21 avril 2023 – 1900 mots.
Quand ChatGPT se montre plus intelligent que le plus brillant de nos scientifiques.
ChatGPT, cet « agent conversationnel » à base d’IA qui défraye la chronique planétaire, a réveillé chez votre serviteur un sujet qui l’horripile : « le voyage dans le temps ». Cet inépuisable sujet devrait être érigé en paradigme pour illustrer le possible et l’impossible, le rêve et la réalité, le sens commun et les théories, l’intelligence et la bêtise, les faits avérés et les spéculations échevelées. Il serait beaucoup plus intéressant d’expliquer pourquoi il est impossible plutôt que le contraire, ce que soutient notre cher Aurélien Barrau, coqueluche des réseaux sociaux, docteur en philosophie et théoricien réputé de la gravitation quantique à boucles. Le « voyage dans le temps » est une pure spéculation relativiste basée sur une seule donnée mathématique, à savoir que le temps se dilate sous l’effet de la vitesse (ou de la gravitation). Ce n’est pas faux mais aucun élément concret n’est jamais venu étayer les conditions pratiques d’une réalisation, à l’inverse de la fusion nucléaire ou de l’ordinateur quantique. Il est fortement corrélé à ChatGPT dans les couches profondes de notre petit cerveau personnel, parce qu’on a quelque chose d’analogue avec l’IA qui pousse les scientolâtres à ébullition : IA générale, conscience, destruction de l’humanité, toutes choses aussi peu probables que « le voyage dans le temps ».
Notre mémoire naturelle contient surtout un souvenir de jeunesse déterminant, c’est à cause de lui que le discours d’Aurélien Barrau nous scandalise. Quand vous êtes un jeune étudiant avide de sciences exactes, et qu’un professeur de maths, lui-même féru de physique fondamentale, vous expose les rudiments de la relativité restreinte, vous prenez tout ce qu’il dit pour du petit lait, ses paroles se gravent dans votre mémoire et deviennent une référence. Or donc, une brève conversation avec ce professeur nous avait conduit à cette question, (extrêmement complexe comme on pourra en juger) : peut-on s’approcher de la vitesse de la lumière ? Et il nous avait répondu : « non ce n’est pas possible, il y faudrait une énergie qui tend vers l’infini ». Une réponse limpide : la relativité enseigne qu’on ne peut pas aller aussi vite que l’on veut, il y a un « frein » dont l’effet augmente avec la vitesse, donc une limite théorique et non pas technologique. Mais à l’époque nous ne savions pas que la relativité d’Einstein montre aussi, qu’à la seule condition de s’approcher toujours plus près de la vitesse de la lumière, (sans toutefois la dépasser ni même l’égaler, évidemment), il est possible de ralentir le temps d’un facteur 10, 100, 1000, 10000, etc. sans aucune limite, donc suffisamment pour justifier « le voyage dans le temps ». C’est ainsi qu’on en fit une stupidité qui nous empêche de dormir, alors qu’à son origine il s’agissait d’une idée brillante et passionnante, « La Machine à explorer le temps », roman fameux du britannique H. G. Wells publié en 1895, une petite décennie avant Einstein.
Invitons maintenant ChatGPT dans cette problématique puisqu’il est capable de parler comme un humain. Les esprits critiques rappellent tous, que derrière les apparences, ChatGPT n’est pas intelligent, ce n’est qu’une machine qui répète ce qu’on lui a appris. Nous ne sommes pas très d’accord avec cette opinion, car nous avons un autre souvenir qui affirme le contraire : on racontait jadis qu’il serait extrêmement difficile à une machine de parler comme un humain, parce qu’on n’arrivera pas à lui apprendre le sens commun, c’est-à-dire les phrases les plus simples comme : « il fait beau ». Et que peut-on constater avec ChatGPT ? Qu’il « comprend » et reproduit à merveille le sens commun ! Et pourquoi cela ? Parce qu’il connaît, pour avoir été gavé de milliards de mots, tous les sous-entendus possibles et imaginables que cache une phrase comme « il fait beau », et qu’il est capable de sélectionner les plus pertinents. Ce qui semblait donc le plus difficile à atteindre, et faire barrage à l’IA, a été atteint en premier ! L’IA a donc dores et déjà fait évoluer notre perception de l’intelligence : l’on disait jadis que le sens commun en était un témoin, aujourd’hui on en fait un marqueur de la bêtise.
Nous avons donc demandé à ChatGPT si l’on peut s’approcher de la vitesse de la lumière, et voici ce qu’il nous a répondu1 :
« Selon la théorie de la relativité restreinte d’Albert Einstein, rien ne peut voyager plus rapidement que la lumière dans le vide. Par conséquent, il n’est pas possible de dépasser la vitesse de la lumière.
Cependant, la relativité restreinte permet des vitesses proches de celle de la lumière. À mesure que la vitesse d’un objet se rapproche de la vitesse de la lumière, sa masse apparente augmente et il nécessite de plus en plus d’énergie pour continuer à accélérer. À la vitesse de la lumière, la masse de l’objet deviendrait infinie, ce qui est impossible.
Actuellement, les humains sont capables d’accélérer des particules subatomiques à des vitesses très proches de la vitesse de la lumière dans les accélérateurs de particules. Cependant, pour un objet macroscopique comme un être humain, il serait extrêmement difficile et pratiquement impossible d’atteindre de telles vitesses sans subir des effets néfastes sur la santé et la structure de l’objet. »
Non seulement ses phrases sont impeccables, mais il a pris en compte tout le contenu implicite de la question, à commencer par le on qui désigne un être humain supposé à bord d’un véhicule, mais aussi la référence à la relativité restreinte, cette théorie sans laquelle la question ne se poserait pas. Que l’on puisse accélérer des particules à une vitesse proche de la lumière est une autre question, mais il cite cette possibilité avec pertinence pour cerner sa « pensée ». Il importe aussi de remarquer que la question exclut l’hypothèse que la vitesse de la lumière serait un lieu dont on pourrait se rapprocher dans l’espace, et qu’elle ne dit rien sur la façon d’« avoir une vitesse », ni comment cela est possible ni même ce que cela signifie. Peut-on avoir une vitesse comme on a une tache sur sa chemise, de l’argent sur son compte, de la chance au jeu, un bel appartement ou une addiction ? A chaque fois le verbe avoir désigne quelque chose de très différent, et il n’y a rien de commun entre les cas. Le contenu implicite de la question est donc énorme, gigantesque pour une machine, et pourtant ChatGPT a fort bien répondu.
Pour estimer son intelligence contestable et contestée, il faut la comparer à l’infinité des réponses absurdes que pourrait faire une machine véritablement idiote, par exemple : « Il est impossible de s’approcher de la vitesse de la lumière parce que personne ne sait où elle habite. »
De plus, la dernière proposition de sa réponse, (« pratiquement impossible (…) sans subir des effets néfastes sur la santé et la structure de l’objet »), est vague mais plus intelligente qu’il n’y paraît. Elle signifie qu’il faut prendre en compte les autres effets de la vitesse, qu’ils dépendent ou non de la relativité. Il n’a pas précisé lesquels mais, comme il a signalé qu’il faut toujours plus d’énergie, on peut commencer à chercher de ce côté-là, (comme nous l’avions fait dans ce billet). On ne peut donc pas répondre correctement à la question posée sans prendre en compte toutes les équations de la physique, pas seulement celle qui montre que le temps est d’autant plus ralenti que la vitesse est grande. C’est l’argument que nous avions avancé dans « Pourquoi réfuter le voyage dans le temps ? », en disant que ceux qui affirment qu’il est possible « trichent avec la relativité, car ils retiennent les calculs qui les arrangent et ignorent ceux qui jouent contre eux. »
A l’opposé de ChatGPT qui énonce le sens commun, voici Aurélien Barrau étalant sa science dans cette vidéo :
[13’42] « La deuxième [grande leçon de la relativité], c’est que l’espace-temps est plus compliqué que ce que Newton et Galilée pensaient, voilà. C’est-à-dire que là, si nos montres sont parfaitement synchronisées, du simple fait que j’ai la fâcheuse tendance de me balader quand je parle, maintenant nos montres ne sont plus synchronisées. Je n’ai plus le même âge que vous. C’est une vérité mesurable, absolument indiscutable, et ce que ça signifie en clair, c’est que les voyages dans le futur sont sans aucun doute possibles. On sait très bien ce qu’il faut faire, d’ailleurs on le fait, et l’on pourrait tous être encore vivants, si on le souhaitait, en l’an 10.000 sur la Terre. Il suffirait pour ça d’avoir une technologie un tout petit peu plus développée que celle qu’on a, parce que accélérer un corps humain à des vitesses proches de la lumière c’est pas simple, mais en tout cas, conceptuellement, c’est absolument indubitable, et avec des particules élémentaires on le fait. »
Si ChatGPT avait écrit que l’on pourrait accélérer un vaisseau spatial à 99% de la vitesse de la lumière simplement parce qu’on sait le faire avec des particules élémentaires, on y verrait une bête extrapolation de ses connaissances et la preuve de sa non-intelligence. C’est pourtant bien ce qu’a déclaré le célèbre physicien-philosophe, et sur un ton magistral qui ne souffre pas le doute. Mais ChatGPT, au lieu de mettre les particules élémentaires et les corps macroscopiques dans le même sac, a pris soin de les opposer. Lequel des deux est le plus intelligent ?
En théorie, Aurélien Barrau n’a pas faux, évidemment, on peut accélérer aussi bien des corps lourds que des particules, mais est-ce correct de ne pas distinguer les deux catégories dans le contexte de cette question dont la réponse, in fine, doit porter sur la pratique et non sur la théorie ? En fait, sa logique erronée est la suivante : la théorie n’interdisant pas qu’on accélère un corps autant qu’on veut, alors il est possible d’accélérer un corps humain comme une particule élémentaire. Cependant, pour éviter de se couvrir de ridicule, il s’est bien gardé de dire que c’était faisable en pratique, seulement que ce n’était « pas simple », ce qui signifie « pas sûr que ce soit faisable », peut-être même pas sûr du tout, voire probablement, quasiment ou certainement pas faisable du tout, l’on ne saura jamais le fond de sa pensée. Et de se rabattre dans le bunker de la théorie : « conceptuellement, c’est absolument indubitable » nous dit-il, alors que la question porte sur la réalisation pratique, ce qui n’a pas échappé à ChatGPT.
***
La leçon que nous en tirons est la suivante : les systèmes à base d’IA sont très intelligents. Et si ChatGPT n’est pas encore capable de faire des raisonnements corrects, l’un de ses concurrents le peut déjà : Minerva de Google. Dire que ChatGPT n’est pas intelligent est aussi faux que dire « les avions ne volent pas ». Ils ne volent pas à la manière des oiseaux, certes, mais ils volent, et s’ils ne peuvent pas se poser sur une branche, ils peuvent en revanche emporter dans les airs des tonnes de charge utile, ce que l’on demanderait difficilement à un oiseau.
Le cerveau humain restera toutefois infiniment supérieur à celui d’une machine, mais pour une raison que personne ne mentionne : le rapport entre ses performances et ses besoins énergétiques. Grâce à des centaines de millions d’années d’évolution, la nature a trouvé une solution largement supérieure, il n’y a pas photo. Alors qu’Aurélien Barrau peut comprendre l’équation de Friedmann avec seulement quelques kilocalories par jour, il faudra des quantités colossales d’énergie et de matière pour que des machines puissent en faire autant. Mais cela ne veut pas dire qu’elles ne le pourront jamais.
1 Note : nous avons eu beaucoup de chance de tomber sur cette réponse, car il ne répond jamais de la même façon, et parfois c’est plus verbeux et moins pertinent.
Illustration : copie d’écran d’une étude d’Aurélien Barrau : « A pure general relativistic non-singular bouncing origin for the Universe ». (On préfère ne pas traduire…)
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Trop complexe pour mon petit cerveau.
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Je crois deviner ce qui manque à la compréhension pour les néophytes. Alors voici : plus on s’approche de la vitesse de la lumière, plus le temps du voyageur ralentit, c’est la théorie qui le dit, il n’y a rien d’utile à comprendre, c’est comme ça. Mais plus le temps ralentit (pour le voyageur), moins il vieillit, donc plus il peut vivre longtemps par rapport à ceux qui ne voyagent pas. Donc, s’il fait un voyage qui dure un an pour lui, et si le temps est ralenti d’un facteur 10.000, alors il peut revenir sur Terre 10.000 ans après son départ : c’est « le voyage dans le temps ».
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