Onfoncedanslemur est toujours irrité par ces commentaires d’internautes qui n’en finissent pas de ressasser les mêmes causes futiles, en particulier « l’hybris » et « la croissance », pour ne citer que les plus communes. Ce genre d’explications présentent tous les défauts du monde : elles sont partielles, elles gomment l’essentiel qui est la dimension systémique des phénomènes, et laissent entendre que l’on pourrait trouver le moyen de ne plus foncer dans le mur. L’hybris, « sentiment violent inspiré des passions », est à l’opposé des « outils softs » avec lesquels le système se renforce de jour en jour, (Cf. l’Intelligence Artificielle), et la croissance, même si elle joue un rôle significatif, n’est jamais qu’un indicateur économique, donc un instrument du système parmi quantité d’autres.
Avec ce billet, Onfoncedanslemur est au cœur de sa raison d’être : expliquer pourquoi l’on fonce dans le mur sans que rien ne puisse venir mettre un terme à la course folle du système, rien sinon le mur lui-même.
Deux causes suffisent à tout expliquer : primo, il y a système, secundo ce système est expansionniste. Ce que nous appelons « le système » est un objet de nature transcendantale, (ce que nous avons sans doute du mal à concevoir, car le terme est depuis des lustres réservé à la métaphysique), mais le fait est qu’il domine la vie de la quasi totalité des humains sur cette planète, c’est-à-dire que personne ne lui échappe, même lorsque l’on vit en dehors du système selon les apparences. Considérons par exemple ces mineurs au Congo :
Comment pourrait-on soutenir, à les voir, qu’ils sont « dans le système » à l’instar des consommateurs nantis ? Leur inclusion dans la Mécanique Infernale est invisible : elle se fait via une entreprise quelconque qui va acheter leur production. L’article de Paris Match résume ainsi la photo :
« Dans la mine de la ville de Pluton, dans la province Ituri, les hommes travaillent dans une vaste carrière appelé « Attente ». Cela a pris plus d’un an pour la creuser. Les mineurs viennent de tout le Congo pour y tenter leur chance. »
Cette phrase montre à quel point le système « aspire » les êtres humains, les tient dans son orbite d’une façon ou d’une autre. Il faut bien sûr se demander : mais pourquoi vient-on « de tout le Congo » travailler dans des conditions aussi terribles ? Réponse : l’ensemble de la population a perdu son autonomie par rapport au système, de sorte que les conditions qui lui sont faites par ailleurs poussent nombre de Congolais à accepter ce genre de travail. Où sont l’hybris et la croissance économique ? Nulle part. Le système tient son existence d’une gigantesque matrice de faits tangibles, tous dépendants les uns des autres selon des chaînes de causalité inextricables qui affectent tous les pays du monde. (Et tous les milieux naturels, même le fond des océans.) Aucune trace d’hybris, de croissance économique ni même de violence du point de vue du système : seulement des hommes qui, exploiteurs ou exploités, constatent que « c’est comme ça », « on n’y peut rien ».
Mais l’on peut « faire quelque chose » diront les âmes bien pensantes, l’on pourrait par exemple améliorer la condition de ces travailleurs : certes, mais c’est précisément ce qu’a fait le système en Occident, et il s’en est trouvé renforcé au-delà de l’imaginable : car ce sont bien les « progrès sociaux » des Trente Glorieuses qui ont permis une énorme amélioration de la qualité (apparente) de vie chez les occidentaux, et qu’il en est résulté ce spectaculaire développement des sciences et techniques par lesquelles le système n’a fait que se renforcer.
Dans le billet déjà cité en lien, « Le fameux système », nous citions quatre effets dont le dernier est le plus important : le système ne peut que s’étendre ou cesser d’être :
« parce qu’il ne doit son existence qu’à une dynamique : organiser autrement la chaîne de production/consommation de façon à gagner de l’argent mieux que les concurrents. Modifiant sans fin son environnement, il est condamné à s’adapter, donc à modifier son environnement dans une boucle infinie. »
En un mot : le système est de nature expansionniste, ce qui n’est pas le cas d’un système religieux par exemple, ou alors dans une moindre mesure, parce que les religions ne peuvent plus jouer sur les besoins fondamentaux qui découlent de la nécessité de survivre. Quand on y regarde de plus près, tout est expansionniste dans le système, pas seulement la production de biens et de services. Dans les années 90, alors qu’Internet était à peine né et que l’on en parlait seulement comme d’une vitrine pour les entreprises, nombre de prophètes proclamaient déjà l’incontournable nécessité « d’aller sur Internet » sous peine d’être rapidement dépassé par l’évolution, par la concurrence, par le progrès, etc. L’expansionnisme se manifeste donc d’abord dans les discours qui préparent les esprits à son apparition dans le réel. Aujourd’hui, on a déjà les GAFAM, les Uber, les Blablacars and C°, ainsi que les « fake news », les filtres idéologiques par Google, le contrôle social par notation, etc.
La transition énergétique joue le même rôle de son côté : entretenir ce qui nourrit le système comme le sang irrigue des cellules cancéreuses : la dynamique. Et c’est la Chine qui détient déjà un « leadership » incontestable, même si elle devra, comme le prétend BFMTV, attendre 2032 pour devenir la première économie du monde. Rien ne peut apparaître dans le système qui ne soit expansionniste, l’affaire s’entend même pour les mœurs qui autorisent un « homme » né femme à devenir père, ou qui justifient de donner trois mères à un enfant : pour ses gènes, pour sa formation biologique et pour son éducation. Cette artificialité des mœurs ne fait que s’étendre, on lui doit désormais ce courant de pensée qu’on appelle le transhumanisme, et qui invite les nantis à « booster » leurs performances biologiques. On retrouve le même expansionnisme dans l’industrie des loisirs, avec les effets spéciaux au cinéma, les jeux vidéos, les futurs robots sexuels, etc.
La méthode analytique, qui permet de trouver une solution à n’importe quel problème posé en procédant à une sorte de dissection intellectuelle, (« dégager et dissocier méthodiquement les éléments anatomiques »), est une source inépuisable d’innovations toutes appelées à s’étendre. Et qu’importe que ce soit légal ou pas, humain ou pas, révolutionnaire ou tout bêtement mesquin : ça fonctionne ! Et qu’importe l’échelle des problèmes, qui peuvent être gigantesques : tous les acteurs s’y adaptent faute de pouvoir faire autrement. L’environnement humain, qui avait été créé il n’y a pas si longtemps par Dieu, (4000 ans avant JC selon la biblique genèse), est désormais façonné par le système. Selon notre point de vue, c’est donc l’homme qui s’est fait Dieu et qui aura réussi à instaurer le règne terrestre de sa divine transcendance. Ce n’est pas Lloyd Blankfein, patron de Goldman Sachs, qui devrait nous contredire, lui qui affirmait accomplir « le travail de Dieu ». Il peut paraître prodigieux que « l’Homme » soit parvenu à dépasser le successeur de Zeus, mais c’est trivial au contraire, car Dieu n’est jamais qu’un concept. S’il y a du mystère, ce n’est pas là qu’il faut le chercher.
Paris, le 10 janvier 2018
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Illustration : Expansionnisme militaire américain
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