Quand le catastrophisme de certains donne raison à Guy Debord.
Et voilà, maintenant que le réchauffement climatique crève les yeux, n’importe quel climatologue peut dire n’importe quoi, il sera repris en chœur par les « réseaux sociaux » sans le moindre esprit critique. Pour votre serviteur, plus que jamais adepte du « oui mais », ça passe mal, très mal et même pas du tout. Il paraît donc que l’AMOC serait « sur le point » de « basculer » dans un état « lent et faible » : tout le monde a republié cette nouvelle du Guardian comme si elle méritait plus d’attention que tant d’autres déjà catastrophiques. Cette histoire pue la com et la surenchère, mais le moindre soupçon sur nos oracles des temps modernes vous range, aux yeux de certains, dans les climato-sceptiques. Ce qui se trouve marqué du sceau de « la science » est parfois, (ça dépend aussi des enjeux), pris pour argent comptant par la foule, (pour ne pas dire « les moutons », le mot est déjà pris), et quand ça sent bon la catastrophe imminente, c’est du pain béni.
Mr Mondialisation, en ouvrier de la onzième heure, vient d’en remettre une couche avec un article fagoté comme tous ses prédécesseurs : aucune donnée précise, aucun doute, seulement les déclarations de l’auteur de l’étude, les habituelles explications sur l’AMOC, ainsi que les conséquences de son « effondrement ». Seulement voilà, elles seraient tellement énormes, tellement catastrophiques ces conséquences, qu’un esprit sain ne peut que se sentir accablé, effondré, désespéré, comme si on venait de lui apprendre son prochain trépas. Il y a des nouvelles trop « grosses » pour être acceptables les yeux fermés, trop « grosses » pour ne pas faire douter par réflexe, mais dans ce cas précis les commentaires des internautes la renforcent tant et si bien que l’on pourrait croire qu’ils y trouvent du plaisir, voire une certaine jubilation.
Quelqu’un a cependant eu la bonne idée de poster un article de Bonpote, daté de mars 2021, car ce fameux « effondrement » fait périodiquement son retour sur scène. Il commence ainsi :
« Suite à la publication d’un article scientifique fin février 2021, la presse scientifique et généraliste s’est enflammée sur l’éventuel effondrement du Gulf Stream, ravivant l’imaginaire collectif produit par le Jour d’Après. »
Et Bonpote d’expliquer par le menu que tout est infiniment plus compliqué qu’il n’y paraît à lire The Guardian, Yahoo!actualités ou La Terre du futur, ce dernier site donnant dans l’épate de premier choix. Bonpote écrit en particulier ceci :
« Historiquement, on pensait que la circulation de retournement était entraînée presque exclusivement par les contrastes, liés à la température et la salinité (d’où la dénomination de circulation “thermohaline”). On sait maintenant que d’autres processus physiques l’influencent, comme le vent et le mélange océanique. On sait aussi, notamment grâce aux modèles numériques et aux mesures directes récentes, qu’elle fluctue beaucoup d’un mois sur l’autre, d’un an sur l’autre, d’une décennie sur l’autre, d’un siècle sur l’autre… et que ces fluctuations peuvent être déclenchées par de nombreux processus différents (parmi lesquels la fonte du Groenland, mais pas que…). » (Les gras sont de l’auteur.)
Sans doute aussi las que votre serviteur des fadaises qui circulent, Bonpote a bétonné son billet « en partenariat avec l’Institut National des Sciences de l’Univers ». Ce genre de travail n’étant ni dans nos cordes ni dans nos goûts, nous allons nous contenter d’une approche superficielle, mais suffisante pour instiller ce qui nous intéresse ici : le doute.
- L’étude originale n’est signée que d’une seule personne, un certain Niklas Boers, alors que le plus souvent une même étude est faite par plusieurs labos en collaboration, comme celle citée par Bonpote.
- On attribue cette nouvelle aux « scientifiques » alors qu’elle émane d’un seul d’entre eux. Certes, Boers est loin d’être le seul à plancher sur l’effondrement possible de la circulation thermohaline, mais il n’y a pas de consensus sur le sujet, sinon le GIEC en aurait fait un gros titre. Une autre étude publiée dans PNAS affirme, selon Science Post, que ce n’est pas seulement la masse d’eau de fonte qui joue, mais aussi la vitesse de fonte. Mais cette étude conclue que l’effondrement est difficile à prévoir. (Lire : pas encore prévu.)
- Nous refusons de croire que la configuration actuelle serait à un « point proche d’une transition critique », (en gras dans l’article de Mr Mondialisation), car le terme « proche » ne veut strictement rien dire du fait des incertitudes en jeu et de la valeur toute relative du proche et du lointain.1
Il serait temps que les gens réalisent qu’il n’y a ni procédure, ni méthode, ni modèle pour traduire des résultats scientifiques en langue vernaculaire. On veut bien croire que Niklas Boers voit « des signes de déstabilisation » et qu’il « trouve cela effrayant », il n’en reste pas moins que cette « déstabilisation » ainsi que sa « proximité » demandent à être confirmées, car ce n’est qu’une théorie qui sera peut-être réfutée, comme l’a été celle de Jennifer Francis annonçant « La grande débâcle de l’Arctique ».2 On veut bien croire aussi que le GIEC s’est toujours montré timoré dans ses rapports, mais quel intérêt de communiquer au grand public des nouvelles méga-catastrophistes ? Ces scientifiques espèrent-ils une plus grande pression sur les gouvernements ? C’te blague ! Il s’en fiche, le grand public, il est dans le sensationnalisme, c’est le spectacle qui l’intéresse, et c’est pourquoi exprimer des doutes vous vaut des remarques de ce genre :
Ce qui est « étudié et confirmé » depuis des « dizaines d’années », c’est l’affaiblissement du Gulf Stream. L’hypothèse de son arrêt est aussi sur la table depuis des lustres, mais en est toujours à l’état d’hypothèse non validée : le « fait » que l’AMOC serait « sur le point de basculer » n’appartient qu’à Niklas Boers. Les gens confondent un phénomène connu et depuis longtemps étudié, avec des résultats nouveaux qui demandent à être confirmés. Mais on a ça aussi :
C’est exactement comme de dire aux Californiens que le Big One est « sur le point » d’advenir, puis de traiter d’imbéciles ceux qui en douteraient. Question : que faut-il avoir dans la tête pour ne pas « préférer se voiler la face » ? Réponse : du vide, beaucoup de vide, de l’inconscience et aucune imagination, autant de qualités qui permettent de croire que l’on « regarde la réalité en face », alors qu’en fait on ne se sent pas concerné. Les gens qui réagissent ainsi ne sont peut-être pas des imbéciles, mais ce sont sûrement des spectateurs, de simples consommateurs d’informations typiques de la société du spectacle. On aimerait savoir combien d’entre eux n’auraient pas envie de « se voiler la face » si on leur annonçait qu’ils sont « sur le point » de tout perdre dans une catastrophe naturelle, ou qu’ils n’ont plus que quelques mois à vivre.
Paris, le 19 août 2021
1 Même en mathématique le « proche » est très relatif : un nouveau record de calcul des décimales de Pi vient de tomber : des scientifiques suisses en ont calculé 62.800 milliards. La valeur de Pi ainsi obtenue est infiniment plus « proche » de la valeur algébrique que notre trivial 3,14, mais elle en est encore très, très éloignée car l’on pourrait en calculer des milliers de milliards de plus.
2 Cf. notre billet « Le climat arctique se disloque (caduc) »
Sur le même sujet : « Pourquoi il ne faudrait pas parler de l’AMOC »
Illustration : « L’influence des températures et des densitées sur les courants. »
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