Comédie en trois actes.
Note : ce billet clôt le problème ouvert dans « Du rififi dans les EPR ? »
Reporterre et d’autres médias ont relayé une alerte gravissime en provenance de la CRIIRAD, une association d’écologistes dans laquelle votre serviteur avait toute confiance, car elle avait été créée pour réfuter les mensonges du gouvernement après la catastrophe de Tchernobyl. Désormais, cette confiance n’est plus, car l’association s’est rendue coupable de la divulgation d’une grossière fausse nouvelle.
Acte I
Tout commence par un article de Reporterre : « Le défaut du réacteur chinois pourrait remettre en cause tous les EPR », ce qui signifie que la filière serait menacée d’une faillite complète. Le conditionnel est de rigueur, évidemment, mais il ne faut pas se faire d’illusions : c’est la rondelle de citron sur le verre de cocktail. Ensuite, le chapeau annonce des faits précis :
« Un lanceur d’alerte révèle de nouvelles informations sur l’incident qui a conduit à l’arrêt du réacteur EPR de Taishan. (…) L’Autorité de sûreté nucléaire est interpellée. »
Interpeller l’ASN sur la base de « nouvelles informations », c’est exactement comme de demander à un juge de rouvrir une enquête criminelle suite à la révélation de faits nouveaux et sérieux, on n’est pas dans le conditionnel. Le motif de tout ce remue-ménage est une nouvelle hypothèse qui expliquerait des vibrations connues de longue date à Taishan :
« Ces vibrations seraient liées à « un défaut de conception de la cuve de la filière EPR ». »
Il n’y a plus de conditionnel pour asseoir cette hypothèse, mais les faits suivants :
« La Criirad rappelle que la cuve de l’EPR a été inspirée du projet de réacteur allemand Konvoi, sur lequel des défauts avaient à l’époque été identifiés. Dans les années 1990, l’EPR était en effet un projet franco-allemand, que Berlin a abandonné en cours de route, avec la perspective de sortie du nucléaire. »
Reporterre reste évasif. Il insinue qu’un « défaut de conception » du modèle Konvoi a été retrouvé à Taishan, et on l’y retrouve parce qu’il n’a pas été corrigé. Ce serait en substance la révélation du mystérieux « lanceur d’alerte », et en même temps une bonne mesure de l’inconscience de ces fous furieux d’ingénieurs. La CRIIRAD dit la même chose, mais de façon plus précise. Dans sa lettre à l’ASN elle écrit :
« Ces vibrations seraient liées à un défaut de conception de la cuve de la filière EPR. La cuve de l’EPR est faite sur le modèle Konvoi (Allemand) et présente le même problème que lui à savoir « une hydraulique en fond de cuve pas très réussie qui donne une distribution d’alimentation inégale dans les assemblages. Un courant transverse se crée dans le cœur et fait bouger les assemblages, surtout ceux en périphérie ». » [Les gras sont des auteurs.]
Cette citation montre que la même hypothèse, (avec sa rondelle de citron), se voit aussi justifiée par un fait présenté comme certain, à savoir que :
« La cuve de l’EPR est faite sur le modèle Konvoi (Allemand) et présente le même problème que lui (…) »
Mais pas l’ombre d’un indice pour soutenir la seconde proposition, qui n’est donc qu’une autre hypothèse. Les prétendus faits nouveaux censés justifier l’interpellation de l’ASN sont en trompe-l’œil. Pour bien mettre les points sur les i : l’hypothèse de ce défaut aurait pu être formulée dès la découverte des vibrations, et ce, quels que soient les dégâts et quel que soit l’historique, car, faute de précisions, elle ne repose que sur la conception de la cuve.
Acte II
La vraie information est venue d’un ingénieur en sûreté nucléaire, un certain Tristan Kamin, qui a relayé sur ce thread les explications d’EDF : des ressorts se seraient arrachés à cause d’un problème connu et résolu depuis longtemps, mais dont la solution n’était pas appliquée à Taishan. Citation :
« Ce problème a été résolu par un traitement thermique sur les grilles qui en améliore la résistance, mais pas encore mis en oeuvre à l’époque où a été fabriqué le combustible de Taishan (les EPR, vous savez, c’est pas la même temporalité que le reste du monde). »
Les ressorts en question sont ceux qui servent à maintenir les crayons dans les grilles d’assemblage. Dès lors on comprend que si ces ressorts, – conçus pour amortir les vibrations -, lâchent pour une raison quelconque, alors les crayons se mettent à bouger ou vibrer de façon anormale. Et dans la foulée on réalise que :
- Ces vibrations anormales ne sont pas dues à la conception de la cuve.
- Si les ingénieurs ont prévu des ressorts, c’est parce qu’il existe des vibrations inévitables, comme celles d’un véhicule sur la route. Donc, même si le milieu aquatique de la cuve est le siège de turbulences sévères, il y a de fortes chances pour qu’elles soient aussi normales que les vibrations au décollage d’une fusée (par exemple), car il est fort probable qu’une circulation lisse soit impossible, quelle que soit la géométrie de la cuve. Le « défaut de conception » n’est donc qu’un leurre pour alimenter la phobie des antinucléaires et justifier leurs cris d’orfraie.
Acte III
Alors que nous avions publié notre billet sans tenir compte des avis qui remettaient en cause la fiabilité de la CRIIRAD, un antinucléaire convaincu persiste à la défendre. Il écrit :
« Il se trouve que bien souvent les médias et leurs lecteurs transforment les communiqués de la CRIIRAD pour les dramatiser et leur faire dire autre choses que ce qui y est écrit. Ce qui n’a pas joué en faveur de la CRIIRAD et qui l’a bien souvent décrédibilisée. Ca a été le cas pour l’affaire des plages contaminées, comme pour cette affaire de Taishan. Mais c’est les médias qui doivent être remis en question si ils tirent de fausses conclusions, pas l’auteur du communiqué qui pose des questions judicieuse. Dans le cas précis, qu’avez vous à dire sur la fiabilité du communiqué de la CRIIRAD ? »
Quand la CRIIRAD publie sur son site une lettre à l’ASN, elle se comporte comme un média. Donc, de l’avis même de cet internaute, elle doit être remise en question ! La CRIIRAD n’est pas une institution scientifique dont les publications sont soumises au peer review, elle raconte ce qu’elle veut, elle décide comme bon lui chante si une question est « judicieuse » ou non : exactement comme un vulgaire média.
D’un point de vue strictement logique, toutes les hypothèses se valent, mais il ne faut pas pousser mémé dans les orties. Sauf à être de mauvaise foi, l’on ne peut pas mettre dans le même panier un défaut de conception de la cuve, – qui serait un cygne noir -, et une pièce défectueuse qui peut être facilement corrigée. C’est à cause de cette gigantesque différence que nous n’avons plus aucune confiance dans la CRIIRAD, car il est évident qu’elle n’a pas fait sa publication avec les mêmes intentions que nous. Alors que c’est l’effet cygne noir qui nous avait intéressé, (au point d’en oublier notre esprit critique), la CRIIRAD et Reporterre, (comme tant d’autres désignés dans le thread de Tristan Kamin), l’on fait par esprit critique envers les EPR, avec le désir évident de mettre en doute leur fiabilité. (Et toujours avec l’alibi commode de la sécurité.) La question de la CRIIRAD trahit l’attente inavouée et hypocrite des antinucléaires : qu’un défaut rédhibitoire vienne « foutre en l’air » la filière. (Excusez l’expression mais nous sommes dans une comédie.)
Car la question n’était objectivement pas du tout « judicieuse » : elle contredit le principe du rasoir d’Ockham. Quand un clignotant ne marche plus, on commence par vérifier son ampoule, pas les circuits électriques. Quand une voiture secoue anormalement ses passagers, on n’écrit pas au constructeur pour l’interpeller sur la conception de son châssis, on examine d’abord ses amortisseurs. Au lieu de cela, la CRIIRAD a poussé le bouchon trop loin, à la manière de ceux qui évoquent le grand remplacement. Il ne faut pas se ficher du monde : les hypothèses de ce genre ne sont « judicieuses » que pour ceux qui les veulent ainsi, mais, aux yeux des gens raisonnables, c’est de l’intox.
Pour finir, répondons à la question de l’internaute : « qu’avez vous à dire sur la fiabilité du communiqué de la CRIIRAD ? » Et bien nous avons à dire qu’il est mensonger car, avec son « lanceur d’alerte » masqué, elle a fait croire qu’elle avait dans la manche des faits nouveaux et avérés, alors qu’elle n’a pu avancer qu’une hypothèse gratuite. C’est impardonnable de la part de personnes qui se disent « scientifiques », cela ruine leur crédibilité et confirme la mauvaise réputation de la CRIIRAD.
Paris, le 17 janvier 2022
Lire aussi : le blog de Tristan Kamin : « Dose Équivalent Banana »
Illustration : Challenges : « La Chine admet un incident mineur dans sa centrale nucléaire de Taishan »
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Permalien : https://onfoncedanslemur.wordpress.com/2022/01/17/la-derniere-fake-news-de-la-criirad/
un eclaiage :
Cliquer pour accéder à vieillissement_aciers_et_cuves_nucleaires_projet_scientifique_fessenheim1_prtdl_colloquecerdacc-uha_22-11-2019.pdf
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J’ai jeté un oeil sur ce PDF, et j’en retire l’idée qu’il est sérieux. Les réacteurs nucléaires sont effectivement des machines risquées qu’il faut surveiller de près, et j’approuve l’idée d’étudier la cuve de Fessenheim pour vérifier son vieillissement.
Mais puisque le nucléaire pose des problèmes sérieux, ne faudrait-il pas que les écologistes discutent sérieusement avec les ingénieurs, (ou l’ASN), au lieu d’être constamment dans une posture accusatoire ou de suspicion ? Vous croyez que les ingénieurs peuvent avoir envie de les écouter quand ils lancent à la face du monde des soupçons absurdes ?
Enfin, on a beau produire toutes les études qu’on veut, l’estimation des risques doit conduire à des décisions binaires, (on fait ou on ne fait pas), et là, la science n’a plus son mot à dire, on est dans la gestion des ENJEUX, lesquels débordent largement la question de savoir si ça va péter ou non. Et ces enjeux, les écologistes les ignorent complètement, c’est peut-être pourquoi personne ne les écoute…
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