Question de morale : pour ou contre le nucléaire ?

L’on ne peut pas faire confiance à des écologistes motivés par une phobie.


A militer contre le nucléaire comme un témoin de Jéhovah, un écologiste de notre entourage nous pousse à choisir notre camp, mais ce ne sera pas le sien. Cette personne aurait dû lire « Raisonnements et pouvoir de conviction », elle aurait peut-être compris à quel point il est vain de vouloir convaincre quiconque. En fait, plus elle argumente plus nous nous braquons, car notre souci n’est pas la qualité de ses arguments, il est de trancher le dilemme qu’elle nous pousse à trancher : être pour ou contre le nucléaire. Et comme votre serviteur n’a ni l’intention ni les moyens d’avaler des tonnes d’expertises, et sachant que son opinion n’a que le poids d’un pixel, il tranche par application du principe de moindre action, et se retranche dans sa zone de confort en fermant sa porte à double-tour.

Comportement irresponsable, immoral et imbécile ? Peut-être, à chacun d’en juger, nous avons seulement la faiblesse de croire qu’il est universellement répandu, et c’est pourquoi nous n’avons aucune gêne à l’afficher. Les écologistes ne se comportent pas différemment : les arguments des « pronucléaires » ont sur eux le même effet que des crucifix sur les vampires. En pratique, personne n’est disposé à étudier, (et encore moins à admettre), les arguments de la partie adverse : il est plus simple, plus rapide et plus confortable pour tout le monde d’adopter l’opinion dominante de son camp, ou d’un expert qui a déblayé le terrain. Sans cela, chacun devrait consacrer un temps phénoménal sur chaque dossier, (qui sont infinis en nombre et d’une complexité effroyable), et devrait devenir « expert » lui-même pour discuter de chaque question. Quelques-uns le font, certes, pour justifier leur engagement, mais ils n’aboutissent qu’à des opinions conformes à celles de leur camp, sinon ce serait peine perdue.

Nous pourrions (théoriquement) adopter le point de vue des antinucléaires, nous convertir en quelque sorte, et déclarer : « OK, nous sommes contre ! » Mais quel sens cela aurait-il ? Ce ne serait qu’une posture, donc une hypocrisie : il nous faudrait nous comporter en militant, car seule l’action pourrait donner un peu de poids à ce contre. Malheureusement, votre serviteur n’a aucune motivation pour cela, et c’est difficile de le lui reprocher : les motivations ne s’improvisent ni ne se décident, elles surgissent comme des accidents, au gré des circonstances, le plus souvent parce que celles-ci entrent en « résonance » avec ce que l’on a en soi depuis longtemps. C’est pourquoi nous sommes très motivé pour chercher à « comprendre » le monde, mais pas du tout pour le changer. Et ce que nous en « comprenons », c’est qu’il provoque des dégâts écologiques considérables de mille façons différentes, pas seulement avec le nucléaire, et qu’en fait c’est toute la civilisation qui mériterait de passer à la poubelle.

C’est pourquoi, de notre point de vue, ce serait une absurdité de nous déclarer pour le nucléaire : c’est seulement une énergie qui, tous comptes faits, est préférable au charbon et au gaz, (climat oblige), et qui, en nuisances cumulées, est loin d’être la pire. Mais c’est la plus diabolisée par les écologistes, parce qu’elle trouve son origine dans « la bombe », l’État et le fameux « complexe militaro-industriel » hérité de la Guerre Froide : le cœur hard du système dont les secrets ne sont guère compatibles avec les débats publics. Le manque de transparence des autorités pour tout ce qui touche aux pollutions, (pas seulement radioactives, il suffit de voir le cas des nitrates en Bretagne qui est visible de façon spectaculaire), et leur manque d’empressement pour réparer les dégâts et en éviter de nouveaux, c’est cela le vrai scandale. On le doit à la symbiose congénitale de l’industrie et de l’État, une « symbiose » qui subordonne les intérêts du peuple et de « l’environnement » à ceux des puissants. L’on aura beau lutter contre le système sur tous les fronts et par tous les moyens, il ne changera pas d’un iota sur ce plan, parce qu’il y va de ses intérêts : pourquoi y renoncerait-il ? Et même s’il le voulait, il en serait incapable car le mal est fait : la vie de huit milliards de nos contemporains a depuis longtemps été structurée par les produits industriels, l’on ne fera jamais « rentrer le dentifrice dans le tube ».

Est-il seulement possible de trancher les dilemmes d’une façon « rationnelle » ? A notre avis non, en aucun cas, le nucléaire en fournit un bel exemple car il n’y a rien de comparable entre l’électricité produite et les pollutions engendrées, ces facteurs sont incommensurables. C’est pourquoi on peut toujours opposer, à la morale qui veut éviter des malades et des morts par pollution, celle qui fait vivre des milliards de personnes par production. Aussi déplorable soit-il, le système ne fait pas qu’engendrer le mal : il procure aussi le bien, et en principe il nous veut du bien. (Rappelons que, selon Darwin lui-même, la fonction première de la civilisation est de protéger les plus faibles contre la sélection naturelle.) Au regard des décès prématurés pour cause de ceci et cela, il y a les vies prolongées par le niveau de vie de la population, et par quantités de moyens techniques mis en œuvre pour « sauver des vies », des moyens que personne ne conteste car ce serait faire preuve de cynisme. (Les antivax font exception, mais ils se gardent bien de reconnaître que les vaccins évitent plus de victimes qu’ils n’en provoquent.) Et il se trouve que ces moyens reposent les uns sur les autres, notamment sur l’énergie électrique. Dans ces conditions, être contre le nucléaire c’est implicitement être contre ses services rendus. C’est en tout cas les nier, les sous-estimer ou les tenir pour négligeables dans l’équation, et cette attitude est inacceptable quand on entend peser dans les débats publics qui conduisent à des décisions stratégiques. C’est pourquoi l’on ne peut pas faire confiance aux écologistes antinucléaires : ils devraient soit renoncer à peser dans les décisions politiques, soit renoncer à leur phobie qu’ils alimentent sans scrupules. Elle les motive pour se laisser aller à une propagande qui les discrédite eu égard au réalisme dont la politique a besoin. (Selon leur dernière trouvaille, le nucléaire serait une énergie « intermittente ». Sans commentaire.)

Les écologistes sont comparables aux communistes : comme eux, ils sont porteurs d’une vision du monde qui présente deux caractéristiques, – incompatibilité avec le système et impossibilité de réalisation -, qui en font des utopies. Votre serviteur n’a rien contre ces utopies, il serait sincèrement très heureux d’apprendre que les risques ont été réduits à zéro et les classes sociales abolies, mais il constate qu’il vit dans le système, pas dans une utopie. Il en résulte ce nouveau dilemme : doit-il être réaliste ou utopiste ? Vous avez quatre heures.

Paris, le 25 janvier 2022

Note : pour savoir comment ça se passe hors de toute civilisation, lire cet article de Slate : « Infanticide dans les tribus amazoniennes: jusqu’où faut-il respecter les cultures autochtones ? » On y apprend que les enfants malades, dans certaines tribus, sont enterrés vivants, ça ne badine pas.


Billets qui tournent autour du même sujet :


Illustration : Challenges : « La Chine admet un incident mineur dans sa centrale nucléaire de Taishan »

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3 commentaires sur “Question de morale : pour ou contre le nucléaire ?

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  1. Je reste sur mon idée que cette peur des conséquences reste rationnelle car basée sur une analyse de risque réelle et donc n’a rien voir avec une phobie. Dans les peurs il y a bien une hiérarchisation des conséquences dans l’ensemble des risques planétaires. Et là je vous rejoins les critères ne sont pas clairement définis par les écolos. Dans mon propos les conséquences et risques associés ne concernent pas uniquement l’aspect accident …mais comme c’est le plus sensible et le plus anxiogène (impact sur le sol, la vie, la maladie etc. d’un territoire entier) ..Vous l’expliquez bien l’hypercentralisation facilite la position des écolos mais c’est peut être là un de leur critère de hiérarchisation ?
    Comme vous je suis très fataliste …le foutoir planétaire on l’a bien (j’y ai largement participé) maintenant faut faire avec mais le dilemme moral avoir la peste ou le cholera n’en est pas un pour moi surtout lorsque l’on parle de satisfaire des « besoins » . J’ai prés de 70 ans, mes besoins ont largement évolué en fonctions du temps … Mais comme toujours face à un problème on s’attarde sur les conséquences sans s’attaquer aux causes qui le génère (toujours l’histoire du doigt et de la lune) et vous avez bien identifié l’une des causes majeures à nos problèmes : le besoin (vital, superflu), l’énergie nucléaire comme les autres énergies ne sont que les conséquences de nos besoins avérés ou pas. Maintenant, vous avez raison sur ce sujet on ne peut pas rester neutre et être cynique, on choisit son groupe, son action avec sa morale personnelle.
    [Encore une petite remarque, les contrôles sont des données d’entrée dans le calcul du risque (effet majorant ou minorant)]
    Cordialement (et très heureux de ce petit dialogue )

    Aimé par 1 personne

  2. Dire « L’on ne peut pas faire confiance à des écologistes motivés par une phobie » si l’on passe d’une singularité à une généralité est peut être excessif ? La phobie est une peur exagérée et irrationnelle. Des écolos comme d’autres peuvent argumenter des peurs très rationnelles….J’ai beaucoup travaillé dans l’industrie à risques seveso et le calcul du risque est dépendant d’une probabilité d’occurrence jamais nulle (évidement). La peur des écolos (et d’autres non écolos) dont parle « notre serviteur » est celle des conséquences d’un événement non improbable d’une centrale nucléaire…cela reste rationnel, peut être exagéré sur le risque si l’on n’en connait pas la probabilité mais surement pas sur les conséquences (des exemples existent : accident, déchet, dépendance). Mais ceci est de la roupie de sansonnet au regard du fond du billet auquel j’adhère à 90% sur la partie comportementale dont n’a pu se détacher « notre serviteur » dans son argumentaire pro nucléaire qui ne justifie que sa morale. Il suffisait simplement de dire je ne change pas d’avis sur le nucléaire car cela s’explique par le comportement individuel/de groupe et j’ai la phobie de l’incertitude. Aquoiboniste, fataliste, pessimiste ..oui mais pas en accord avec le 2ème point de sa ligne éditorialiste ; -)
    J’adore vous lire cela questionne toujours

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    1. Merci infiniment pour votre critique parfaitement sensée, cela change du tout venant sur Facebook…

      La « phobie » des antinucléaires est tout à fait justifiée puisqu’une méga-catastrophe est toujours possible, (risque non nul). Cependant, elle est tout ce qu’on veut sauf… « rationnelle ». Pourquoi ? Parce qu’on est en train de détruire la planète de mille façons qui ne font pas peur, (ou du moins pas assez), SAUF par des pollutions nucléaires qui ne représentent qu’une petite fraction de l’ensemble, mais qui font horriblement peur. Certes, les écologistes protestent contre toutes les formes de pollutions, mais ils n’en font pas autant contre elles que contre le nucléaire. Au demeurant, ils n’ont obtenu des résultats notables que contre lui, et il y a une bonne raison à cela : ce secteur est hyper-centralisé alors que les autres, n’ayant pas de centre, sont beaucoup plus difficiles à combattre. Mais cette hyper-centralisation leur fait peur, alors qu’elle devrait être relativement rassurante, car elle permet un contrôle plus serré. (Reste à savoir ce qu’il adviendra quand on aura disséminé partout dans le monde les petits réacteurs SMR : il est possible que la hantise des antinucléaires devienne cauchemar…)

      Vous pensez bien que j’ai été horrifié d’apprendre que j’aurais enfreint le point n°2 de ma « ligne éditoriale », l’un des plus importants : je n’ai « rien à vendre ». J’avoue que, avec le nucléaire, j’ai quelque chose « à vendre », à savoir le point de vue réaliste et pragmatique. Avec le billet « du rififi dans les EPR », j’ai essayé d’être « neutre », mais ça n’a pas fonctionné, j’ai dû me rabattre sur le réalisme. La neutralité est impossible car il y a une composante morale dans l’affaire et je m’interdis d’être cynique, (point 5 de ma ligne éditoriale). Le dilemme moral est le suivant : soit on satisfait les besoins des populations pour éviter des décès prématurés, soit on fait fi de ces besoins au nom de la protection de l’environnement, mais au risque de provoquer des décès prématurés. Vous choisissez quoi, cher Monsieur ?

      Cordialement

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