Notre-Dame-du-Système

Ce fut très amusant de voir les réactions outrées à l’enterrement du projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes : nous eûmes vraiment l’impression que le système lui-même avait pris la parole, s’exprimant en bon français mais avec ses arguments moutonniers qu’on lui connaît bien et qu’il ne remet jamais en question. Mais ce conflit s’avère passionnant parce qu’il illustre à merveille ce qu’est le système, lequel s’oppose à « tout changement non motivé par une nécessaire adaptation [et qui] ne peut être perçu que comme une menace existentielle ». Alors passons sur les commentaires purement politiques, et voyons les arguments de fond :

  • L’État de droit est piétiné.
  • La démocratie est piétinée.
  • Le développement économique de la région est menacé.
  • « Cultiver des patates dans son potager, je n’appelle pas ça le progrès ».
  • Il est urgent d’évacuer la ZAD.
  • On ne peut pas laisser l’extrême-gauche ni l’extrême-droite bafouer l’intérêt commun.

L’État de droit piétiné

Dans la ZAD, le droit commun est effectivement exclu puisque les zadistes occupent sans autorisation des terres qui ne leur appartiennent pas. Ils ont aussi barré une route départementale, prenant ainsi une initiative réservée aux forces de l’ordre placées sous l’autorité d’un préfet.

Ces faits sont incontestables, mais il est tout aussi incontestable qu’un régime démocratique se devrait de traiter ce conflit par la négociation, et non par la force à l’instar d’une dictature. Le propriétaire légal, Vinci, qui sera par ailleurs largement dédommagé, pourrait être exproprié ou sommé de signer un bail emphytéotique à la ZAD, ce qui rétablirait l’État de droit dans sa plénitude.

La démocratie piétinée

La démocratie aurait été piétinée parce qu’un référendum avait conclu en faveur du projet, mais sans envisager la nécessité d’expulser les zadistes par la force. Or, si le gouvernement a renoncé au projet, c’est bien sûr faute de pouvoir garantir ce préalable nécessaire, non pour les arguments officiellement avancés. Pas plus que les non exécutions de décisions judiciaires n’entament l’État de droit, le renoncement gouvernemental n’entache ni ne menace la démocratie. L’argument du référendum fait fi des difficultés de son exécution, et ce sont plutôt les politiques qui ont piétiné la démocratie pour avoir lancé ce référendum sans en mesurer les conséquences concrètes.

Le développement menacé

Voilà bien l’argument massue du système : ce sacro-saint développement pensé comme l’augmentation de tout ce qui bouge. Les politiques, (dans une parfaite égalité hommes/femmes), n’ont vraiment pas conscience de leur aveuglement car il est manifeste :

  • Qu’ils ne conçoivent pas d’autre développement que celui de leurs affaires.
  • Que leur développement menace un écosystème dont la perte serait à jamais irrécupérable.
  • Qu’il menace aussi le développement de la petite agriculture pourvoyeuse d’une certaine forme d’emplois.
  • Qu’il existe d’autres menaces bien plus graves : le réchauffement climatique, la diminution de la biodiversité et l’effondrement annoncé par le rapport Meadows.

Ce n’est pas ça « le progrès »

Arrivée en conclusion d’un argumentaire, la phrase : « Cultiver des patates dans son potager, je n’appelle pas ça le progrès », laisse entendre que :

  • « Cultiver des patates dans son potager » doit être considéré comme une régression. En effet, un aéroport permettrait de viabiliser-exploiter-rentabiliser les terrains disponibles de façon plus efficace que l’agriculture vivrière, car le trafic aérien est jugé plus utile et plus progressiste que la production non mécaniste de nourriture.
  • Le progrès est définitivement ce qui a été inventé en Angleterre au début du XIXième siècle, il ne peut pas être conçu autrement, il ne peut pas être repensé ni amendé. Autrement dit, le progrès doit rester figé sur ses bases historiques comme peut l’être une religion. Il ne doit pas évoluer ni subir ses propres principes.

L’urgence de l’évacuation

Bien que le projet ait été définitivement enterré et que les zadistes n’embarrassent que les juristes, leur expulsion serait d’une urgente nécessité pour rétablir l’autorité de l’État qui se trouve bafouée, piétinée et bien sûr, menacée.

Il faut bien reconnaître que l’État s’est fourré dans un guêpier et que sa crédibilité est en jeu. Mais est-ce vraiment la faute des zadistes ? Aussi vieille que le projet lui-même, l’opposition radicale des écologistes était parfaitement prévisible. Ils avaient d’ailleurs obtenu, lors du Grenelle de l’environnement, « Le gel (…) de toute nouvelle structure aéroportuaire » (et du réseau autoroutier). Mais celui du Grand Ouest échappa au filet grâce au premier ministre de l’époque, François Fillon, qui avait considéré, « au grand dam des Verts », qu’il « consiste en un transfert de l’actuelle plate-forme Nantes-Atlantique sur un autre site et non en la création d’un nouvel équipement à proprement parler. »1 Clairement libéré de tout engagement par le Grenelle de l’environnement, un processus démocratique parfaitement légal et légitime au niveau national, l’État s’est mis de lui-même dans le pétrin faute d’avoir perçu que le conflit l’engageait dans une épreuve de force.

Mais ce que signalent ces cris d’orfraie sur l’autorité de l’État, (émanés d’éminentes personnalités politiques, il faut le souligner, nous ne sommes pas dans le bistro du coin), c’est clairement un désir de punition : les zadistes ne doivent pas pouvoir profiter de la faiblesse de l’État, (c’est réservé aux capitalistes qui le font en toute légalité), leurs potagers sont ridicules, (pour parler poliment), ces gens ne servent à rien, on ne peut rien faire avec eux, ils ne sont pas un modèle. Ou plutôt si, on en a très peur qu’ils créent un précédent, donc qu’ils soient un modèle susceptible d’entraver d’autres projets juteux.

L’extrême-gauche, l’extrême-droite, et le bien commun

C’est un peu dur de café de voir l’extrême-gauche et l’extrême-droite mises dans le même sac, (par Jean-François Copé), alors que l’illégalité des zadistes et celle de l’extrême-droite sont aux antipodes l’une de l’autre. Les premiers s’en prennent essentiellement au régime de la propriété privée et à la dictature du profit, mais appliquent scrupuleusement la devise de notre belle République : « Liberté, Égalité, Fraternité », sans ségrégation d’aucune sorte, tandis que les seconds contestent l’universalité des « droits de l’homme » et considèrent que l’ordre social n’est pas négociable.

Mais surtout, l’on n’a encore jamais vu l’extrême-droite se battre pour… des potagers ! Car enfin, si cette extrême-gauche zadiste est aussi « ultra-violente » qu’on le prétend, ne conviendrait-il pas d’interroger la disproportion entre sa « violence » et ses objectifs que par ailleurs l’on juge ridiculement mesquins ? La gente politique s’en garde bien, évidemment, elle qui prospère sur le « centre mou » de la population, sur la masse qui ne pense rien, qui vaque à ses affaires sans égard pour le bien commun.

Commentaires

Ce conflit devrait passionner les Français, (et les Françaises !), pour les raisons suivantes :

  • Il concerne au plus haut point la classe politique, et cela garantit sa visibilité même si la propagande se charge bien sûr de l’opacifier au plus grand nombre.
  • C’est clairement un conflit aux frontières du système, comme il en existe tant d’autres de par le monde, autrement plus violents et illégaux, et à l’initiative des capitalistes.
  • L’autonomie revendiquée est exogène au système, au contraire de celle des indépendantistes catalans qui est endogène.
  • Le conflit touche les bases de notre existence, à tous les niveaux : biologique puisque le but premier est de protéger l’écosystème local, social puisque les zadistes s’organisent sur des bases différentes où prédomine la gratuité, le don et le troc, économique puisque leur but est de pouvoir en vivre, culturel puisqu’ils visent à pérenniser leur existence et faire la preuve que leur modèle est réaliste.

Il est surtout révélateur du fonctionnement et des limites d’un système pris au dépourvu par une contestation vraiment sérieuse, une contestation imparable parce qu’elle s’appuie sur la vie de contestataires qui veulent vivre autrement sans se faire agresser.

 

 

Paris, le 19 janvier 2018

Voir cet article du Monde daté de décembre 2007 : « La construction de l’aéroport Grand-Ouest est confirmée ».


Lire aussi (et surtout) : « c’est grâce à 80 loustics qu’il est devenu possible de gagner« 

Illustration : « Soyons réalistes, demandons l’impossible »

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