Introduction au prochain billet : « Réfutation du voyage dans le temps »
Le « voyage dans le temps » ne nous aurait jamais intéressé si nous n’étions tombé par hasard sur cet article d’Usbek & Rica : « L’écoulement du temps est une illusion », une interview de Thibault Damour qui déclare :
« C’est très violent pour les gens de changer ainsi notre rapport au temps, mais c’est la réalité. D’ailleurs, notre technologie nous le rappelle tous les jours. »
Selon cet éminent physicien spécialiste de la relativité, nous devrions changer notre rapport au temps, car celui que nous avons actuellement est en quelque sorte caduc et non conforme à la physique. Ce point de vue nous a scandalisé, car le temps dans la vie sociale n’a aucun rapport avec la physique fondamentale, et les physiciens n’ont aucune légitimité à nous dicter leur conception du temps.
Nous avons aussi été surpris et désappointé de découvrir à l’occasion que les plus éminents d’entre eux y croient dur comme fer. Il faut dire à leur décharge qu’il a été conjecturé par Einstein lui-même. En effet, « le voyage dans le temps » au sens relativiste, (pas celui de H. G. Wells), date du paradoxe des jumeaux de Langevin, présenté au congrès de Bologne en 1911. Il est donc vieux de plus d’un siècle, et depuis lors s’est incrusté dans le paysage comme les photos du célébrissime savant, lequel a écrit :
« Si nous placions un organisme vivant dans une boîte… on pourrait s’arranger pour que cet organisme, après un temps de vol aussi long que voulu, puisse retourner à son endroit d’origine, à peine altéré, tandis que les organismes correspondants, qui sont restés dans leur position initiale auraient depuis longtemps cédé la place à de nouvelles générations. Car pour l’organisme en mouvement, la grande durée du voyage était un court instant, à condition que le mouvement ait été effectué quasiment à la vitesse de la lumière. »
D’après une formule de la relativité, le temps de celui qui voyage est « ralenti » (ou « dilaté ») d’un certain coefficient nommé « facteur de Lorentz ». La valeur de ce coefficient peut être aussi grande qu’on veut, car elle ne dépend que du rapport entre la vitesse v du voyageur et la vitesse c de la lumière. Plus v est proche de c, plus sa valeur est grande, et elle devient infinie si v = c, (ce qui n’arrive jamais). Donc, si vous voyagez assez vite pour avoir un facteur de Lorentz égal par exemple à 1000, votre temps est 1000 fois plus lent que celui des gens restés dans leur fauteuil. A une telle vitesse, qui est quasi luminique, vous pouvez partir en 2020, voyager un an et revenir 1000 ans plus tard, donc en 3020. Cela peut paraître loufoque, mais ce « ralentissement du temps » est largement prouvé par l’expérience. Ce qui ne l’est pas, en revanche, c’est de savoir si la vie du voyageur serait ralentie dans les mêmes proportions, de sorte qu’il vieillirait moins vite. Sur cette question, les avis divergent. Wikipédia nous apprend que le fameux paradoxe des jumeaux de Langevin a donné lieu à 54 interprétations contradictoires émises « entre 1905 (Einstein) et 2001 (Hawking) », et que « l’écrasante majorité des spécialistes » conclut que le voyage rajeunit.1
Quand un quidam se dresse contre « l’écrasante majorité des spécialistes », ce n’est jamais bon signe : on devine le type lancé dans une croisade contre des moulins à vent, car l’on ne voit pas comment il pourrait réussir là où des spécialistes ont échoué. Et pourtant, il y a bel et bien une faille dans le mythe : il ne tient pas compte de l’énergie. Cela dit, pourquoi se donner la peine de le réfuter ? C’est une lubie de scientifiques qui se sont laissés éblouir par une théorie aux résultats spectaculaires, souvent « contre-intuitifs », et que nous n’approuvons pas pour des raisons tout à fait sérieuses :
- Ils exposent cette lubie comme une certitude, ce qui nous a hautement surpris et désappointé, car la physique mérite mieux que ça.
- Ils occultent l’impossibilité d’atteindre les vitesses quasi-luminiques qu’exige un « voyage dans le temps » digne de ce nom. Ils trichent avec la relativité, car ils retiennent les calculs qui les arrangent et ignorent ceux qui jouent contre eux.
- Leur attitude disqualifie la science en tant que pilier du réalisme, et « refuge ultime » contre la bêtise. Elle donne libre court à toutes les interprétations, donc carte blanche aux négationnistes en tous genres, notamment les climato-réalistes pour qui le consensus scientifique n’est qu’un effet de coterie.
- Nous sommes d’accord que la « capacité technologique » ne doit pas être un critère pour refuser une idée théorique, mais à condition que celle-ci ait une valeur heuristique. Or « le voyage dans le temps » n’en a aucune : sorti des œuvres de fiction où il se révèle captivant, il n’apporte rien à personne. De plus, avant de prétendre qu’il est possible, il faudrait savoir de façon précise ce qu’est le temps, mais on en est loin.
Votre serviteur n’a nullement l’intention de changer son rapport au temps, d’aucune manière que ce soit, et encore moins sur la base d’interprétations farfelues. A son origine, le temps est une construction sociale qui vient de l’observation assidue des astres et du retour des saisons. Cependant, au vu de l’Histoire, il semblerait qu’il soit depuis ses origines un enjeu politique majeur, car il permet d’instaurer un ordre socio-économique. Et il se trouve que l’ordre actuel, où le temps est surtout de l’argent, heurte notre conscience. C’est pourquoi il nous insupporte que des scientifiques accaparent ce thème en véhiculant des interprétations qui sont autant d’outrages au « bon sens ». Ne vivant pas dans un monde abstrait mais réel, nous sommes fatigué de les voir prendre leurs concepts pour la réalité : celle-ci appartient à tout le monde, ils n’ont pas à la définir pour nous du haut de leur autorité en vertu de théories difficiles à interpréter. La vérité scientifique n’est légitime que tant qu’elle fait barrage à la stupidité, aux charlatans, et à toutes formes de dictature sur les esprits. Quand elle vend comme une lessive « le voyage dans le futur », elle verse dans la religion.
Dans cette vidéo, Aurélien Barrau explique, à la minute 39 :
« On n’a pas une théorie suffisante pour décrire ce qui se passait à ce moment-là, [l’instant du Big Bang], ce n’est plus décrit par la théorie d’Einstein. Donc il faut trouver mieux, ça fait un siècle que les plus grands esprits de la physique tentent de trouver mieux, sans succès. Pourquoi c’est dur ? A cause du temps. Parce qu’on a deux grandes théories en physique, la relativité et la physique quantique, et celle-ci traite le temps de façon usuelle, elle traite le temps presque en adéquation avec notre vision intuitive d’un temps qui est inévitable, linéaire, extérieur, c’est vraiment le temps au sens commun, alors qu’en relativité stricto sensu le temps n’existe pas, ce n’est qu’une forme d’espace. Et donc comment puis-je conjuguer ces deux théories qui ont un rapport au temps si radicalement différentes ? Et bien précisément je ne peux pas. Mais je dois le faire, car il y a des moments où j’ai besoin des deux, il faut donc que je les conjugue dans un paradigme unique. [40’40] Et la raison pour laquelle on échoue est un défaut de compréhension très profonde de ce qu’est le temps, mais on a des pistes. »
Il a oublié de dire que la physique quantique produit elle aussi ses paradoxes en rapport avec le temps, qu’ils sont bien pires que ceux de la relativité, et que les spécialistes reconnaissent qu’ils n’ont pas l’ombre d’une explication. Conclusion : des gens qui ont d’énormes problèmes avec le temps, et qui feraient mieux d’avouer qu’ils n’en savent rien, viennent nous faire la leçon et nous conter des balivernes. Cela autorise n’importe quel citoyen à leur donner la réplique.
Paris, le 24 septembre 2020
1 Celles et ceux qui aiment les prises de tête liront avec passion les différentes explications possibles sur le paradoxe des jumeaux de Langevin : « Le voyage dans le futur des autres ».
Vidéo grand public du Monde pour présenter les différentes façon de « voyager dans le temps ». C’est une vidéo honnête : le narrateur précise qu’en pratique ce n’est pas faisable.
ANNEXE
Petite fiction pour illustrer le voyage dans le futur imaginé par les scientifiques :
Il était une fois deux jumeaux qui s’appelaient Albert et Alfred. En l’an 3001 de notre ère, Albert répondit à une annonce qui proposait un voyage orbital d’un an autour du soleil, à un prix alléchant et avec une technologie révolutionnaire. Friand des gadgets de la techno-science, il prit un congé d’un an, vida ses économies dans l’achat du billet, et décolla de Kourou le 1er avril 3001. Il portait au poignet une « montre quantique » qu’on lui avait tatouée juste avant le départ, et qui promettait d’être d’une fiabilité à toute épreuve et impossible à dérégler.
Un an plus tard, son frère Alfred se rend à Kourou pour l’accueillir, mais ne trouve personne. Des employés lui expliquent qu’il n’y a pas de problème, tout va très bien, c’est seulement que son retour est prévu pour le 1er avril 4001. Alfred tombe des nues. « Comment ça, 4001 ? Mais il sera mort depuis longtemps ! » Rassurez-vous, lui dit-on, le « temps propre » d’Albert est ralenti d’un facteur 1000, il n’aura vieilli que d’un an à son arrivée. Il n’y a rien à craindre, cette technologie a fait ses preuves. La seule chose qu’ils ne lui ont pas dit, c’est qu’Albert n’a pas été prévenu. Et pour cause, jamais il ne se serait embarqué pour un voyage de 1000 ans !
Le 1er avril 4001, Albert est de retour comme prévu, mais il va de surprise en surprise. D’abord il ne retrouve pas son jumeau comme ils en avaient convenu, ensuite il découvre un monde où personne ne se souvient de lui, où il ne connaît plus personne et ne reconnaît plus rien. Sa montre indique le 1er avril 3002, mais beaucoup de gens ont exactement le même type de montre tatouée à leur poignet, et elles indiquent toutes une seule et même date : 1er avril 4001 ! Albert tombe des nues. Comment est-ce possible ? Ne pouvant deviner le vilain tour que la compagnie lui a joué, il n’a aucune explication raisonnable à fournir. Il peut seulement raconter ce qu’il a fait depuis 3001: l’annonce publicitaire, l’achat du voyage, les derniers préparatifs, le tatouage de la montre, le décollage, le séjour dans le vaisseau où tout avait été prévu pour qu’il ne s’ennuie pas, etc. Mais tout cela n’a pu durer qu’un an, c’est certain, sinon sa montre ne marquerait pas 3002.
De leur côté, les Terriens prennent bonne note de son histoire mais n’y comprennent rien. Elle semble remonter à une époque si lointaine qu’ils n’en croient ni leurs yeux ni leurs oreilles : comment la montre d’Albert, qu’ils savent aussi fiable qu’impossible à dérégler, peut-elle indiquer 3002 ? Ces 999 ans de retard, c’est fou, ahurissant, impensable, diabolique ! Et d’où vient cette carte d’identité où l’on peut lire qu’il est né en 2967 ? Il ne peut pas avoir plus de mille ans d’âge ! Les mots manquent pour dire l’effarement des témoins, un déluge d’élucubrations envahit les médias. Ils exigent des explications rationnelles, (« Dieu ne joue pas aux dés »), posent la question qui tue, (« Mais où était-il pendant tout ce temps ? »), et proclament à la Une : « Le voyage dans le passé est possible ! »
Permalien : https://onfoncedanslemur.wordpress.com/2020/09/24/1-2-pourquoi-refuter-le-voyage-dans-le-temps/
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