Billet inspiré par une excellente vidéo sur les scénarios du GIEC, signée Osons Comprendre et partagée par Osons Causer.
Pour ne rien vous cacher, nous avons un mal fou à croire les scénarios du GIEC, nous les soupçonnons d’être conçus pour ne pas désespérer. Depuis notre dernier billet sur le climat, nous croyons plutôt que le réchauffement continuera même si l’on arrêtait toutes les émissions ce soir à minuit, et que la température augmentera à +3 ou +4° en 2100. Ce n’est pas « scientifique », certes, mais ce que raconte le GIEC ne l’est pas non plus à 100%, il fait des moyennes entre des dizaines de modèles, et il reste une grosse part d’incertitude sur les nuages et les aérosols.
L’on sait déjà, de façon sûre, qu’on en sera à +1,5 en 2040 à cause de l’inertie climatique, mais le réchauffement ne va pas s’arrêter en 2040 car d’ici-là :
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On aura injecté environ 20 fois 50 gigatonnes d’équivalent CO2, soit 1000 milliards de tonnes, à supposer que les émissions totales, (pas seulement anthropiques), restent à leur niveau actuel.
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Les facteurs aggravants se seront amplifiés : diminution de l’albedo, augmentation de la vapeur d’eau, de la fonte du permafrost, de la déforestation et des incendies.
Cela nous fait dire que la situation sera plus grave en 2040 qu’aujourd’hui, avec seulement des émissions anthropiques qui auront peut-être ralenti, mais qui se seront ajoutées au stock dans l’atmosphère. Le réchauffement se poursuivra donc par inertie les deux décennies suivantes, continuera à produire ses effets délétères qui amplifieront ses causes, et tout sera pire en 2060 sauf les émissions qui auront peut-être diminué.
Selon ce graphe, (de la NASA mais copié sur Cachauffe), nous avons gagné un demi-degré en 20 ans, il y a donc de fortes chances qu’on atteigne les +2°C avant 2060 car le réchauffement est accéléré. La boucle infernale est enclenchée depuis longtemps, mais ce n’est pas « scientifique » de l’affirmer puisque les modèles prévoient que l’augmentation pourrait être limitée. Cependant, certaines boucles de rétroaction n’étant pas prise en compte, ce n’est pas scientifique non plus d’imaginer que les températures se stabiliseraient à un niveau acceptable si l’on arrêtait les émissions anthropiques.1
De tout façon, Accord de Paris ou pas, il est impossible de savoir quelle trajectoire sera effectivement suivie. Cet accord a seulement le mérite de populariser la fin des énergies fossiles, et ainsi de légitimer le désinvestissement dans ce domaine, en même temps qu’il légitime d’investir dans les énergies renouvelables. Il offre une marge de manœuvre aux institutions privées et publiques pour anticiper la fin du pétrole, ce qui était impossible quelques décennies plus tôt. Mais il n’y a rien de plus à en attendre, chaque pays fera ce qu’il pourra, et tous ne peuvent pas dès aujourd’hui lancer des mégas projets de parcs éoliens à l’instar de la Grande Bretagne, ou solaires comme en Australie. C’est pourquoi les scénarios du GIEC nous laisse de marbre.
L’essentiel de la figure ci-dessus tient au fait que la zone grise, où les émissions vont au-delà des 100 Gt/an d’équivalent CO2, ne se réalisera sûrement pas, car l’on ne pourra pas brûler suffisamment de ressources fossiles pour y parvenir. Mais ce n’est pas une bonne nouvelle, seulement une non-nouvelle puisque sa probabilité de réalisation est très faible. Les scénarios intéressants sont ceux qui, en-dessous, vont du pire, (la limite basse de la zone grise qui conduit à +4,1°), au plus optimiste avec capture du CO2. Dans l’état de nos connaissances, il est impossible de calculer objectivement une probabilité de réalisation pour chacun, on ne peut en juger qu’au pifomètre et selon son humeur, bonjour la science ! On peut donc les considérer comme équiprobables, et seulement être quasi certain que l’augmentation de température finira entre 1,5 et +4.
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Ce n’est pas une tautologie d’écrire que « chaque pays fera ce qu’il pourra », cette idée s’oppose foncièrement à la liberté et la volonté, (le « faire ce que l’on veut » que rien ne limite a priori)2, ainsi qu’à la morale, le « faire ce que l’on doit » qui définit des obligations plus ou moins strictes. En pratique, ce qu’un être peut faire est limité par son milieu, sa constitution et ses capacités, mais nous sommes d’une époque qui juge de tout à l’aune de l’action et de l’ambition, et donc de la volonté, de sorte que l’on ne comprend pas pourquoi « on ne fait rien » alors que l’on pense avoir une « grande connaissance » des menaces. Un tel comportement passe pour être incompréhensible et même « suicidaire », (selon António Guterres), alors qu’il résulte prosaïquement de notre incapacité à opérer du jour au lendemain les changements nécessaires, d’autant plus qu’ils exigent la remise en cause de deux siècles de développement fébrile. Cette impuissance trouve paradoxalement l’une de ses causes premières dans la quasi toute puissance du pouvoir politico-capitaliste. Citation de Naomi Klein reprise du billet « Je mets devant toi… » :
« Nous n’avons pas fait le nécessaire pour réduire les émissions, parce que la nature même de ce type d’actions entre en conflit avec le capitalisme dérégulé, (…). Nous n’avançons pas, parce que les mesures qui constitueraient notre meilleure chance d’éviter la catastrophe (…) représentent une menace extrême pour une élite minoritaire qui tient en laisse les médias dominants, et bride nos économies comme notre fonctionnement politique. Ce problème n’aurait probablement rien eu d’insurmontable, s’il était survenu à tout autre moment de notre histoire. Mais pour notre grand malheur à tous, c’est au moment précis où la communauté scientifique présentait la menace pesant sur le climat sous forme de diagnostic irréfutable, que cette élite put jouir sans entraves de pouvoirs politique, culturel, intellectuel, qui n’avaient plus été aussi étendus depuis les années 20. En fait la diminution drastique des émissions de gaz à effet de serre avait fait l’objet de discussions sérieuses entre gouvernements et scientifiques dès 1988 – l’année même où se leva l’aube de ce que nous allions connaître sous le nom de « mondialisation ». »3
Alors, quand on voit comment cette élite a dégommé la CCC4 trois décennies après 1988, on ne peut s’empêcher de penser que les champs éoliens ne suffiront pas, et qu’il reste un long chemin à parcourir. Trop long, le climat a une longueur d’avance et n’attend pas. Cela se manifeste par une accélération du sentiment d’urgence qui remonte à l’appel des 15000 scientifiques en novembre 2017, il y a seulement trois ans, suivi six mois plus tard de la création d’Extinction Rebellion, puis de l’apparition de la « petite » mais courageuse Greta Thunberg et enfin d’Aurélien Barrau, le tout dans la même année 2018. Ces appels ont depuis cédé la place aux nouvelles du front qui ne sont pas bonnes, en particulier celles concernant les forêts que l’on voit partir en fumée par dizaines de millions d’hectares. L’urgence climatique est devenue une évidence, mais bien trop tardivement, elle a pris un arrière-goût de « on n’a plus le temps ». On ne soigne pas facilement une maladie chronique vieille d’un demi-siècle, et dont la douleur des symptômes ne fait que commencer.
Paris, le 7 décembre 2020
1 Cf. billet précédent : « Réchauffement climatique : irréversible et auto-entretenu »
2 On pense à Van Gogh expliquant dans une lettre à son frère qu’il ressent un « mur » entre ce qu’il veut faire, (selon son imagination), et le résultat sur la toile auquel il parvient.
3 On dit la même chose que Naomi Klein dans : « Depuis quand le réchauffement climatique est-il connu ? »
4 A propos de la CCC et en réaction aux déclarations de Macron sur Brut, Cyril Dion a publié un long plaidoyer où il expose ses très intéressantes motivations. Lire ici.
Illustration : blog de Yvan Tricart
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