Le solaire peut-il sauver la planète ?

Politicoboy, c’est le blog d’un Français expatrié au Texas dont nous allons critiquer l’un de ses billets, (au demeurant excellents), parce qu’il dispense un discours trompeur : « Le solaire peut-il sauver la planète ? » A sa décharge il faut bien dire qu’il est loin d’être le seul. Alain GrandJean vient de signer un article très fouillé qui va dans le même sens, et qui présente le même défaut : le stockage n’est pas chiffré. Il démarre très fort :

« Avec des coûts de production en chute libre, l’énergie solaire concurrence désormais directement le charbon et le gaz. Les investissements colossaux réalisés par la Chine et l’Inde et le boom Californien laissent entrevoir la possibilité d’un miracle technologique. »

Les mots soulignés par votre serviteur dénotent l’enthousiasme et préparent le lecteur sceptique à changer son point de vue, comme s’il était écrit : « Oui, le solaire, ça marche ! » Il peut donc sauver la planète, même si on le voit en train de creuser notre tombe, effet de serre oblige…

Après avoir présenté son sujet, où il se promet de « balayer quelques préjugés », Politicoboy enfonce le clou dans un inter-titre : « Une avalanche de bonnes nouvelles pour l’énergie solaire ». Il avance ensuite des faits spectaculaires, une « baisse des coûts de 85% », à tel point que

« l’Inde vient de renoncer au projet de construction de six centrales à charbon totalisant une capacité de production de 14 gigawatts pour les remplacer par des centrales solaires 25 % moins chères ».

Puis :

« Sur la seule année 2016, la Chine a installé 38 gigawatts de capacité photovoltaïque, l’équivalent de la production électrique française moyenne. Elle prévoit d’investir plus de trois cents milliards de dollars sur cinq ans ».

Pas étonnant donc que : « Face à cette montée en puissance, les compagnies pétrolières paniquent. » et investissent elles aussi dans les ENR. Dans le § suivant, l’auteur y regarde de plus près : « Principaux avantages et inconvénient de l’énergie solaire ». Il commence ainsi : « Le soleil se lève tous les jours sans exception pour offrir une énergie fiable, abondante, gratuite, propre et renouvelable ».

  • « se lève tous les jours » : mais se couche toutes les nuits.

  • « énergie fiable » : mais qui dépend des « caprices de la météo », tout le contraire de la fiabilité.

  • « abondante » : mais diluée à l’extrême, au contraire du pétrole.

  • « gratuite » : mais c’est vrai pour toutes les autres, non ? Alors pourquoi ne le dit-on que du solaire ?

  • « propre » : « moins sale » serait plus juste.

Enfin, puisqu’il suffirait de capter 0,01% de l’énergie reçue et que la surface au sol n’est pas un problème, ce serait une « entreprise largement réalisable » de « satisfaire la totalité des besoins de l’humanité (y compris en pétrole, gaz, bois et charbon utilisés pour le transport et le chauffage) ». On est vraiment heureux de l’apprendre, mais l’on s’étonne que ce ne soit pas déjà (presque) fait puisqu’en réalité on le sait depuis un demi-siècle.

Plutôt que de critiquer davantage ce billet qui pêche par naïveté ou par idéalisme, je vais plutôt tenter de faire saisir la complexité du problème. Chaque point énuméré ci-dessous contribue à rétrécir le périmètre du « faisable », à le rendre plus difficile ou plus hasardeux.

  1. Il ne suffit pas de présenter une solution « sur le papier » sans tenir compte du contexte politique. Quand on prétend que « c’est faisable », il faut que ça le soit par le pays considéré, la France en ce qui nous concerne, donc par son système politico-économique dont rien ne prouve a priori qu’il en a les capacités.

  2. On peut affirmer que le nucléaire n’est pas la solution, mais dans ce cas il faut reconnaître que le parc nucléaire joue comme un handicap, car ce qu’il faut payer en démantèlement ne peut être investi dans le solaire.

  3. Les situations financières de la France et d’EDF sont infiniment plus mauvaises qu’aux beaux jours du nucléaire. Celui-ci est né dans les Trente Glorieuses, la France maîtrisait sa monnaie, EDF n’était pas (aussi) endettée, la croissance permettait d’amortir les investissements, il y avait synergie entre nucléaires civil et militaire, l’EPR n’était pas un fiasco et les entreprises payaient leurs impôts : bref, tous les indicateurs étaient au beau fixe, il suffisait d’envoyer les CRS calmer les écolos.

  4. Il s’agit de remplacer les plus grosses sources d’énergie actuelles, ce qui est beaucoup plus difficile que de les développer à mesure que les besoins augmentent. Car « remplacer » implique de faire des investissements à production constante : il faut pendant un temps financer l’ancien et le nouveau sans augmentation de revenus, et avec des surcoûts liés à la concurrence entre eux.

  5. Le solaire a un facteur de charge de 20% : cela signifie qu’il ne fonctionne, en moyenne, qu’à 20% de la puissance installée. Donc, quand un ministère lance un appel d’offre de 3000 MW, on ne dit pas « Whaouuu ! » parce que ces centrales ne produiront que 0,6 GW en moyenne annuelle, ce qui fera au mieux 5200 GWh par an : 1% de la consommation nationale d’électricité qui est d’environ 531 milliards de kWh, soit 531 TWh.1 Il faudra donc installer au moins 300 GW de solaire.

  6. Le solaire pose d’énormes problèmes de stockage. Pour le seul remplacement des centrales nucléaires et thermiques, Jancovici chiffre la capacité à 300 GW en « tout solaire », (et 150 GW en « tout éolien »). On est loin des 36 GW avancés par l’ADEME dans son scénario « 100% renouvelable ».2

  7. Le pétrole brûlé dans les transports et le chauffage domestique est oublié. Il représente pourtant 400 TWh qu’il faudra aussi produire sous forme d’électricité.

  8. Si le système ne s’effondre pas d’ici 2050, ses besoins énergétiques auront augmenté, disons de 10%. Total : 531 + 400 + 10% du tout = 1000 TWh en 2050, ce qui correspond à 150 réacteurs nucléaires de 1 GW avec un taux de charge de 75%. C’est aussi 2800 fois la centrale solaire de Cestas inaugurée en 2015, laquelle, avec ses « 350 gigawattheures (GWh) par an » et ses « 300 mégawatts crête (MWc) », est équivalente à 150 éoliennes. Et tout cela ne dit rien sur le stockage afférent.

  9. Le solaire pose d’énormes problèmes de régulation et d’interconnexion :

    • Qui ne se posent pas actuellement car le solaire ne fait que 2% du total : tout semble facile.

    • Pour couvrir des fluctuations journalières de 20 GW d’amplitude, la puissance moyenne délivrée par le réseau étant de 60 GW. Quand le pic du soir arrive, vers 19h, il fait déjà nuit en hiver.

    • Pour remplir les moyens de stockage.

    • Pour gérer les importations-exportations.

    • A toute cette problématique il est répondu simplement que ça ne pose pas de difficultés majeures, et l’on propose même un coût raisonnable. Mais l’on n’explique pas comment l’on va stocker, sinon avec des batteries : qui pourront produire des dizaines de GW aussi longtemps qu’on veut ?

  1. Les objectifs sont flous et fluctuants, personne ne produit les mêmes chiffres, y compris pour le passé qui devrait pourtant être connu avec précision. Ainsi l’ADEME, dans son fameux scénario « 100% renouvelables », (qui ne tient pas compte du pétrole), se base sur une consommation actuelle de 422 TWh3, alors que Jancovici, citant RTE, parle de 531 TWh4. Si l’on supprime 100 TWh des données d’entrée, c’est évidemment plus facile.

  2. Les statistiques météo pour 2040-2050 ne sont pas disponibles. La tentation est grande de sous-estimer la fréquence-durée des périodes de météo défavorable, et de surestimer les cas favorables. Détail significatif : pour illustrer la variation de charge journalière, Politicoboy choisit un graphe du 1er juillet 2017, avec un pic de consommation qui coïncide avec celui de l’insolation…

  3. Le pilotage d’un réseau 100% ENR à l’échelle d’un pays comme la France n’a jamais été fait. Il est bien possible que ce soit « faisable », mais il faudrait en connaître le prix en termes de fréquence des délestages, (qui sont très rares aujourd’hui), et de rationnement forcé pour les « ménages modestes ».

Mais laissons là ces considérations techniques ennuyeuses et revenons aux grandes questions :

  1. Le « tout ENR » est-il « faisable » ? Oui, absolument, car c’est dans la nature-même du système industriel de produire massivement tout et n’importe quoi : du concentré de tomate aux loisirs en passant par les déchets. Il n’y a donc aucune raison a priori pour que les ENR échappent à la règle. Reste à savoir si la qualité sera au rendez-vous, et de quels dégâts humains et écologiques on devra le payer : mais on ne le saura qu’à la fin, quand elles auront été déployées sur une échelle qui rende visible l’impact sur l’environnement.

  2. Le solaire peut-il sauver la planète ? Non, absolument pas. Les énergies fossiles qui ne seront pas consommées par les uns seront vendues à d’autres, et donc consommées quand même. Les pétroliers « paniquent » et investissent dans les ENR, mais leur équilibre financier et vital exige qu’ils continuent leur commerce. Un signe qui ne trompe pas : les voitures diesel partent pour l’Afrique

  3. Que faire de toute « l’énergie propre » que l’on pourra produire ? Doit-elle servir à continuer comme avant, à produire des objets « nano-électro-cyber-bio » qui enthousiasment les « geeks » façon Usbek & Rica, mais qui relèguent des déchets par millions de tonnes ? « Pas d’angélisme pour autant, écrit Usbeck & Rica, notre génération « gafaïsée » a de nombreux défis à relever et doit inventer un nouveau progressisme. » Je suis bien d’accord, nous avons besoin d’autre chose, de quelque chose qui pourrait être une raison d’être à en croire Malraux, mais ces hurluberlus décérébrés vont nous balancer leur « nouveau progressisme »…

Alors non, rien ni personne ne « sauvera la planète ». La « génération gafaïsée » ne sauvera que ses intérêts.

Paris, le 23 décembre 2017

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3Ibid 2.

4Ibid 1.

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