Miroir aux alouettes où l’on mire le resplendissant DiCaprio et l’éblouissante Ariana Grande.
Note : pour savoir en quoi consiste le film, on peut lire cette critique cinématographique sur le site de Sciences et Avenir.
EDIT le 6 janvier 2022 : excellent plaidoyer de Bonpote, j’en recommande la lecture.
Les Grecs avaient la tragédie, nous avons la farce bouffonne, et c’est avec ça que d’aucuns espèrent sauver le monde. C’est du moins ce que l’on peut penser à voir l’enthousiasme que suscite sur la Toile « Don’t look up », un long métrage tout juste sorti des fourneaux de Hollywood, et qui promet de remplir les caisses de Netflix. La découverte du premier post à son sujet, sur le groupe « Collapsologie, les limites à la croissance », nous a mis en fureur, mais nous nous sommes vite calmé : on n’arrête pas une déferlante collective, qu’elle soit d’enthousiasme ou de haine, parce qu’elle relève de la psychologie des foules. Seuls quelques écolos se sont montrés sceptiques, par exemple :
« Je ne comprends pas l’accueil enthousiaste que beaucoup font à ce film carnavalesque. Au Moyen-âge, un jour par an servait d’exutoire aux gens du « peuple » qui pouvaient se moquer librement de leurs dirigeants (carnaval), puis le lendemain tout le monde repartait au travail. Ce film relève plutôt d’un grandguignolesque greenwashing sans conséquence. Demain remettez vos masques, montrez vos QR codes et repartez au travail. Super… »
A comparer au commentaire laudatif du collapsologue de service :
« J’ai vu ce film hier, je le recommande vivement à tous, à des fins de sensibilisation indirecte de vos amis, par exemple. (…) L’entière histoire est une métaphore de ce qui nous arrive (crise climatique et crise écologique). DiCaprio n’en est pas à son coup d’essai, et l’humour jaune, dystopique est omniprésent dans le film, il dérange et bouscule le spectateur pour l’amener à réfléchir à notre façon de vivre ensemble et de porter des œillères face aux crises bien réelles. Le personnage principal se voit confier une mission de première importance et baisse sa garde, face à une élite avide et suicidaire… Puissant. Salvateur. »
S’il faut « réfléchir à notre façon de vivre ensemble », alors que l’on commence par lire Gustave Le Bon et son livre, « Psychologie des foules », car même si aucune n’est physiquement constituée dans ce cas, et même si son ouvrage est fort critiquable, son principe fondamental reste valable :
« (…) lorsque des individus sont réunis, ils ne raisonnent pas de la même manière que s’ils étaient seuls, [ce qui explique] les comportements irraisonnés des foules. »
Ici, c’est la publicité faite sur les « réseaux sociaux » qui réunit virtuellement une masse considérable d’internautes dans l’esprit desquels rien ne déclenche un réflexe critique. Ce film leur « tend un miroir » comme on dit, et ils s’enthousiasment comme des singes découvrant leur double en train de s’exciter, et prenant peut-être conscience que ce double est eux-mêmes : révélation ! « Puissant. Salvateur. » dit le collapsologue médusé qui croit déjà avoir tout compris, mais au point d’en oublier l’essentiel, à savoir qu’il y a d’abord une chose, le miroir, et quelqu’un pour le tenir sous son nez. La foule plonge tête la première dans le sens, sémantique et spatial, que les discours lui disent de prendre et comprendre, et ça marche au quart de tour. C’est particulièrement rigolo à constater quand c’est pour l’inviter à « prendre conscience » qu’elle est victime d’une « élite avide et suicidaire », c’est-à-dire d’autres discours.
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Ayant lu le résumé détaillé, votre serviteur en a retiré l’impression que le moindre détail a été prévu pour soulever l’indignation, et avec une telle « efficacité » que l’on peut quasiment jouir du brio des auteurs :
« Dans l’antichambre du Bureau ovale, Mindy, Dibiasky et Oglethorpe patientent une journée entière sans être reçus. Ils sont accompagnés par un général (Paul Guilfoyle), qui vient leur apporter des snacks et de la boisson en leur demandant de le rembourser. Kate verra par la suite que tout était gratuit et se trouve choquée par la bassesse cupide du général. »
Comme toujours, la foule réagit par des émotions aux émotions, lesquelles retombent aussi vite qu’un soufflé sorti du four, mais en laissant des traces sous forme de croyances diverses et contradictoires qui peuvent s’incruster durablement. Les mystifiés croiront avoir vu la réalité en face, alors que la vraie réalité, dans toute cette affaire, c’est le miroir lui-même : le dispositif construit par le système, pas seulement par une équipe de personnes, car rien n’eût été possible sans lui pour fournir les ressources nécessaires au succès commercial de l’entreprise. La réalité racontée, aussi « réelle » qu’elle puisse paraître, n’est jamais qu’une fiction, une histoire de plus qui vient s’ajouter à l’infinité des précédentes. Même si l’on tient pour vrai que tout dans ce film est comme dans la réalité, ce n’est pas la réalité : son « Bureau ovale » n’est pas LE vrai « Bureau ovale » : c’est une métaphore qui n’a ni plus ni moins de sens, de réalité ou de fiction, que l’administration du Château.
Et tandis que les auteurs, derrière ou sur l’écran, donnent l’impression de dénoncer les pouvoirs en place, en réalité ils en font partie et sont aux premières loges. Ils nous « révèlent » le pot aux roses pourrait-on dire, le « comment ça se passe » dans ces hauts lieux du pouvoir où le commun des mortels n’est jamais convié, et le résultat n’est donc pas beau à voir. La belle affaire ! A en croire un post sur Facebook, voici ce que vous loupez à ne pas céder à l’hystérie :
« 🎥 5 Problèmes soulevés avec brillo [sic] dans « Don’t look up », le dernier film de DiCaprio sur Netflix (…) [Le film n’est pas de DiCaprio, mais bon…]
1. Un système politique qui se focalise beaucoup plus sur le court terme et les élections que sur la résolution de problèmes de long terme [Quel scoop !]
2. Les personnes les plus riches qui ont un accès facile aux decision makers et influencent ces décisions (pour devenir encore plus riche bien sûr) [Encore un scoop !]
3. Les médias qui favorisent l’audience plutôt que l’information qui donne des connaissances aux téléspectateurs pour qu’ils puissent ensuite être conscients des problèmes et prendre les bonnes décisions [Troisième scoop ! Un vrai feu d’artifice !]
4. Les réseaux sociaux avec la désinformation, le besoin de starification et d’hyper court terme qui empêche toute réflexion [Whaou ! On avait vraiment besoin de ce film pour le savoir !]
5. ENFIN le problème du discours scientifique et du PEER REVIEW. LA BASE de la science qu’on a trop tendance à oublier aujourd’hui ! POUR valider scientifiquement une théorie, une solution ou un problème il est nécessaire que la grande majorité des scientifiques qui travaillent sur ces connaissances le valident et puissent avoir accès aux données, même si cela vient à la base du meilleur prix Nobel, directeur d’institut ou président de comité scientifique. » [Les majuscules sont de l’auteur.]
Le dernier point est un gros mensonge, au mieux une grosse erreur. Si l’on n’écoute pas les scientifiques, comme le répète Greta Thunberg, le « peer review » n’y est pour rien. Cette « erreur » vient du dispositif narratif du film qui exige des héros, les deux scientifiques qui ont découvert la comète seuls dans leur coin. Dans la réalité, les objets qui s’approchent de la Terre sont constamment scrutés par la NASA : elle n’a pas besoin du peer review pour faire autorité, ni de deux olibrius diplômés pour se faire entendre du « Bureau ovale ».
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Ces détails montrent deux choses : que toute narration est métaphorique comme nous l’avons dit, et que « la réalité » que l’on croit découvrir ainsi, si elle peut être avérée dans certains de ses aspects, donne lieu à une compréhension qui peut être totalement farfelue. Savoir qu’une « élite avide et suicidaire » nous mène à la ruine, que « l’on n’écoute pas les scientifiques » ou que l’on serait dans un « déni cosmique », ne nous fait pas comprendre les phénomènes, et l’effet révélationnaire propre au spectacle conduit à prendre des pseudo-révélations pour de la compréhension. C’est pourquoi, s’il est probable, pour ne pas dire certain, que ce film aura une influence, la question est de savoir laquelle : il n’est pas sûr qu’elle jouera dans le sens que ses laudateurs se plaisent à imaginer. Va-t-elle « sensibiliser » les foules et préparer les esprits à d’autres lendemains ? Certainement, mais au bénéfice de qui ?
Paris, le 28 décembre 2021
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Je l’ai vu et ton analyse est assez pertinente comme dab. Les scoop n’en sont pas… pour toi, oui mais par exemple « les médias qui favorisent l’audience plutôt que l’information » peut devenir une révélation pour celui qui s’installe systématiquement devant TF1 à 20 h. Le film ne m’a pas plu, mais s’il doit réveiller, ne serait-ce que ton beau frère avec qui tu avais eu une discussion très animée dans un restaurant chinois, je louerais (de laudate) ce film. 80% de la population dort et des réveillés essaient de les sortir de leur torpeur, c’est cela qui se passe. Quant aux solutions pour « sauver la planète » tu as pondu suffisamment d’article pour prouver que c’est une autre paire de manche.
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Je dois reconnaître que l’argument fait mouche : ce qui n’a rien de nouveau pour moi, peut effectivement être un scoop pour quelqu’un d’autre. C’est une excellente façon de défendre ce film. Cela dit, ce billet est surtout une « révolte » contre l’enthousiasme qu’il a suscité dans ma « bulle » Facebook qui ne compte que des gens avertis et bien informés de ce type de sujet. Cet enthousiasme montre qu’ils manquent d’esprit critique, aussi excellent que soit le film.
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