11 août 2023 – 1300 mots.
Fait personnel vécu que la science ne peut expliquer.
Voilà quarante-six ans que je conserve par-devers moi un fait avéré mais inexplicable, et d’habitude je déteste ce genre de trucs parce qu’ils sont relatés de façon bien trop vague pour qu’on puisse en conclure quoi que ce soit. Mais celui qui m’est arrivé n’est pas comme les autres, je peux en faire une description très précise, avec quelques détails saugrenus qui ne s’inventent pas, et cela fait des décennies que j’y repense, toujours de la même façon et sans jamais en parler, même à mon entourage. Pour moi qui suis doté d’un esprit scientifique et critique, qui ai souvent pris sur ce blog le parti du rationalisme contre la bêtise humaine, c’est une situation gênante, j’ai le modeste devoir de reconnaître que la science n’explique pas tout.
***
A l’époque, j’étais élève-ingénieur dans une école en région parisienne, et logeais sur le campus. Ma chambre était au rez-de-chaussée, elle disposait d’une baie vitrée d’où je pouvais voir l’entrée du bâtiment et les allées-venues de mes camarades, et à cause de cela je tenais les rideaux soigneusement fermés. L’événement se produisit à la mi-mai lors de ma deuxième année, et pendant que je me mettais au lit vers deux heures du matin : j’avais le genou gauche posé sur le lit, le pied droit encore sur le sol, les mains elles aussi posées sur le lit, quand une « image mentale » surgit dans ma tête. Elle s’imposa à ma conscience en dépit du fait que j’étais parfaitement éveillé, et que mes yeux me montraient un mur, un rideau, une couverture et mes mains, non cette « image mentale ». Ce n’était pas une hallucination mais quelque chose qui ressemblait à une image vue dans un rêve, et j’ai instantanément compris qu’elle pouvait persister à condition que je maintienne mon attention sur elle et ne fasse pas le moindre mouvement. Alors je me suis figé, et j’ai pu la contempler tout à loisir.
Elle me montrait une grande et haute église, de style gothique, comme si j’étais collé au plafond d’une voûte. Il n’y avait absolument personne, tout était gris, et j’avais l’impression de distinguer nettement les colonnes, ogives, vitraux et rangées de bancs. À la croisée du transept était disposé un « catafalque sans cercueil », c’est-à-dire une chose destinée à recevoir un cercueil, lequel se montrait donc négativement, par son absence. C’est tout cela que j’ai pu contempler, en me permettant même de me déplacer mentalement dans l’espace intérieur de cette église, et de changer de point de vue. Puis, réalisant que cette contemplation ne m’apporterait rien de plus, je me suis remis en mouvement, et l’image a disparu, pour ne plus revenir évidemment.
Le lendemain, au petit déjeuner pris à la cantine, je me suis installé en compagnie de mes camarades habituels mais sans leur adresser un mot, toutes mes pensées allaient à cet événement dont je tenais à ce qu’il soit vrai, parce que j’avais compris qu’il ne pouvait concerner que mon jumeau, un être trop précieux pour que je m’autorise à salir sa mémoire par l’oubli, l’erreur ou le mensonge. Le surgissement de l’image était un événement exceptionnel, et son contenu un message explicite : une église grise et vide, avec en son centre un « catafalque sans cercueil », c’est nettement un signe de mort, puisque c’est dans les églises que l’on célèbre traditionnellement des funérailles. L’image m’annonçait donc l’événement le plus grave qui soit concernant la personne la plus importante pour moi, autrement dit la mort de mon jumeau. Ensuite, j’ai rapidement cessé d’y penser car, si je pouvais être certain qu’elle le concernait, elle n’était pas pour autant une « information physique », elle me permettait seulement d’envisager la question de son trépas mais sans que je puisse en être certain. Il m’était aussi impossible de vérifier quoi que ce soit car il n’avait pas le téléphone, et je n’avais ni les noms ni les numéros de ses amis, collègues et employeur. La vraie information arriva vers la mi-juin, le lendemain de mon retour au domicile familial où je comptais passer quelques jours heureux avant un stage à Manosque : un appel de la gendarmerie nous apprit qu’il s’était fait happé par un train. Son corps avait été retrouvé un mois plus tôt, le 18 mai 1977, le jour-même où « l’image mentale » avait surgi, et la police d’Antibes avait eu besoin d’un mois pour parvenir à l’identifier. Il est évident que la science ne permet pas d’expliquer une telle coïncidence, mais en déduire qu’elle échappe aux lois scientifiques serait en faire un faux mystère et énoncer une vraie stupidité.
Précisions
Concrètement, il s’est passé quelque chose d’assez simple : au moment de me livrer à ce geste machinal qui consiste à se mettre au lit pour dormir, mon cerveau a fabriqué une image comme il peut le faire au cours d’un rêve, et l’a présentée à ma conscience qui se trouvait disponible pour la recevoir, alors qu’elle était auparavant absorbée par d’autres tâches. Et il a choisi son contenu afin de me permettre d’identifier sa raison d’être : le catafalque et l’église vides représentent un décès sans corps ni témoin, ce qui arrive dans beaucoup d’accidents, mais aussi sans cérémonie, ce qui ne pouvait arriver, parmi mon entourage, qu’à mon jumeau, parce qu’il était athée, très remonté contre mes parents et leur religion, et loin de toute la famille à Vallauris où il s’était installé depuis peu comme potier. Anéantis par cette perte très culpabilisante, (d’autant plus que l’hypothèse d’un suicide ne pouvait être exclue), mes parents ne furent pas en mesure d’organiser une cérémonie qui aurait dû réunir mes nombreux frères et sœurs dispersés en France, et qui aurait heurté aussi bien leurs principes religieux que l’athéisme revendiqué de mon jumeau. (Ils lui ont cependant édifié une tombe pour y transférer ses restes, mais je doute qu’ils aient requis la présence d’un prêtre, je pense qu’ils ont assisté seuls à cette opération trop lourde pour être partagée.)
Il n’y a donc rien de mystérieux dans l’image, rien qui relève d’une prémonition ou d’informations venues du futur, elle a été synthétisée par mon cerveau comme l’aurait fait une IA à laquelle on aurait appris tout ce que je savais moi-même, et qui aurait voulu me faire prendre conscience que mon jumeau était décédé. Mais comment mon cerveau pouvait-il le « savoir » ? C’est le seul et vrai mystère auquel on ne peut répondre que par des hypothèses aussi invérifiables les unes que les autres, car il met en jeu la physique et la biologie. Il importe de noter que, faute de connaissances sur le phénomène, l’existence d’un lien de causalité entre le fatal accident et l’apparition de l’image n’est qu’une hypothèse. On peut aussi envisager que les deux événements se soient produits à peu près en même temps, et indépendamment l’un de l’autre.
Enfin, pour parfaire la critique, il faut noter que rien ne prouve que cette image était porteuse d’un message, elle n’avait peut-être aucune signification. C’est en effet fort possible, mais dans ce cas, pourquoi aucune autre apparition du même genre ne s’est-elle jamais produite ? Si ce n’était qu’un phénomène psychique sans signification, ou seulement la réponse à une interrogation inconsciente, il aurait dû se reproduire de temps en temps.
Disons pour conclure que si aucune explication n’est possible dans l’état de l’art, rien n’interdit de s’amuser à faire des liens avec des théories connues. Je me livrerai peut-être à l’exercice dans un autre billet si ce sujet intéresse mon petit public.
EDIT le 15 septembre 2023 : Selon un acte notarié que je viens de retrouver, il est mort le 17, mais peut-être a-t-il été découvert vingt-quatre heures plus tard, on ne le saura jamais. Par contre, je suis certain d’avoir fait de gros efforts pour mémoriser le 18, car je ne suis pas doué pour retenir les dates et redoutais une confusion avec le 17, ce nombre ayant une position privilégiée dans ma mémoire depuis qu’un prof de maths à l’IUT le prenait toujours pour exemple numérique. Conséquence cocasse, cette précision ajoute de l’imprécision sous forme d’une journée intercalaire entre sa disparition physique et mon apparition mentale.
Permalien : https://onfoncedanslemur.wordpress.com/2023/08/11/mystere-gemellaire/
simple synchronisité, rapprochez vous des frangins
J’aimeAimé par 1 personne
C’est troublant, émouvant, pas un cas isolé…Bien qu’ancien, on prends part aux peines que vos avez ressentis lors de ce deuil
J’aimeJ’aime
Merci infiniment pour votre compassion. Le cas n’est pas isolé, certes, il faudrait que je cherche un peu sur le Net pour voir ce qu’il en est, ce que je ferai peut-être s’il m’en vient un jour la curiosité.
J’aimeJ’aime