De l’indéniable déni des boomers

Déni des boomers, conflit générationnel, valeurs et générations futures.


Commençons par exposer l’objet du délit, pris sur le vif par un smartphone dans ce qui a tout l’air d’être une manifestation, et dûment enregistré dans cette vidéo intitulée : « Jancovici et le déni des anciens face au réchauffement climatique ». Il semble que certaines personnes, boomers ou non, aient perdu leur sang-froid :

  • [2′] Vous êtes à chier.

  • Ne me fais pas chier, connasse.

  • Là, je ne suis pas libre à cause de vous.

  • Vous n’êtes pas libre, mais nous on ne va pas vivre…

  • Et bah crève et fais pas chier !

  • De toute façon, vous allez crever comme les autres.

  • Tout le monde vous déteste !

  • Ce sont nos petits-enfants qui vont être contents quand ils verront cette vidéo !

  • Je suis bien content parce que mes petits-enfants travaillent dans le pétrole, con**rd !

Après un tel échange d’amabilités, l’on ne peut plus contester que des boomers soient dans le déni.1

L’internaute ayant posté la vidéo sur FB la présente ainsi, en faisant parler le boomer-type selon son idée personnelle :

boomers-commentaire-FB-1

Et un autre de décrocher le pompon :

boomers-commentaire-FB-2

Ces commentaires ont le grand mérite de résumer la problématique dont on parle, mais pour nous ils sont à pisser de rire. Les « preuves énormes » de ce « conflit générationnel » ne sont que des invectives lancées par deux pelés et trois tondus. Bien qu’elles soient révélatrices d’un « malaise » plus « profond », elles ne sont que superficielles conséquences sans conséquences : le chien aboie, la caravane passe. Que l’on puisse être cynique au point de répondre « crève et fais pas chier ! » n’a rien pour surprendre, le cynisme est une posture vieille comme le monde. Une posture qui manque pour le moins d’aménité et ne favorise guère les relations sociales, c’est entendu, mais ce n’est ni le souci des cyniques ni l’apanage des boomers.

***

Depuis longtemps familier aux écologistes, le souci des « générations futures » est venu au grand public par le réchauffement climatique et le « développement durable ». (Il est donc très récent, une fraction de seconde à l’aune de l’évolution humaine.) En 2011, un historien « de l’Université de Georgetown »2 écrivait dans Le Monde :

« Si nous ne repensons pas rapidement notre manière de vivre, nos enfants paieront lourdement les conséquences de notre comportement irréfléchi. Qui plus est, les générations futures se demanderont dans quelques années comment notre civilisation a pu vivre dans un tel aveuglement moral. »

Cette problématique a ressurgi suite à l’élection présidentielle pour la seule raison que les boomers ont été 40% à voter Macron : cela signifie qu’on en fait des boucs émissaires, car les autres tranches d’âges, qui ont voté Macron à 20-25%, sont jugées moins sévèrement. La bonne question est de savoir combien

pyramide-des-ages
Cliquer pour agrandir.

les boomers, (au-dessus de la ligne rouge sur le graphique ci-contre), étaient-ils par rapport aux autres votants ? Mystère et bec de gaz. Mais qu’importe, leur vote s’explique par la surreprésentation des professions supérieures du fait que les pauvres ont une espérance de vie très inférieure à celle des riches.3 Si l’on tient à incriminer une catégorie de la population, il faut viser les cadres, les « élites » qui ont massivement voté Macron, pas les boomers dont beaucoup sont déjà morts.

Cependant, leur vote n’aurait jamais fait polémique si, par une mystérieuse association d’idées sise dans l’inconscient collectif, l’on n’avait pas crédité Macron du pouvoir de faire le malheur futur des « générations futures », et Mélenchon-l’écolo d’être capable de tout le contraire. De là cette indignation envers les boomers qui auraient fait le mauvais choix, alors que le vote des autres, jeunes et moins jeunes, semble relativement « normal » : c’est celui des macronistes, des lepenistes, etc. Ce deux poids deux mesures vient du fait que les boomers, ayant « profité de tout et tout cramé », devraient avoir conscience des conséquences de leurs choix sur les « générations futures », ce que l’on ne demande pas aux autres. La réponse que l’on peut faire à cette manière de voir est simplissime : tout le monde brûlant du pétrole à qui mieux mieux, distinguer une catégorie sociale sur une base aussi futile, c’est l’ériger en bouc émissaire, méthode archaïque pour se décharger de ses responsabilités : « c’est pas moi, c’est l’autre ».

***

Un mot maintenant sur ces « générations futures ». Les gens s’imaginent tenir là un concept fort, un argument de poids, et une « responsabilité » qui ne devrait pas faire débat car elle va de soi. Malheureusement il n’en est rien. C’est un concept creux en ce sens qu’il ne représente que l’avenir, mais supposé rempli d’être humains et non-humains qui auront à vivre dans un certain environnement.4 L’on ne sait pas de quoi seront faits cet avenir à long terme et cet environnement, donc l’on ne sait rien des « générations futures ». C’est pourquoi il n’y a qu’une manière de tenir compte logiquement et sérieusement de leurs futurs besoins : fermer les usines, car tout ce que l’on produit se diffuse dans l’environnement et leur fait courir des risques. L’on ne peut pas définir, et encore moins imposer une frontière entre des productions qui seraient licites eu égard à leurs « droits », et d’autres qui ne le seraient pas.

Les humains ne se sont jamais souciés des « générations futures ». Nos ancêtres ne pensaient qu’à leurs ancêtres sur qui ils prenaient modèle, et « léguaient » à leurs propres « générations futures » l’environnement dans lequel eux-mêmes vivaient. Exactement comme nous aujourd’hui, à ceci près que le système détruit l’héritage chaque jour un peu plus. Si donc c’est ça le vrai problème, la destruction de l’environnement, le concept de « générations futures » ne sert à rien. En revanche, l’on voit bien qui va effectuer le legs : ce ne sont pas les boomers sur le départ car pour eux c’est déjà fait, ce sont leurs enfants et petits-enfants. Il n’appartient donc qu’à ces derniers de faire cesser le scandale.

Les « anti-boomers » auraient raison si le déni des anciens était le seul défi à relever, mais l’on devine que c’est loin d’être le cas. Et que ce déni soit réel n’en fait pas pour autant LE big problème, ni une difficulté majeure. De plus, la polémique ne vise, comme toujours, que le versant consommation. Les boomers font des croisières à des coûts astronomiques pour l’environnement ? Qu’à cela ne tienne ! On envoie à la casse leurs paquebots de m***, (qui ne sont guère que des centres commerciaux flottants), et on leur donne des pédalos ! Comme c’est bien évidemment impossible à cause du financement international de ces gigantesques navires, il reste à prier les croisiéristes de bien vouloir se distraire autrement : voilà qui est logique et possible a priori, mais l’on ne sait pas comment les convaincre puisqu’ils sont dans le déni…

Pour une fois mal inspiré, Jancovici explique au début de la vidéo qu’il faudrait les « asticoter » sur le « terrain des valeurs », alors que les échanges ci-dessus montrent où cela mène, ce n’est pas joli-joli. Dame ! C’est qu’on ne touche pas aux « valeurs » sans anesthésie préalable de l’amour-propre, parce qu’elles sont ce à quoi chacun tient le plus, ce que l’on adopte avec ferveur dans sa jeunesse, à ce moment de la vie où l’on découvre le monde et que l’on s’y fait une place. Les valeurs de chacun parlent au nom du Bien, ça ne se transmute pas en Mal simplement parce qu’un énergumène vous le demande ! Elles se transmettent de père en fils et de mère en fille, et il relève du devoir de chacun de perpétuer cette transmission dans le bon sens : vers les descendants plutôt que les ascendants.

Les « vraies valeurs » sont autant de « sujets sensibles », (comme le droit à l’avortement), et l’on demande aux boomers de « se priver » : exactement ce qu’il ne faut pas leur demander. Se priver n’a jamais été une valeur pour personne : à l’exception des pratiques de jeûne et d’ascétisme qui relèvent de la spiritualité, ça n’a jamais existé dans l’histoire de l’humanité, et ça n’existe même pas dans la nature, les autres espèces ne se privant jamais de rien. En revanche, tout ce qui vit en ce bas monde est susceptible de subir, du fait des circonstances, un régime de privations plus ou moins sévère et de durée plus ou moins longue, et ce n’est pas une partie de plaisir : c’est de la souffrance, proportionnelle au niveau des privations, et quand elles sont trop fortes on en meurt.

Morale de l’histoire : si l’on pense qu’il faut brider la consommation des boomers, et bien qu’on le fasse, mais sans attendre leur accord qui ne viendra jamais. Notre conseil serait plutôt de laisser tomber ce « conflit générationnel » de pacotille, car les boomers n’en ont plus pour longtemps, dans dix ans ils seront quantité négligeable. Mais l’on pressent que leur disparition ne réglera rien, c’est ça le vrai problème !

Paris, le 30 mai 2022

1 Note supprimée.

2 Selon Wikipédia, la « prestigieuse » Université de Georgetown est à Washington.

3 En France, et d’après l’INSEE, les hommes aisés vivent en moyenne 13 ans de plus que les pauvres. Cf. La Tribune :: « Espérance de vie : des écarts considérables entre les riches et les pauvres ».

4 Notons en passant que si les « générations futures » sont faites d’humains et non-humains pour les écolos, elles ne comptent que des « consommateurs futurs » pour les capitalistes, ce qui ne présage rien de bon.


Illustration : citation-celebre.leparisien.fr/auteur/ambrose-bierce

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Permalien : https://onfoncedanslemur.wordpress.com/2022/05/30/de-lindeniable-deni-des-boomers/

2 commentaires sur “De l’indéniable déni des boomers

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  1. « si l’on pense qu’il faut brider la consommation des boomers, et bien qu’on le fasse ». Encore faut-il avoir le pouvoir ! Mais on en viendra rapidement à la purification par les flammes ne vous inquiétez pas et profitez de l’air tant qu’il est frais.

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  2. Il ne suffit pas d’être un boomer pour être dans le déni ! le conflit des générations est une foutaise …un jeune con finit généralement vieux con, des jeunes pas cons peuvent finir vieux cons mais pas tous. Au fait dans quelle catégorie se place le petit fils qui travaille dans le pétrole de notre papy actionnaire ? Effectivement les diverses « générations » ne sont pas responsables mais bien les décideurs, actionnaires et libéraux. Placer ce combat pour le futur sous l’éclairage conflit des générations est inepte. Je ne mettrai pas en balance le croisiériste (par définition vieux ?!) et ceux qui utilisent des jets privés (par définition pas vieux) pour leurs déplacements …le déni est pour tous même pour nos sympathiques manifestants devant total qui devaient avoir sur eux beaucoup de produits issus du pétrole (mais c’est spéculatif). Les boomers ne construisent pas le futur, ils ont fait le présent (pas beau)..et ils ne sont plus aux manettes depuis longtemps.
    Merci pour cet article qui met les pendules à l’heure

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