L’étude du Lancet était bidon

Esprit scientifique et émotion populaire. On ne peut rien affirmer sans preuve.


Ils l’ont fait ! Ah les enf*** ! Nous parlons bien sûr de l’étude du Lancet et de sa sœur du New England Journal of Medicine dont nous savons désormais qu’elles sont bidonnées, (même Le Monde en parle), et donc que le petit père Raoult avait raison (sur ce point). On ne s’en étonne pas trop et, pour tout dire, on s’y attendait un peu. Un billet (supprimé) commençait d’ailleurs ainsi :

« Les fans de Raoult s’en donnent à cœur joie pour taper sur cette étude du Lancet qui est probablement trafiquée. C’est du moins ce qu’ils nous disent, et nous n’irons pas les traiter d’imbéciles ni d’esprits faibles parce qu’ils le croient. »

Nous avions trouvé amusant d’attribuer le soupçon à nos adversaires, alors qu’il était bien présent dans notre esprit. Mais il nous était impossible de le prendre en compte, car il n’entre pas dans nos habitudes de fonder nos propos sur des soupçons, aussi raisonnables soient-ils. (Nous laissons volontiers ce genre d’exercice aux « complotistes ».) En toute rigueur, il eût été préférable de ne pas la citer, (et encore moins d’en prendre la défense comme nous l’avons fait), mais cette étude avait le grand mérite de montrer comment la science fonctionne : à grands renforts d’études contradictoires, qu’elles soient bidonnées ou non, ce qui interdit de vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué. Elle présente désormais l’avantage de montrer que la science est instrumentalisée par les pouvoirs dominants.

Maintenant que trois des quatre auteurs ont retiré leur signature du Lancet, en avouant qu’eux-mêmes n’ont pas pu accéder aux données brutes, la preuve est faite que cette étude était un faux. Le B A BA du travail, quand des données vous sont servies sur un plateau, c’est quand même de vérifier leur qualité. Pour nous, dont le job d’informaticien consistait à vérifier toutes choses deux fois plutôt qu’une, n’avoir pas fait de vérifications est inadmissible. Les auteurs semblent avoir fait confiance dans la société Surgisphere, mais, compte tenu des enjeux financiers et médiatiques, cela relève du délit intellectuel et de la corruption, car ils ont été payés pour leur signature alors qu’ils pouvaient raisonnablement soupçonner une manipulation.

Mais c’est le même défaut qui était reproché à Raoult, lui qui avait proclamé l’efficacité de la chloroquine sur la base d’une étude chinoise de pharmacologie vide de données, au prétexte que l’on pouvait « faire confiance » aux Chinois qui ont « les meilleurs virologues du monde ». Ses intentions étant les meilleures du monde, – répondre à l’urgence et soigner des patients -, Raoult n’entre pas dans la catégorie des enf***, mais cela ne suffit pas à le racheter à nos yeux, parce que lui aussi s’est vanté sans preuves. Et il a fait bien pire : sous couvert d’urgence et d’éthique, il a proclamé que l’on n’en avait pas besoin, il a dit des choses du genre : « les études randomisées, c’est rien que des c*** », ça ne marche pas, et la chloroquine ne présente aucun risque. Mais rien ne l’obligeait à « faire péter les dogmes », et ce n’était pas le moment : devant un immeuble en flammes, les pompiers ne commencent pas leur travail en dénigrant l’architecte. Le traitement de Raoult était donc a priori acceptable, mais il aurait dû reconnaître qu’il n’avait aucune preuve de son efficacité, et que c’était un risque à courir, non un remède miracle. Un tel message aurait été fort bien entendu, tant par la population que le gouvernement, parce qu’il est raisonnable et non prétentieux. (Mais il n’aurait pas été aussi efficace pour le buzz, on ne peut pas tout avoir.)

Le franc-tireur a donc piétiné en paroles « l’esprit scientifique », et ses adversaires l’ont fait en actes. La science et « l’esprit scientifique » ne vont pas en sortir grandis, alors même que la révélation du scandale constitue la preuve que l’on ne peut rien affirmer sans preuves, ce qui valide, sinon la science, du moins « l’esprit scientifique ». Selon nous, ce dernier est aussi précieux que « l’esprit de justice » qui anime celles et ceux qui manifestent contre les violences policières, et autres injustices intolérables. Malheureusement, il y a tout lieu de craindre que « l’esprit scientifique » ne soit pas la tasse de thé des « réseaux sociaux », et que ceux-ci lui préfèrent « l’esprit populiste » à en juger à la « shitstorm » essuyée par un journaliste de France Culture. Cet « esprit populiste » tranche toute question à grands coups de cœur, de tête et de gueule, et en vient volontiers aux menaces de mort quand on n’est pas de son avis. Derrière leurs écrans, les internautes ne coupent pas encore les têtes, mais la foi dont ils investissent « électivement » certaines personnes publiques, pour jeter l’anathème sur d’autres, a quelque chose d’abominable qui n’est pas sans rappeler le sort notoire du Chevalier de La Barre, décapité pour n’avoir pas salué une procession religieuse.

Après que des caméras ont filmé les longues minutes de la mise à mort d’un homme par un flic, on n’attend évidemment pas d’avoir d’autres preuves pour crier à l’injustice, et l’on joint sans hésiter sa voix au concert des protestations. Ne pas agir ainsi, c’est se rendre coupable de complicité morale avec le meurtrier. Mais s’agissant de « l’efficacité de l’hydroxychloroquine », dont il est tout aussi évident que le commun des mortels n’en peut rien savoir, pas plus que les spécialistes du fait que les études sur le coronavirus ont à peine commencé, aucune preuve ne peut être avancée. C’est pourquoi le même comportement grégaire et mimétique des « réseaux sociaux », s’il est louable dans le premier cas, est odieux dans le second, d’autant plus qu’il crache sur la seule chose qui puisse le freiner : « l’esprit scientifique ». C’en est ubuesque à souhait quand on pense que cet « esprit scientifique », qui chez la plupart « en touche une sans faire bouger l’autre », est au fondement de la justice dont on attend que les verdicts soient fondés sur des preuves, cette justice pour laquelle les mêmes « réseaux sociaux » protestent massivement.

Si la science « prescriptive » est exécrable dans les mains des pouvoirs dominants, (on lui doit toutes les tares du système), elle découle cependant de cet « esprit scientifique » que nous n’avons de cesse de défendre. C’est pourquoi le « phénomène Raoult » n’augure rien de bon. Qu’une personnalité dans son genre surgisse dans le paysage politique, elle pourrait fort bien, le système continuant de se déglinguer, s’emparer du pouvoir et provoquer cette « révolution » que nos amis Le Yéti et Frédéric Lordon appellent de leurs vœux, mais dont l’orientation ne serait évidemment pas conforme à leurs attentes. Parce qu’à condamner la science comme l’a fait ce « héros du peuple », en jetant le bébé avec l’eau du bain, l’esprit de justice comme l’esprit scientifique finiraient étouffés sous le poids des émotions populaires. Et ce ne serait pas mieux qu’avant, parce que « le peuple » est plein de ces ventriloques qui s’empresseraient de le faire parler dans le sens de leurs intérêts.

Paris, le 5 juin 2020


Illustration : « La démarche scientifique »

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3 commentaires sur “L’étude du Lancet était bidon

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  1. Je croyais être un lecteur régulier de votre blog et je constate que j’avais raté ce super post important. C’est dommage car il éclaire vos réflexions et me fait moi même me poser calmement pour réfléchir encore et encore, donc encore merci de partager vos pensées, c’est vraiment utile pour réfléchir un pas plus loin.

    Sortir la preuve est certainement l’acte ultime et j’espérerai comme vous que l’un d’entre nous sache à chaque fois sortir ce diamant de sa gangue à chaque fois que nous doutons.

    La preuve est impossible dans l’immense majorité de nos décisions malheureusement, franchement c’est nul. Je voudrais qu’il y ait des preuves. las.

    Nous devons prendre des décisions sans preuve en évitant d’être de sombre crétins, crétines. C’est horrible comme situation pour moi.

    Je me suis alors contraint à créer alors un référent au dessus que j’appelle « valeurs » qui me permettent de trier, classer chaque doute pour le mettre en dessous ou au dessus de ceci et cela et d’aider à la prise de décisions pour orienter ma vie.

    L’ensemble de ces valeurs réunit pourrait s’appeler « sens de ma vie » pour certains, « spiritualités » pour d’autres, vision politique pour les combattants

    enfin je crois que vous voyez ce que je tente de dire j’espère. bien à vous.

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    1. Vous vous posez manifestement beaucoup de questions pour conduire votre vie, et c’est tout à votre honneur, mais je ne peux rien dire de plus à ce sujet. Pour le reste, je suis d’accord, on doit ou devrait « prendre des décisions sans preuve ». C’était particulièrement crucial pour le climat : on aurait dû décider beaucoup plus tôt de s’abstenir de brûler plus d’énergies fossiles bien que les preuves (évidentes) qu’il se réchaufferait trop n’étaient pas là. On était averti depuis longtemps, mais les climatologues n’avaient que des calculs : pouvait-on considérer dès les années 70 que leurs résultats étaient des preuves ? En principe oui, (si on a confiance dans « la science »), mais pour les humains ordinaires, qui ont besoin de voir pour croire, qui ont besoin d’être touchés émotionnellement, ces calculs ne prouvaient rien. Maintenant que les catastrophes s’enchaînent, les preuves sont là, mais il y a tout lieu de craindre qu’il ne soit trop tard.

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