Peut-on prétendre « dire la vérité au peuple » et publier de grossières contre-vérités scientifiques ?
Dans le billet précédent, nous avons analysé une vidéo postée sur Facebook par Le Marginal, un groupe qui revendique « la vérité » dans son identifiant : « speak the truth to people ». Et il apparaît que ladite vidéo piétine allègrement la vérité scientifique : peut-on expliquer cette contradiction ? Un proche a répondu à notre billet que c’est « vérité contre vérité », comme on dit « parole contre parole » dans un litige opposant la police à un citoyen :
« Vérité, contre vérité, ce petit jeu m’a lassé depuis longtemps car chacun, et tu en fais amplement partie, puisque tu cherches à convaincre que ta vérité serait plus véritable que celle d’un autre contradicteur, se perd intellectuellement. »1
Ce proche qui parle ainsi n’a pas compris, et ne veut probablement pas le savoir, que « la vérité scientifique » n’est pas de même nature que « la vérité » tout court. Quand on se réfère à « la science », les mots ont une portée bien précise que le langage commun ignore. En langue vernaculaire, « dire la vérité » signifie « ne pas mentir », ou affirmer une foi religieuse. Ce peut être aussi dire une « vérité philosophique », mais dans ce cas il est vain de l’opposer à la vérité scientifique. La philosophie déploie un discours libre qui n’est pas tenu de faire référence à « la science ». Elle peut la contredire mais, étant libre, elle ne peut pas prétendre réfuter une vérité scientifique : seule « la science » en a le pouvoir.
Quand on prétend « dire la vérité au peuple », cette vérité s’entend donc comme opposition au mensonge, mais aussi comme révélation des mensonges des autres. Il faut être naïf pour imaginer qu’elle puisse être d’ordre philosophique ou religieux, sinon elle est biaisée et il y a déjà tromperie sur la marchandise, car c’est à la vérité des faits que l’identifiant du Marginal fait allusion. On en déduit que celui qui prétend « dire la vérité au peuple » devrait s’abstenir de tous mensonges factuels, et, le voyant publier une vidéo qui nie la vérité scientifique, on en déduit que selon lui « la science » nous « ment ».
Seulement voilà, c’est impossible, « la science » ne peut pas mentir, car ce qu’on appelle « la vérité des faits » ne peut être connue que par elle et selon ses méthodes. Il n’y a qu’une manière de nier un fait scientifique : lui opposer un autre fait scientifique en contradiction, (ce que la généticienne de la vidéo ne fait pas), de sorte que, quand une vérité scientifique se révèle fausse, elle se fait remplacer par une autre vérité scientifique. C’est assez cocasse quand on y pense : l’immobilité des continents était autrefois une vérité scientifique, mais aujourd’hui leur mouvement est encore une vérité scientifique ! En fait « la science » dit toujours « la vérité », car ce n’est que la sienne. On n’y peut rien, c’est comme ça depuis des siècles, personne n’a découvert d’autres méthodes pour connaître « les faits ». Ses vérités pouvant être réfutées, elle sont provisoires et incertaines, surtout quand elle s’aventure à expliquer des phénomènes complexes, ou à décrire une réalité qui exige des statistiques.
Donc « la science » ne ment pas et n’a pas vocation à « dire la vérité au peuple », seulement à dire « les faits » à qui veut bien l’écouter : elle ne s’adresse à personne en particulier et à tout le monde de façon générale. C’est pourquoi la vérité scientifique n’est pas « plus véritable que celle d’un autre contradicteur » : elle est première, ce qui est très différent. Une « vérité première », c’est ce qu’on nomme une donnée : quelque chose qui résulte de l’observation, ou découle de calculs et de raisonnements scientifiques. Si ce que l’on prétend être une « vérité » contredit une donnée de « la science », alors c’est un mensonge ou une erreur. Par exemple, quand madame Alexandra Henrion-Caude affirme que « les vaccins à ARN pourraient avoir des effets génotoxiques », elle fait croire à une hypothèse digne d’intérêt qu’on aurait négligé de prendre en considération, alors qu’en réalité aucune donnée scientifique ne justifie qu’on prenne cette idée au sérieux, et elle le sait : c’est donc elle qui ment, pas « la science ».2
Bien comprendre que nous ne sommes pas un VRP de « la science », nous n’avons rien à vendre ni à sauver, seulement le tort (?) de nous « exciter », (dixit notre contradicteur), devant les prétentieux et les menteurs, deux catégories de personnages exécrables, (surtout les premiers), d’autant plus que nous comptons dans leurs rangs les promoteurs historiques du capitalisme. Nous ne sommes pas non plus le VRP d’une « vision scientifique » du monde, vision qui pourrait être contestable et détestable : c’est seulement qu’on ne supporte pas les menteurs, ceux qui prétendent « dire la vérité au peuple » et qui propagent des mensonges éhontés. Et nous mettons en garde les militants trop prompts à dénigrer « la science » : leurs adversaires ont tout à y gagner, car elle ne parle pas seulement physique, chimie et médecine, mais aussi histoire, géographie, climatologie, écologie, anthropologie, sociologie, psychologie et éthologie, autant de disciplines dont lesdits adversaires ne demanderaient pas mieux qu’elles se fassent oublier, parce qu’elles fournissent les meilleures bases possibles pour contester les instances du pouvoir. Mais si l’on pense, à l’inverse, qu’une contestation fondée sur des mensonges aurait plus de potentiel ou d’efficacité, alors oui, évidemment, notre discours est inutile.
Quelle que soit la philosophie personnelle que l’on peut avoir, rien ne justifie de nier les données scientifiques, puisqu’elles sont autant de « vérités premières ». On peut les ignorer ou déplorer qu’elles soient trop souvent exploitées à des fins dépourvues d’éthique, mais l’on ne peut pas les nier sans faire appel à « la science » elle-même, c’est-à-dire sans prouver qu’elles sont fausses. Donc oui, on peut douter des vaccins et en avoir peur à cause des scandales sanitaires qui défraient la chronique, mais cela n’autorise pas à crier au scandale avant qu’il n’advienne, ni à les confondre avec les stratégies vaccinales du gouvernement, ni à inventer des mensonges pour inspirer une peur injustifiée.
Prétendre « dire la vérité au peuple » et nier des données scientifiques, ce n’est pas permis. Les gens qui font ça sont impardonnables pour trois raisons majeures :
- Ils suscitent des crédules incapables de soupçonner des mensonges, car beaucoup de gens n’ont pas de bases scientifiques. Ajoutons que les menteurs, produisant un discours simpliste, inquiétant et contestataire, et qui semble révéler une vérité cachée, passent pour être les plus crédibles. (C’est d’autant plus facile que Big Pharma jouit d’une réputation proprement infernale.) Mais redire qu’un vaccin efficace peut enrayer une épidémie, ça n’intéresse pas les crédules, car ce n’est ni nouveau ni émouvant. (Cf. « Raisonnements et pouvoir de conviction »)
- Ils se revendiquent comme tout le monde de « la science » quand ça les arrange, car il est désormais impossible de parler du monde sans faire référence, implicitement ou non, à des faits scientifiques, que ce soit sous forme de statistiques ou d’études qui prouvent ceci-cela.
- Ils contribuent à discréditer « la science » et tracent le chemin du n’importe quoi, de la « vérité contre vérité », et des exploiteurs d’un public trop facile à berner.
On pourrait en ajouter une quatrième : ces gens n’ont que « la vérité » à la bouche, ils sont les premier à prétendre « speak the truth », mais les derniers à la « pratiquer ». Quand on « pratique » la vérité, on est beaucoup moins tenté d’y prétendre parce qu’on sait qu’elle n’en finit jamais de vous échapper, et cela rend encore plus crucial de respecter les faits scientifiques.
Paris, le 25 juillet 2021
1 Il est écrit « vérité [virgule] contre vérité » ce qui n’est pas exactement « vérité contre vérité » comme dans « parole contre parole », mais cela ne change pas le fond du propos.
2 On vérifie aisément dans Wikipédia que les coronavirus ne sont pas oncogènes, mais que d’autres le sont. Encore faut-il pour cela que des virus entiers, non des fragments d’ARN, infectent des cellules.
Illustration : site NosPensées
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Permalien : https://onfoncedanslemur.wordpress.com/2021/07/25/science-mensonges-et-verites/
Vous abordez le débat sur la vaccination en mettant en lumière le mensonge d’une scientifique opposée à la vaccination pour tous et vous en restez là, et comme vous ne mentionnez le mensonge que d’un camp, je me fais faussement peut être l’idée que vous tranchez ainsi le débat. Désolé si je fais une mauvaise interprétation.
Des scientifiques font leur travail en ce moment dans la mise au point de vaccins et étudient les effets secondaires qui s’étaleront dans le temps et avec le recoupement des expériences dans chaque pays et un consensus émergera après un temps raisonnable de maturation de la preuve dont la durée est mal définie par nature, ceci est un fait.
Pour autant, pour nos sociétés nous devons prendre des décisions dans le brouillard le plus grand et rapidement car nos flux tendus n’ont plus aucune flexibilité. Décisions maintenant sans attendre la fin du débat scientifique. et c’est là où se trouve le mal être.
Nous sommes dans les faits mous, mal documentés, les suspicions de preuves, les algorithmes décisionnels simulant l’épidémie, les récits, les risques, les gains, les valeurs, les perspectives, bref dans la politique, la manière de conduire la société vers un but et pourtant nous devons nous décider, chacun.
L’outil science, qui n’est qu’un outil décisionnel inadapté dans ce débat. La science ne peut donner que ce qu’elle a, c’est à dire préciser mieux la balance bénéfice risque dans le temps et ce travail est en évolution.
Nous débattons de ce que nous pouvons, voulons pour nous et notre société et cela ne peut être rationnel et scientifique, (nous ne sommes pas encore rationnels et algorithmiques n’est-ce pas ?) et nos dirigeants utilisent malheureusement aussi les mensonges, stratégies de la peur, autoritarisme, parfois la bêtise crasse, et sont aussi dans les impératifs économiques catastrophiques de cette situation et cela ne favorise pas la confiance et la rationalité.
Vacciner son enfant de 12 ans avec un vaccin créé 2 ans plus tôt pour un parent n’est pas un acte qui fait intervenir la rationalité uniquement.
Ce seul élément pour ma part m’aide à comprendre mon collègue humain qui prend parti dans ce débat.
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Je n’ai effectivement mentionné les mensonges que d’un camp, parce que ce sont pas eux qui m’intéressent, mais leurs rapports avec « la science » dont les fondements se trouvent « attaqués ». Ceux de l’autre camp finissent par être révélés, soit à travers des scandales, soit par des études qui prouvent que telle étude était bidon. (Cf. https://onfoncedanslemur.blog/2020/06/05/letude-du-lancet-etait-bidon/) Mais, dans le camp de madame Alexandra Henrion-Caude, qui pour faire des révélations contraires à leurs convictions ? Jamais personne. Cela dit, je n’en reste pas là : le prochain billet montrera comment la réputation de « la science » décline : c’est ça qui m’intéresse. Cordialement.
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merci pour votre réponse et je lirai avec grand plaisir vos analyses et humeurs dans votre prochain billet. Bien à vous.
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Analyse salutaire, même s’il ne faut pas oublier qu’il y a souvent un « conflit des interprétations » d’un même fait, entre spécialistes d’une même discipline scientifique ou entre spécialistes de différentes disciplines (par exemple point de vue médical et point de vue psychologique…).
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Merci pour votre com’. En fait, oui, vous avez mille fois raison, les scientifiques sont rarement d’accords, mais si je l’écris et qu’un anti-science tombe dessus, il va croire que je lui donne raison. Disons que leurs désaccords ne remettent pas en cause le consensus : ceux qui font ça, par exemple Montagnier, ne sont plus écoutés. Leurs désaccords portent sur des faits dont l’explication définitive n’a pas encore été trouvée. Cela dit, en ce qui concerne les maladies mentales, les faits sont souvent flous, (il suffit de penser à la schizophrénie ou l’autisme), donc les désaccords peuvent durer longtemps, mais ils arrivent quand même à un consensus, lequel laisse toujours des questions ouvertes, sources de nouveaux désaccords. Mais ça c’est la recherche, qu’il ne faut pas confondre avec « la science ».
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