La raison et l’esprit

Il faudrait s’en remettre au pouvoir de création de l’esprit, mais…


Les nouvelles témoignant d’une effervescence éditoriale sur le thème de l’effondrement1 continuent d’affluer. Citons en vrac :

  • Cet article de Reporterre.net avec lequel nous sommes largement d’accord : « Pourquoi le drame écologique mobilise-t-il si peu ? »
  • Plusieurs posts de JM Jancovici sur Facebook, dont :
    • Un excellent podcast de 38′ sur France Culture, qui alterne, chose rarissime, questions pertinentes et réponses pertinentes.
    • Une citation du Monde : Une « marche pour le climat » rencontre un succès inattendu sur Facebook grâce à l’« effet Hulot »
    • La citation d’un très bref article du site Ulyces : « Des scientifiques avertissent les Nations unies de la chute imminente du capitalisme ».

Même si, par hypothèse, cette effervescence est vouée à disparaître comme celle du cachet dans un verre d’eau, elle a de quoi réchauffer le cœur des militants qui se battent sur le terrain et loin des caméras. Mais elle ne nous fera pas dévier d’un pouce de notre « ligne éditoriale » empreinte de son « pessimisme radical ». Essayons d’expliquer pourquoi.

Il est incontestable que tous ces événements vont dans le bon sens, et qu’ils montrent que des solutions sont possibles, par exemple ces « Trois mesures pour sortir du désastre écologique » publiées par Le Monde, (et citées par JM Jancovici, encore et toujours). Cependant, nous considérons que ce mouvement devrait être inspiré par « l’esprit », c’est-à-dire être profondément motivé, non par cette raison calculatoire de laquelle on a pris l’habitude d’escompter une certaine efficacité, mais par la « gratuité », la « créativité », un souci d’« élévation », par un « quelque chose » ou un « pourquoi pas » inconnus et indiscernables mais propres à « ouvrir » la société sur un « autre monde », un peu comme les artistes font surgir d’inutiles mais impensables créations2.

Nulle considération métaphysique dans ce point de vue strictement personnel, nul emprunt à un charlatanisme ou charabia « New Age » et nulle référence à une spiritualité religieuse inavouée. C’est seulement la conséquence logique du fait que, rien ne pouvant garantir l’efficacité et la réussite à (très) long terme, la raison calculatoire ne saurait être le moteur de l’action comme au bon vieux temps du « Discours de la méthode ». La raison reste indispensable comme guide pragmatique, comme un fleuve impose ses méandres aux bateliers, mais elle est inefficace pour motiver la société à sortir des sentiers battus. Miser sur « la raison », c’est-à-dire sur des schémas intellectuels prédéfinis, (et « vieux comme Hérode » dans l’appel d’Aurélien Barrau), c’est se condamner à tourner en rond dans le désert comme Dupont et Dupond.

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« Il nous faut absolument arriver quelque part, sans quoi… » : n’est-ce pas le même présupposé que celui qui préside à l’effervescence actuelle autour de l’effondrement ? Ensuite : « Les traces d’une voiture… », c’est-à-dire des traces laissées par « la raison » (du passé) dont on attend qu’elles conduisent en un lieu marqué du sceau de la même raison. Mais un peu plus tard :

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L’exclamation : « c’est tout simplement magnifique » de Dupond3 illustre à merveille la foi, l’aveuglement, l’optimisme béat de cette « intelligentsia » qui, se posant en « gardienne » de « nos valeurs », « exige » que le « pouvoir politique » prenne « enfin » ses « responsabilités » et des « décisions politiques drastiques » (mais « impopulaires »), etc. C’est bien sûr complètement ridicule.

Cela dit, la raison ne pouvant plus motiver l’action, (à l’échelle de la communauté), à quel « combustible » se vouer ? Il ne reste que « l’esprit », seul moyen d’imaginer « le possible » comme un potentiel à explorer. Mais un potentiel résolument « vide » au départ, un espace vierge de toutes traces, un inconnu absolu, (par définition rétif aux probabilités), comme un troglodyte imaginant, du fond de sa grotte, une sortie vers un monde jamais vu ni parcouru. L’on comprend bien que ce qui pourrait surgir de ce « potentiel », (au demeurant inspiré de la boîte noire du « chat de Schrödinger »), est susceptible de choquer profondément les pouvoirs en place, et qu’ils feront tout pour s’y opposer. Pour l’heure, l’effervescence médiatique n’est que « matière première » pour les médias, un sujet comme un autre pour faire de l’audience, mais, comme on l’a vu avec Notre-Dame-des-Landes, ils se dresseraient comme un seul homme contre toute initiative susceptible d’avoir des conséquences vraiment nouvelles. Si « l’esprit » peut imaginer qu’il sorte un lapin de la boîte de Schrödinger où l’on n’a enfermé qu’un chat, pour les pouvoirs en place, dépositaires de la raison raisonnable, il ne saurait en sortir que le même chat.

Que l’on se comprenne bien : il ne s’agit nullement de justifier a priori n’importe quelle loufoquerie, seulement de descendre au niveau du mode de fonctionnement des mots et des connaissances. Il semble bien que l’on parle de « changer de modèle » ou de « paradigme » sans vraiment penser ni peser ce que cela implique. Il faut bien voir aussi que « le système » est d’une habilité diabolique à faire pleuvoir des « nouveautés » dans tous les domaines, (comme cette « ferme laitière flottante »), mais qu’il est tout aussi diabolique pour contrer n’importe quelles « vraies nouveautés ». Mais quelle différence entres les unes et les autres ? C’est simplement que les « vraies », étant hors de « la raison » dominante, vont être déclarées absurdes, néfastes, dangereuses, ridicules, etc. Ainsi, au lieu de constater que la ZAD de NDDL présentait une « vraie nouveauté », contraignant l’État à faire évoluer son droit pour la rendre légale et acceptable, la gente politique n’a voulu y voir qu’une « atteinte intolérable » à « l’Autorité de l’État », et a « exigé » du « pouvoir politique » qu’il restaure de toute urgence cette Autorité dont il a été rappelé qu’il n’était que le « dépositaire ».

Bref, nous avons beau convoquer les « forces de l’esprit », il est peu probable qu’à l’avenir elles prennent le dessus, et très probable que l’humanité continuera de creuser le même sillon, comme le Colorado creuse son lit depuis des millions d’années. D’où le pessimisme.

Paris, le 7 septembre 2018

1 Voir aussi l’intro de « Pire que tout ce qu’on peut imaginer ».

2 Cela dit en faisant abstraction de toutes les c*** que certains artistes peuvent produire. Pour cet aspect des choses, voir avec Madame la ministre de la Culture.

3 C’est celui qui conduit et s’adresse à l’autre en disant « Dupont » : il s’agit donc de Dupond.


Illustration : tmbpitw.blogspot.com

Les images de la BD ont été prises sur le site : http://nelly.bourlion.free.fr/page_3/page_3_2.htm

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