La connerie comme non-sens

13 septembre – 1000 mots.

Sujet non anodin destiné à ceux qui ne veulent pas voir le monde qu’avec les yeux du système.

Ce billet prolonge le précédent à propos de la citation d’Elon Musk :

« Starlink n’a pas été conçu pour être impliqué dans les guerres. C’était pour que les gens puissent regarder Netflix et se détendre, se connecter à l’école et faire de bonnes choses pacifiques, pas des frappes de drones. »


Soutenir qu’Elon Musk est un gros con n’est pas chose facile, parce que le mot est considéré comme un synonyme vulgaire de la bêtise, et celle-ci comme un manque d’intelligence. Sur cette base, Elon Musk, ce surdoué dont les faits d’armes sont bien connus, qui fourmillent d’idées nouvelles trouvant leur réalisation longtemps après, (preuve qu’il voit loin), ne saurait être quelqu’un de bête. Certes, il n’est pas bête, loin de là, mais il est con comme un manche de pioche et le montre sans vergogne. Je ne suis pas seul à le penser, mais les autres disent seulement qu’il ne sait pas communiquer, ou qu’ils n’apprécient pas son comportement, ce que l’on peut vérifier en googlant : « elon musk tesla clients mécontents ».

Pour justifier mon jugement, je fais appel à ma subjectivité, (non à la valeur objective des propos de l’intéressé), et je définis la connerie comme expression du non-sens. Comme me l’a montré mon interlocuteur sur Facebook, la citation de Musk est « cohérente », mais c’est trivial de justifier Musk du point de vue de Musk, et trivial d’expliciter les tenants et aboutissants du monsieur qui sont ceux de tout capitaliste, pour finalement le décrire en « électron libre », (comme tout entrepreneur qui ne se reconnaît aucune responsabilité sociale ni politique1). Tout ça est archiconnu donc sans intérêt dans le cadre de cette discussion.

Par contre, la critique que m’a adressée cet internaute est fort intéressante, car elle s’oppose à ma philosophie. Il me dit que cette réalité où baigne Elon Musk me « déplaît » et que je juge dans mon « propre référentiel » que je crois « universel ». Il a raison pour ce qui est du « référentiel », mais comment peut-il savoir ce qui me déplaît et ce que je crois ? Mon « référentiel » n’est pas « universel » mais totalement personnel, et c’est bien pourquoi je m’autorise à penser que Musk est un gros con, alors que tout le monde, selon le référentiel universel d’aujourd’hui, sait que c’est un type hyper-intelligent, donc pas bête du tout, de sorte que personne ne le soupçonne de dire des conneries. Alors, comment se fait-il qu’il y ait tant de « mécontents » d’Elon Musk parmi les propriétaires de Tesla ? La réponse est facile : parce qu’ils le jugent comme moi selon leur « propre référentiel », mais sans oser dire que c’est un gros con, parce qu’ils redoutent les mots grossiers, et ça les gênerait de se l’avouer franchement. Je soupçonne chez eux de la « dissonance cognitive », car se flatter d’être le proprio d’une voiture coûteuse que l’on peut juger géniale, et découvrir ensuite que son concepteur de génie professe des opinions que l’on peut juger débiles, ça ne va pas ensemble.

En me rappelant à la réalité objective des faits, (ceux d’un capitalisme « débridé » dans le cadre duquel « tout s’explique »), mon interlocuteur m’adresse une leçon amusante de philosophie, à savoir que mon point de vue personnel et subjectif, exposé dans « De l’abyssale stupidité de Monsieur Musk », serait faux, sans valeur et sans intérêt, d’où son ardeur à me critiquer. Il faut dire que nous sommes habitués à considérer tout point de vue subjectif comme douteux, car ils sont le plus souvent contraires aux faits.2 Mais mon interlocuteur, qui prétend m’avoir « bien compris », n’a pas réalisé que mon argumentation est raisonnable à défaut d’être rationnelle, car mes arguments sont explicites et peuvent être contestés. Les voici à nouveau, présentés de façon un peu différente :

  • Hyper-intelligence du bonhomme : ne colle pas avec l’hyper-banalité de la citation. A comparer à Lloyd Blankfein, l’ex-patron de Goldman Sachs qui avait dit : « Je fais le travail de Dieu. » C’est mégalo mais ni banal ni stupide, et ça colle bien avec le personnage.
  • « faire de bonnes choses pacifiques, pas des frappes de drones » : laisse entendre, d’une part, que l’on a toujours le choix alors que les Ukrainiens ont été contraints de faire la guerre ; d’autre part que la guerre c’est (toujours) mal et le pacifisme (toujours) bien. Musk se situe sur le plan de la morale, et se montre aveugle aux réalités du terrain.
  • Faire le bien, c’est faire en sorte « que les gens puissent regarder Netflix et se détendre » : conception bassement matérialiste, intéressée, hypocrite, mesquine, et enfin cynique pour les hommes qui meurent dans les tranchées, donc incompatible avec la hauteur de vue morale sous-entendue par le sens global de la citation. Et de la part d’un bonhomme qui prétend sauver l’humanité par la colonisation de Mars, ça laisse songeur…
  • « Pour se connecter à l’école » : quand des gosses peuvent aller à l’école, ils n’ont pas besoin de son réseau, et quand ils ne le peuvent pas, ce n’est pas que son réseau leur manque.

En résumé, cette citation est un tel tissu de contradictions qu’il ne lui reste rien de sensé, rien d’acceptable pour qui sait comprendre, c’est-à-dire « prendre ensemble » ses mots et des faits que l’on peut raisonnablement invoquer à leur lecture. Pour mon interlocuteur, ces mots cadrent bien avec la logique du système, donc Musk est « cohérent » et pas con, mais pour moi ils font penser à des réalités tellement contraires à l’intention de leur auteur que celui-ci ne peut m’apparaître que comme un gros con, c’est-à-dire une personne qui dit des conneries, des phrases dépourvues de sens. Du non-sens, donc, mais qui ne fait pas rire.

Cela dit, si l’on tient à ne voir et s’expliquer le monde que par référence au point de vue objectif, celui qui fonde toute la logique du système, c’est le droit le plus strict de chacun. Je signale seulement, qu’en pays démocratique, rien ni personne ne peut y être obligé, sauf par sa propre force de conviction.

1 Responsabilité des entreprises : voir le cas France Télécom dans « Le capitalisme »


Sujet connexe : Effondrement et connerie du système

Illustration : site Bescherelle ta mère : « La connerie a souvent tendance à retentir »

Permalien : https://onfoncedanslemur.wordpress.com/2023/09/13/la-connerie-comme-non-sens/

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.

Créez un site ou un blog sur WordPress.com

Retour en haut ↑