Perdu dans les sables

Pourquoi le rapport Meadows s’est-il « perdu dans les sables » ? (Selon la jolie expression de JM Jancovici.) C’est la question la plus importante qui soit dans un contexte où il est si facile de dire : « l’on savait mais l’on n’a rien fait ». Dans cette vidéo, « Jancovici sur Meadows et le Club de Rome », extraite de sa conférence « A quand la rupture énergétique ? », Jancovici explique pourquoi en réponse à la question d’une auditrice. Un petit rappel s’impose avant de l’exposer.

Dans l’un de mes premiers billet, « Petite histoire du rapport Meadows », je reprends simplement un article de Reporterre.net qui expliquait à la fois le retentissement qu’eut ce rapport, et sa critique non moins retentissante, surtout par des économistes, et sur des bases politiques. A ne s’en tenir qu’à ce point de vue, l’on en vient vite à penser qu’il fut victime d’un malentendu, si ce n’est d’une avalanche de malentendus, à en juger aux considérations qui s’entremêlaient dans le plus grand désordre : stopper la croissance, « surpopulation », développement des pays « sous-développés », domination américaine, inégalités, etc. Autant de considérations d’où le cœur du message, l’énergie et la pollution, était absent… Aujourd’hui, il est extraordinaire de découvrir que l’explication de Jancovici vient en quelque sorte coiffer et confirmer l’inanité des débats de l’époque, et pourquoi ceux-ci n’ont produit que ce « développement durable » désormais mis à toutes les sauces.

Jancovici commence son explication en qualifiant de « brillantissime » ce rapport Meadows qui aurait dû (à mon humble avis) stupéfier le monde, si grande était sa nouveauté et sa puissance explicative. Il reconnaît qu’il a été largement médiatisé, cite le chiffre de 20 millions d’exemplaires, et, ne s’arrêtant pas sur les débats de l’époque, pose la cruciale question suivante, à 5’45 : « Pourquoi est-ce que Meadows n’a pas engendré une école académique ? » C’était en effet le seul moyen de pérenniser ses travaux, avec l’espoir d’orienter la pensée économique sur des bases énergétiques. Et la réponse tombe : « Meadows n’avait pas de clients ! » En effet, explique Jancovici, une école économique ne pouvant exister sans financement, il lui faut des créanciers, et ceux-ci ne peuvent se manifester que si le sujet de vos recherches les intéressent, c’est-à-dire s’ils peuvent en faire quelque chose. Malheureusement, l’approche de Meadows et son équipe du MIT se situant à l’échelle planétaire, et la planète n’ayant pas de propriétaires, ses résultats ne pouvaient motiver aucun entrepreneur, donc aucun financier (et aucune université).

Cette explication limpide et terre-à-terre, dépourvue de toute considération oiseuse ou alambiquée, une triviale explication par absence de débouchés, confirme que les débats de l’époque ne pouvaient que s’enliser. A l’inverse, le néolibéralisme, complètement foireux sur le plan théorique mais d’une incontestable utilité pratique pour les entreprises capitalistes, a motivé le financement à long terme de quantités de « think tanks », au point de devenir la réalité unique qui s’étale depuis des lustres dans tous les médias mainstream.

Avec cette explication, nous sommes au cœur du système, nous le touchons du doigt : l’on vérifie qu’il est globalement en évolution mais dépourvu de régulation, faute de maîtres. Il n’a que des serviteurs zélés, et d’autant plus zélés qu’ils sont puissants : il influent sur son évolution dans le sens de leurs intérêts, mais sont tout à fait impuissants à le réguler. Il est donc faux de dire « l’on savait mais l’on n’a rien fait » : l’on a fait beaucoup de choses au contraire, mais le système joue constamment en sa faveur, et à la fin c’est toujours lui qui gagne…

Paris, le 15 décembre 2017


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Illustration : Alain Musset

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