Réchauffement climatique : état des connaissances

Les sondages montrent que le RC est très connu, mais c’est trompeur.


Connaissance abstraite et connaissances réelles

Tout d’abord, sur le plan des principes, ce qu’on appelle « la connaissance » (de quelque chose) n’existe pas toujours sous la forme d’une connaissance livresque qui serait peu ou prou partagée. C’est sans doute le cas de la rotondité terrestre, car la connaissance de la forme de notre planète se réduit au mot qui la désigne, mais cela ne vaut pas pour le RC qui est un phénomène hyper-complexe et flou. En réalité, « la connaissance » du RC se présente sous forme de connaissances personnelles de milliards d’individus, connaissances qui vont des plus sophistiquées, (celles des climatologues), au plus concrètes, (celles des gens qui en souffrent déjà), en passant par celles des citoyens et des « élites » : politiciens, chefs d’entreprises et journalistes. Par opposition à l’existence concrète de ces connaissances aussi variées que les individus, « la connaissance » du RC n’est qu’une fiction, (ou une abstraction commode), car l’on ne peut pas faire une synthèse objective des connaissances individuelles.

Les sondages

Selon ce sondage de Globalscan, « dans la plupart des 27 marchés étudiés, des proportions d’environ neuf sur dix ou plus disent que le changement climatique est un problème très ou assez grave ». De telles proportions permettent d’affirmer qu’il est désormais « bien connu », et de façon correcte puisque sa gravité n’est pas sous-estimée. Mais il faut y mettre un sérieux bémol :

« Ceux qui vivent dans des pays où les gens sont plus préoccupés par le changement climatique ont également tendance à se sentir plus personnellement touchés par le changement climatique; les habitants du Mexique et de Turquie sont les plus inquiets et ressentent également le plus fort impact personnel. En revanche, dans les pays comme la Suède, l’Australie, l’Allemagne et les Etats-Unis disent qu’ils ont connu l’impact beaucoup moins personnelle du changement climatique et ont tendance à exprimer des niveaux beaucoup plus bas de préoccupation. »

Le nombre de personnes qui s’estiment touchées varie de 60% au Mexique à 9% au Japon. Le RC est donc mieux connu dans les pays où les populations le ressentent de plus près, non parce qu’elles seraient mieux informées. Connaître les « boucles de rétroaction positive » et autres phénomènes imputables au changement climatique est une chose, subir « les pires inondations » en est une autre. Un autre sondage, du Pew Research Center et datant de 2015, confirme que le RC est « moins connu » dans les pays développés que dans les pays victimes :

« Parmi les pays que nous avons étudiés, les États-Unis ont les émissions de carbone les plus élevées par habitant, mais ils sont parmi les moins préoccupés par le changement climatique et son impact potentiel. Les autres dans cette catégorie sont l’Australie, le Canada et la Russie. Les publics en Afrique, en Amérique latine et en Asie, dont beaucoup ont de très faibles émissions par habitant, sont souvent les plus préoccupés par les effets négatifs du changement climatique. »

Cet intérêt du public pour le climat doit être relativisé car, quand on demande aux sondés de classer ce sujet parmi d’autres, il arrive plutôt en fin de liste. Peut-on dire que le RC est bien connu quand il n’est pas un enjeu électoral ?1

« Le changement climatique n’était pas un problème avant les élections de juin 2017 au Royaume-Uni. Malgré les espoirs de certains groupes, le changement climatique a à peine figuré parmi les enjeux électoraux jusqu’à présent. Dans son discours de lancement du manifeste travailliste, Jeremy Corbyn n’a fait aucune mention du changement climatique. Le discours de lancement de Theresa May a également évité le sujet. »

De nos jours, tout le monde peut avoir des tonnes de connaissances sur tout, (l’état de la nature, les maladies, les comètes,…), mais connaît-on vraiment les choses pour autant ? « Il ne suffit pas de posséder la vérité, encore faut-il que la vérité vous possède » a dit Maeterlinck2 : cela vaut pour la société, et c’est exactement la problématique de « la connaissance » du climat : on la possède de façon indubitable, certes, mais elle est loin de nous posséder parce que l’expérience personnelle fait encore défaut au plus grand nombre.

Les élites

Nous allons maintenant exposer des indices qui tendent à montrer que le réchauffement climatique est d’une certaine façon très mal connu. Commençons par un témoignage édifiant et drôlatique que l’on doit à un trublion célèbre de France Inter :

Voici la réponse d’un patron (particulièrement neuneu) à la question du climat (2’08) :

« Personne ne sait parce que les scientifiques ne savent pas exactement si y’a cinquante deux mille ans trois mille ans on était comme ça. Quand on écoute les gens qui vous parlent de millions d’années de milliards d’années la mer était beaucoup plus avancée trois quatre mille ans avant Jésus-Christ qu’aujourd’hui. (…) Je veux bien les croire mais bon, personne n’en est sûr. »

Vu le contexte politique de l’interview dont ce patron a bien conscience, (on est à l’université d’été du MEDEF), c’est surtout en tant que sujet politique qu’il doute de (l’intérêt de) l’existence du RC, car il ne peut pas ignorer son existence physique dûment attestée par le GIEC. Cela autorise à considérer ce cas particulier comme représentatif de la catégorie des chefs d’entreprises, car ils n’ont pas intérêt à ce que le RC devienne un sujet politique. D’où la question : peut-on dire que le réchauffement climatique est « connu » quand les « élites » étouffent ses enjeux ?

Ce patron n’est pas le seul ignare. Selon Michel Galliot, vice-président de France Nature Environnement en Nouvelle Aquitaine, et ancien directeur de Météo France en Limousin :

« Chez nous, au cours des élections municipales, un candidat lors d’une réunion publique s’est permis de dire que tout ça était des histoires, que les gens du GIEC n’y connaissent rien. Et il a été applaudi. Donc on voit, même chez nous, que _la connaissance n’est pas partagée_. Et même ceux qui admettent ne prennent pas la mesure du risque. Ils ne prennent pas les mesures nécessaires, qui doivent être fortes. Là, on a des mesurettes. »

Dans les médias

Il y a cependant un argument plus lourd pour justifier que le RC est terriblement méconnu : il suffit de comparer sa surface médiatique à celle de la covid. Selon Laurent Fabius, « face à l’urgence climatique, on ne fait pas le quart du quart du quart de ce qu’on fait pour la Covid ». Cette comparaison invite à imaginer ce que l’on en dirait s’il était vraiment connu pour ce qu’il est réellement, pour ses conséquences potentiellement désastreuses, pour les problèmes qu’il soulève, pour les mesures qu’il exige, le tout sur fond de géopolitique. L’on en parlerait tellement que la pandémie serait reléguée en queue de peloton.

Menace ou réalité ?

On est encore très loin de considérer en pratique le RC comme une « réalité réelle ». Il est surtout connu pour être une menace à plus ou moins long terme, une menace qui certes a toutes les chances de se révéler gravissime, (on peut dire que tout le monde en convient), mais qui n’en est pas moins « menace », c’est-à-dire plutôt une réalité potentielle. Mais le RC n’est malheureusement pas une menace, ou du moins pas seulement : c’est un phénomène enclenché depuis deux siècles, et c’est en tant que phénomène dynamique qu’il a été largement ignoré. Cela est en train de changer, mais c’est très récent. Selon nous, trois « accélérations » ont eu lieu ces dernières années :

  • 2018 : accélération médiatique suite à l’appel des 15.000 scientifiques de novembre 2017.
  • 2019 : accélération de la visibilité du RC suite au incendies géants.
  • 2020 : accélération dans le monde des affaires qui multiplie les annonces. Outre le forum de Davos qui l’a inscrit dans « les risques majeurs », l’on voit se multiplier les projets de multinationales qui semblent décidées de passer « sérieusement » à l’action, (désinvestir les énergies fossiles), et qui vont jusqu’à bâtir des plans pour « supprimer le CO2 ». Même la Chine s’y met, elle qui vient d’annoncer de nouveaux engagements.

Est-ce une bonne nouvelle ? En principe oui, mais cela vient trop tard.

Le lièvre et la tortue

Il y a clairement deux processus en concurrence : d’un côté ce satané climat, de l’autre le système infernal dopé aux énergies fossiles. Lequel va gagner ? Le réchauffement, bien sûr, parce qu’il est à l’image de la tortue. Comme dans la course imaginée par La Fontaine, il va droit au but, lentement mais sûrement, sans perdre de temps et de façon inexorable, un terme qui signifie : « qu’on ne peut fléchir par des prières », « dont on ne peut tempérer la rigueur », « auquel on ne peut se soustraire ». Quant au système dans le rôle du lièvre, il se comporte comme dans la fable : il batifole, il s’intéresse à tout et va dans tous les sens, (voitures électriques, 5G, IA, reconnaissance faciale, ordinateur quantique,…), et ne surveille la tortue que de loin en croyant qu’il a encore le temps, et qu’il parviendra à ses fins grâce à l’Accord de Paris. Il commence seulement à s’affoler, à se gratter la tête pour estimer ses chances, mais il s’est tellement éloigné de la ligne d’arrivée que même à toute vitesse il perdra la course.

Paris, le 14 décembre 2020

1 Cf. cet article très complet mais en anglais : « Are people really concerned about climate change? What the polls tell us ». Traduction par Google.

2 La citation (de mémoire) de Maeterlinck vient d’un Petit Robert encore au « format papier ».


Sur le même thème :


Illustration : vidéo Youtube : « Phénomènes réchauffement climatique (Températures extrêmes Etats Unis) » avec sous-titrage en français.

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Permalien : https://onfoncedanslemur.wordpress.com/2020/12/14/rechauffement-climatique-etat-des-connaissances/

2 commentaires sur “Réchauffement climatique : état des connaissances

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  1. Le problème c’est que « l’humanité » ne bougera pas tant que les catastrophes climatiques ne seront pas suffisamment importantes. Sauf qu’avec 40 ans d’inertie atmosphérique, il sera trop tard. Le dilemme est simple actuellement : soit tuer l’économie et provoquer des centaines de millions de morts pour éviter, peut-être, des centaines (ou des milliers) de millions de morts. (je sais que tout le monde ne sera pas d’accord sur ce dilemme car « yakafokon » on peut réduire nos émissions en redistribuant, blablabla … complètement utopique selon moi et beaucoup d’autres).
    Donc on est baisé.
    Selon moi, c’est simple, on finira par se lancer en désespoir de cause dans le transhumanisme (pour nous auto-adapter aux nouvelles conditions de vie) et la géo-ingénierie. C’est AUJOURD’HUI qu’on fait ce choix, même si les gens croiront le faire dans 50 ans alors qu’ils n’auront plus le choix justement.

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    1. Effectivement, le dilemme est entre « éviter des morts aujourd’hui » et « éviter des morts demain », mais comme on a toujours « choisi » la première option, on la « choisira » encore, le système le veut ainsi. J’ai mis des guillemets, parce que je doute fort qu’il y ait vraiment « choix », parler ainsi n’est qu’une façon de voir. Il est sûr en revanche que ce genre de « choix » engage l’avenir à long terme, 50 ans et plus. Nous avons encore le temps de développer le transhumanisme et la géoingéniérie, mais bon… le progrès technique est difficilement imaginable.

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