventer pour amener l’humanité à réduire volontairement ses émissions ? L’on peut penser qu’une histoire adéquate a déjà été inventée, (l’Accord de Paris censé être une « prophétie autoréalisatrice »), mais, au vu des réactions des médias à la CCC, il est permis d’en douter.
Selon nous, ces histoires devraient faire peur, mais nos sociétés de confort et d’abondance nous ont déshabitués de cette émotion. Ce qui se raconte sur la covid-19 montre que la peur est prise pour de la bêtise, ou pour une forme de soumission, ou encore pour un manque de distance philosophique, (on trouve de tout). Toutes ces opinions témoignent d’une légèreté qui n’est possible que sous l’égide d’un système presque tout puissant, un système qui met la majorité des gens à l’abri des aléas de la vie. C’est pourquoi on estime qu’il ne faut pas faire peur ni être « alarmiste », au sens de « ce qui relève de l’alarmisme, d’une attitude prompte à envisager le pire (et à le faire savoir) » selon Loïc Giaccone.
Malheureusement, le scénario le plus probable est le scénario BAU, car il est plus facile de ne pas dévier des habitudes que d’en dévier. Cette propriété étant vraie d’une année sur l’autre, le raisonnement par récurrence conduit à penser que ce scénario est aussi le plus probable à long terme. Il en résulte que le pire est aussi le plus probable, mais il ne faudrait pas le dire car c’est de l’engrais pour l’inaction : est-on sûr que cette option soit la plus judicieuse ?
Nous admettons cependant que la peur n’est pas suffisante, il faudrait aussi une carotte. Celle du bien-être matérialiste étant vouée à disparaître, il n’en reste qu’une qui exige beaucoup de travail mais peu d’énergie : la beauté. C’est le sujet du dernier billet de Frédéric Lordon, « Pour un communisme luxueux », et ça mérite le détour.
Paris, le 14 août 2020
1 Loïc Giaccone était l’un des responsables de la page Facebook de Jean-Marc Jancovici.
Illustration : « Les contes de la peur : des histoires à raconter ? »
Plus de publications sur Facebook : Onfoncedanslemur
Permalien : https://onfoncedanslemur.wordpress.com/2020/08/14/le-probleme-nest-pas-le-climat-mais-lhumanite/
Je n’ai pas lu le billet de Lordon, mais j’ai une question, admettons qu’on parvienne à « s’entourer de beauté » : qu’est-ce qu’on fait des gens moches dans ce cas ?
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J’avoue que je ne m’attendais pas à cette question ! Et puis je n’ai pas de réponse, même pour rire, désolé.
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Encore un magnifique billet, ce blog est une mine d’or !
Décidément, l’optimisme borgne (voire aveugle) nous colle à la peau, étouffant les germes d’une réflexion plus radicale. Dommage, car cela condamne l’idée d’un pessimisme éclairé à large échelle, qui éviterait bien des actions hasardeuses…
A propos du billet de Frédéric Lordon que vous mentionnez, il relate avec talent des histoires, certes bien belles à entendre, mais aussi un tantinet fleur bleue. En poussant un peu l’espièglerie, ne mériterait-il pas plutôt une réponse du type « Le problème n’est pas le capitalisme mais l’humanité » ?
Dans tous les cas, vivement le prochain article!
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Personne ne m’a jamais fait de compliment aussi prononcé, merci infiniment ! Il me montre avec grand plaisir que vous avez très bien compris mes propos, ce qui mérite compliment en retour. 🙂 Pour ce qui est de Lordon, je suis bien d’accord qu’il est un peu « fleur bleue », mais il a raison sur le principe, car la beauté et le pouvoir sont les principales motivations des humains. Cordialement.
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D’accord, vu sous cet angle, ça mérite de s’y attarder. Il me manque cependant une vision claire du potentiel de la « beauté » comme levier significatif de l’action humaine, à creuser…
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A moi aussi cette « vision claire » manque, car elle est toute théorique sur le plan social. Cependant, au niveau individuel, il me semble évident que l’argent, quand on en a à ne plus savoir qu’en faire, ne sert pas seulement à en gagner plus par de bons placements, ou à étendre son pouvoir, mais à s’entourer de belles choses. La beauté de ces choses est le plus souvent « frelatée » puisqu’elles sont produites par le capitalisme, (et réservées aux plus riches), mais Lordon explique qu’en principe la beauté existe partout, à un niveau plus modeste, dans les choses ordinaires mais produites par des gens qui sont dégagés des contraintes du capitalisme. On songe aux armoires normandes que les Parisiens s’arrachaient à une certaine époque, quand la modernité domestique et son formica ont commencé d’envahir tous les foyers.
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J’espèrais pouvoir prendre le temps de développer posément une réponse, mais la tâche est trop chronophage et ardue dans l’immédiat, voici donc une tentative d’assemblage multi échelles des concepts abordés…
Si le but est de montrer que la beauté peut potentiellement exister partout, je suis bien d’accord. Si le but, en revanche, est d’imaginer une sortie du capitalisme, c’est un exercice d’un autre calibre. On parle facilement d’état potentiel à atteindre, mais rarement de la trajectoire qui y mène à partir de l’état présent. Il faut commencer par préciser ce qu’est la beauté, qui résonnera très diversement d’un individu à l’autre, et qui possède ce petit côté sacré qui dispense de penser. Wikipedia ( https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Beau) fait converger cette diversité vers le plaisir ou la satisfaction des sens ou de l’intellect. Tirons le fil de la biologie du plaisir et risquons-nous dans le champ de l’étude du cerveau pour aboutir au système de récompense. Ses plus importants excitateurs sont liés à la nourriture, à la reproduction, aux informations sensorielles, au statut social (le pouvoir) et à l’économie d’énergie corporelle : nous avons probablement là certains ingrédients importants de la beauté à mélanger avec une extrême subtilité pour ne pas voir flétrir immédiatement sa présence fragile.
Il serait étonnant que le système capitaliste ne doive rien aux attributs de ses particules élémentaires, si l’on considère qu’il est constitué d’un réseau inégal d’individus interconnectés. Car ces mécanismes biologiques hérités d’une longue lignée d’ancêtres, victorieux des aléas de leur temps, sont les moteurs de la survie, cachés à l’abri de l’inconscient, mais visibles dans l’émotion et l’action individuelle. Lorsque la conjonction d’un contexte environnemental et d’une nouvelle idéologie amplifie les récompenses réservées jadis aux situations de survie, cette idéologie s’impose grâce à l’efficacité éprouvée des processus sous-jacents et remodèlent un peu le système, avec évidemment l’appui des individus qui en profitent le plus. Sans parler de loi inéluctable de la nature, la marche du capitalisme sur fond d’évolution idéologique captant les forces biologiques semble implacable, se contentant d’exploiter progressivement de nouveaux éléments qui lui avaient jusqu’alors échappé. Une sortie volontaire du capitalisme s’apparenterait alors à forcer des cliquets dans le sens contraire de la marche. Une autre voie de sortie serait la régulation externe, imposée par des changements trop radicaux et trop rapides de l’environnement, avec des conséquences imprévisibles (comme tout ce qui concerne le futur en général). D’où la question : existe-t-il des leviers plus doux, capables de nous amener sur une pente naturelle vers un ailleurs durable ?
Comme la récolte est bien maigre pour l’instant, la « recherche de la beauté » est la bienvenue pour tenter l’examen d’entrée.
Premier obstacle, si la beauté peut être en effet très frugale, elle peut aussi se révéler extrêmement dispendieuse : les moyens nécessaires à sa mise en œuvre ne sont tout simplement pas un critère de sa valeur en tant que beauté. On peut même renforcer le capitalisme au nom de la beauté : la haute technologie, les fusées de milliardaires ou des œuvres d’art à l’empreinte carbone élevée en sont des exemples. Cette beauté « frelatée » peut être considérée comme antinomique mais cela ne remet pas en cause le point de vue opposé qui la considère tout à fait valable.
Ensuite, le capitalisme, grâce aux energies fossiles, est terriblement efficace pour satisfaire les besoins primaires (pendant une certaine durée du moins). Sans ces services, on peut imaginer tout un tas d’organisations sociales vertueuses, mais elles devront reposer sur quelque chose d’un peu plus sûr que la transmutation du coucher de soleil en corne d’abondance. Les opportunités esthétiques ne feront pas le poids face aux opportunités alimentaires. Il n’est pas certain qu’une industrie et son cortège de matières premières magiques, puissent exister sans capitalisme (même pour l’acier). Qui ira chercher du minerai au péril de sa vie pour la beauté du geste ? Dans des îlots d’abondance, quelle que soit la source de cette abondance, on peut facilement imaginer des rapports fondés sur l’amour du bel ouvrage, mais toute généralisation poserait de sérieux problèmes…
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