Dans le langage courant, le mot « système » semble à la fois désigner une sorte de puissance tutélaire (et maléfique) contre laquelle on ne peut rien, et servir de panacée explicative pour les paresseux. Il n’en a pas moins une existence bien réelle décrite dans le billet intitulé « Le fameux système » qui en esquisse l’anatomie, les règles de fonctionnement et quelques uns de ses « effets systémiques », dont la « production de légalité ». L’ensemble du système forme un puzzle qui couvrirait la planète à la façon du logo de Wikipédia, et dont il est impossible de retirer une pièce sans risquer de le voir voler en éclats.
C’est une entité à vrai dire bien étrange, ce « système » que beaucoup voudraient changer pour le rendre plus humain, ou plus respectueux de l’environnement, ou nous faire éviter des changements climatiques qui promettent d’être catastrophiques. Malheureusement, il change en permanence pour assurer… sa permanence ! Même s’il venait à s’effondrer demain, il se reconfigurerait rapidement, car il n’est finalement rien d’autre que ce que produit l’espèce humaine, notre « fourmilière commune » en quelque sorte. Dominé par le capitalisme anglo-saxon depuis la fin de la 2nde GM, il va probablement passer sous la coupe de Pékin dans les décennies qui viennent. Auparavant, ce fut le tour de l’Europe colonialiste succédant au monde chrétien, lui-même héritier de l’Empire romain d’Occident. Ainsi, des vagues de « mondialisation » ont depuis toujours « déferlé » sur la planète, d’une certaine manière ce n’est pas nouveau : la « néolithisation » pourrait avoir été l’une d’entre elles, après des mouvements migratoires beaucoup plus anciens partis d’Afrique.
Cette façon fataliste d’aborder le système ne peut être que désespérante pour des militants pressés d’aboutir à des résultats concrets, mais elle ne préjuge pas les mérites de l’action, et reflète tout simplement la réalité. C’est peut-être parce qu’il a toujours existé que nous ne pouvons le reconnaître dans ses formes les plus archaïques. Mais quand nous brûlons du charbon, n’est-ce pas encore de la hardiesse de nos ancêtres dont nous profitons, eux qui surent dominer leur peur pour parvenir à la maîtrise du feu ?
Seules les sociétés sans État, où les chefs n’avaient qu’un pouvoir symbolique, sont restées en marge de ce système qui n’en finit pas d’accumuler les progrès techniques. En leur faisant subir une sélection artificielle qui n’a rien à envier à son pendant naturel, (celle de Darwin, qui a fait plus que prouver son efficacité), le système manifeste une robustesse à toute épreuve. Il survivra à la fin du pétrole, même si c’est en claudiquant, même s’il doit ravaler son sens des grandeurs et restreindre toujours plus le nombre de ses bénéficiaires : parce qu’il est le lieu d’une évolution, c’est-à-dire d’un « processus continu de transformation » que chaque acteur influence peu ou prou selon son importance et sa position, mais dont la direction générale est incontrôlable et imprévisible. Il est bien connu qu’il récupère tout : à le voir aujourd’hui plongé dans la « transition énergétique », un objectif initié par ces oiseaux de mauvais augures que sont les spécialistes du climat, l’on peut parier qu’un jour il investira l’agriculture bio et la permaculture.
N’importe quel militant sait fort bien, et avec raison, que l’agriculture bio et la permaculture ont un avenir tout tracé devant eux, et que les pionniers d’aujourd’hui seront coutumiers demain. Il n’est donc pas vain, loin de là, de lutter et résister « contre le système », mais dans un sens qui ne doit pas faire perdre de vue qu’il en vient à tout corrompre. L’agriculture bio de demain ne ressemblera sûrement pas à celle des pionniers, parce que l’indécrottable culture du profit aura fait aussi son œuvre. Le système se transforme lui-même en dénaturant tout ce qu’il aspire : dans ses tuyaux, l’esprit des pionniers se fait vaporiser et disparaît. L’histoire de l’aviation le montre bien : les meilleurs pilotes à ses débuts étaient des casse-cous réfractaires à la discipline, les meilleurs d’aujourd’hui sont quasiment des VRP du système. Les premiers chrétiens ont fait bien plus fort : alors qu’ils préféraient mourir plutôt que de se compromettre avec les pouvoirs civils et militaires, ils considérèrent ceux-ci comme l’émanation de leur dieu aussitôt après la conversion de l’empereur Constantin, et celui-ci maintint le culte de l’empereur qui faisait de lui une divinité !1
Dorénavant, comme le montrent à l’évidence les portables, les ordinateurs géants et l’intelligence artificielle, le seul dieu unique qui existe vraiment s’appelle le calcul, et l’on peut dire que des pierres taillées furent les premières mémoires externes de l’espèce humaine. En ce sens, le système est absolument increvable. L’on ne peut guère lui opposer qu’un esprit de résistance qu’il appartient à chacun de faire vivre selon ses moyens.
Paris, le 14 décembre 2017
1 Lire à ce sujet Ramsay MacMullen, surtout pas Paul Veyne.
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